A la prochaine, on fait quoi ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 9/02/2015
Frédéric Barbier (PS) n'a pas exulté à la suite de sa victoire indiscutable mais courte à l'élection législative partielle du Doubs et il a eu raison (Le Monde).
Il a gagné avec 51,43% des voix tandis que sa rivale du Front national (FN) obtenait un score de 48,57% qui, de l'avis de tous, montrait sa forte progression entre les deux tours, grâce à une part de l'électorat UMP et à la mobilisation seulement relative des abstentionnistes en faveur de la gauche.
Mais à la prochaine élection on fait quoi, à droite et à gauche ?
La campagne entre les deux tours a manifesté en effet comme la classe politique traditionnelle, s'enivrant d'être "républicaine" et fidèle à l'esprit du 11 janvier, est plus à l'aise pour parler du FN que pour le combattre, plus obsédée par lui qu'il ne l'est par elle.
Les réactions après la victoire socialiste n'ont fait que confirmer l'incompréhension antérieure également partagée entre des partis qui ne savent plus où donner de la tête et de la tactique face au FN.
Ils s'obstinent à le qualifier de "non républicain" en dépit de son emprise de plus en plus forte, dans l'espace démocratique, politique et médiatique, sur des citoyens qui après tout, déçus par ailleurs, n'ont plus aucun scrupule ni hésitation à l'appréhender comme une dernière chance, un ultime espoir. On veut le voir à l'oeuvre plutôt que le détester en chambre !
Ils ne se préoccupent plus, à proprement parler, de la validité du programme. Celui-ci mêle avec habileté - et dans une confusion qui n'inquiète pas mais rassure son électorat composite - une vision vigoureuse de la sécurité et de la justice proche de celle de l'UMP à une dénonciation contre la bureaucratie de Bruxelles. Les sensibilités de gauche déçues, voire désespérées par l'abandon dans lequel le socialisme, sous ses facettes économique, sociale et pénale, les a laissées depuis des années y sont sensibles.
Face à cette redoutable machine de guerre électorale qui prend en charge des mécontentements, des relégations, des détresses, des misères et des frustrations qui, pour être populaires, n'en sont pas moins infiniment réels et après lesquels un Front de gauche court sans jamais les attraper, a-t-on jamais entendu l'UMP nous annoncer ce qu'elle ferait, elle, pour les apaiser et reconquérir une population qui s'en est allée vers le FN ?
A-t-on jamais constaté que le PS mesurait sa responsabilité quand à force d'oublier le réel et de louer Christiane Taubira, il favorisait cet irrésistible ressentiment de ceux qui ne comptent plus face à ceux qui tiennent le haut du pavé ?
A-t-on jamais pu mettre au crédit du Pouvoir, une fois entendu le verbe courageux, lucide mais sans effet opératoire de Manuel Valls, une action, une initiative, un revirement de cap susceptibles de modifier le rapport de force entre un parti qui, à tort ou à raison, s'est approprié les humiliés et les offensés et lui qui a pour ambition non pas d'en réduire le nombre mais de vilipender le FN ?
A la prochaine, on fait quoi ?
NKM nous assure que "l'UMP n'a aucune complaisance avec le FN". Voilà qui sera de nature à faire trembler ce dernier et à donner de la substance à la première !
Yves Jégo, selon son habitude, appelle "l'opposition républicaine" à des Etats généraux, UMP, UDI et MoDem. Voilà qui va certainement traumatiser le FN et freiner ses avancées !
Quand un Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale et homme intelligent s'il en est, en est réduit à nous seriner que "c'est la victoire des républicains... qui ont su faire la différence entre une formation qui fait vivre les valeurs de la République et un parti extrémiste qui propage la haine et la division", on est effaré et on se doute qu'avec une charge aussi sommaire qui évite l'essentiel - pourquoi le FN progresse-t-il ? -, celui-ci peut continuer à militer "tranquille".
Quand Jean-Christophe Cambadélis compare Bruno Le Maire à Patrick Buisson et déplore la "radicalisation de la droite", on ne peut que lui reprocher de dire n'importe quoi et l'inviter à se préoccuper plutôt de la cacophonie au PS avec la multitude des contributions pour le congrès que de la stratégie interne à la droite qui ne regarde qu'elle. Je perçois bien comme une droite à la fois molle et peu clairvoyante serait désirée par le PS mais elle n'a aucune raison de lui faire cadeau de cette faiblesse (Le Parisien, Le Figaro, Libération).
A la prochaine, on fait quoi ?
On continue d'entonner le grand air de la République ?
Sous son apparence enflée et pompeuse, il cache le vide des projets parce qu'à droite ou à gauche, on est au sens propre désarmé devant la complexité d'une entreprise politique pourtant résistible, qui conduit à préférer les injonctions éthiques absurdes qui n'ont plus aucun effet, au dur labeur des propositions et des alternatives plausibles, cohérentes.
Entre les deux tours, pendant que l'UMP et le PS ne focalisaient que sur le FN en lui donnant ainsi, malgré eux, un rôle dominant, j'ai attendu désespérément que sur la société, l'immigration, la justice, la sécurité, l'état de droit, la morale publique et la quotidienneté douloureuse à vivre de trop de Français, soit exprimé un discours autonome et convaincant de la droite, autre chose, par la gauche, que le mantra du 11 janvier qui a déjà épuisé sa vigueur.
J'ai guetté, en vain, l'expression d'un humanisme qui ne soit pas irénique et niais, d'un réalisme qui ne soit pas d'exclusion et de discrimination.
A la prochaine, on fait quoi ?
Puisque demain le barrage se sera écroulé, il serait peut-être sain de s'interroger dès aujourd'hui sur les limites, les manques et l'échec d'une lutte purement éthique. Désaccordée par rapport au FN de la fille, nostalgique du père qui la justifiait trop souvent et, en définitive, succédané d'une impuissance politique ne se remettant jamais en cause face à un parti sur lequel on fantasme comme s'il était interdit alors qu'il s'élève dans cette République dont il ne serait pas.
A la prochaine, on fait quoi ?
On met en place une cellule de soutien pour les citoyens ? On persévère dans le grotesque et la bonne conscience creuse ?
Surtout, qu'on n'accuse pas les lucides, qui n'ont pas de leçons à recevoir, d'être plus dangereux et moins exemplaires que les verbeux de la République qui, la main sur le coeur et les yeux fermés, ont fait du FN ce qu'il est aujourd'hui.
J'ai peur de ce que sera leur réponse demain.
A la prochaine, on continue ?