De la portée réelle de la nouvelle présomption de justification des avantages catégoriels conventionnels dégagée par la Cour de cassation
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Patrick Berjaud, Marie Van Labeke, 19/02/2015
Dans plusieurs arrêts du 27 janvier 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation a modifié sa ligne jurisprudentielle en jugeant que les avantages accordés à certaines catégories de salariés (« avantages catégoriels ») étaient présumés justifiés. Il s’agit d’un revirement de jurisprudence par rapport aux arrêts du 8 juin 2011.
(Cass. soc 8 juin 2011 n°10-14.725 et Cass. soc 8 juin 2011 n°10-11.933)
1) En effet, depuis les arrêts du 8 juin 2011, la Cour de cassation estimait que les avantages accordés à certaines catégories de salariés heurtaient le principe d’égalité, à moins que ces différences ne reposent sur des raisons objectives dont les juges devaient contrôler la pertinence.
Cette jurisprudence posait quelques difficultés en pratique.
Tout d’abord, parce que les litiges mettaient souvent en cause un employeur qui se trouvait dans l’obligation de justifier que les dispositions prises au niveau de la branche respectaient le principe d’égalité et ce, alors qu’il ne faisait pas forcément partie des négociations, qui ont le plus souvent eu lieu au niveau national.
D’autre part, alors que les syndicats catégoriels disposent d’une capacité propre de représentation et de négociation, cette jurisprudence instaurait une méfiance à leur égard de sorte que toutes les dispositions négociées par eux étaient suspectes et risquaient d’être reconnues contraires au principe d’égalité. L’autonomie des syndicats catégoriels était donc mise à mal.
2) Le 27 janvier 2015 la chambre sociale met fin à l’obligation de justification des avantages catégoriels et instaure une présomption simple de justification :
« mais attendu que les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et des intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle » (Cass. soc 27 janvier 2015 n°13-22.179)
Dans le communiqué relatif à cet arrêt, la Cour de cassation estime que les négociateurs sociaux, qui agissent par délégation de la loi, doivent disposer dans la mise en œuvre du principe d’égalité d’une marge d’appréciation analogue à celle que le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur lui-même, ce qui est innovant en la matière.
Par cet arrêt la Cour de cassation donne aux partenaires sociaux une grande légitimité et confère au résultat de la négociation collective une plus grande sécurité juridique.
3) La conséquence la plus visible de ce revirement réside dans le déplacement de la charge de la preuve. Il revient désormais au salarié de prouver que les différences opérées par l’accord collectif entre les différentes catégories de salariés sont étrangères à toute « considération de nature professionnelle ».
u[La question du périmètre de la « considération de nature professionnelle »]u demeure, même si quelques éléments de réponse peuvent être relevés.
Le premier provient directement des éléments d’espèces relevés dans les arrêts du 27 janvier 2015.
On sait, depuis ce revirement, que la durée du préavis en cas de licenciement, l’indemnité de licenciement ou encore les conditions de confort pendant les déplacements professionnels sont bien des « considérations de nature professionnelles » auxquelles la présomption doit s’appliquer.
Cette solution a été notamment adoptée à propos des différences catégorielles instaurées par la convention collective nationale dite « Syntec » (convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils) (Cass. soc 27 janvier 2015 n°13-22.179) et de la convention collective des transports routiers (Cass. soc 27 janvier 2015 n°13-14.773)
Notons que de très nombreuses conventions collectives prévoient ces mêmes types de différences et qu’en adoptant une solution inverse, la Cour aurait poussé la majorité des branches professionnelles à renégocier dans l’urgence leurs conventions collectives.
La même solution a été adoptée par la Cour de cassation concernant les différences relatives à la prime d’ancienneté dans la convention collective nationale des industries chimiques. (Cass. soc 27 janvier 2015 n°13-25.437
Interrogé sur ce point, Jean Marc Béraud, Conseiller doyen à la Cour de cassation étant intervenu comme conseiller rapporteur dans l’une de ces affaires, a déclaré que la notion de « considérations professionnelles » sous-entendait l’idée que « les négociateurs sociaux sont constitutionnellement habilités à négocier les conditions de travail. Ce n’est que dans le cadre de cette habilitation qu’ils peuvent agir en disposant de la marge d’appréciation qui leur est reconnue par cette jurisprudence. Dès lors qu’ils sortiraient de ce mandat ils s’exposeraient au risque de la contestation. » (lamyline.fr)
Les réactions négatives à propos de ce revirement ne se sont cependant pas fait attendre ; le syndicat [Force Ouvrière]url: qui a réagi sur son site web préférait la solution antérieure : « laisser le juge contrôler la réalité et la pertinence de la différence de traitement était une sécurité pour tous ! »
Il n’en demeure pas moins que l’étendue et le contenu de la présomption ne pourront être précisés qu’au fil des contentieux futurs.
4) Enfin et pour terminer, il faut noter que sous l’empire de l’ancienne jurisprudence, il existait un régime juridique unifié en termes de différences catégorielles : que la différence trouve sa source dans un accord collectif ou dans un engagement unilatéral de l’employeur, ce dernier se devait de prouver les raisons objectives justifiant cette différence de la même manière.
Les arrêts du 27 janvier 2015 ont créé clairement une rupture. En effet la présomption de justification dégagée par la Cour de cassation ne s’applique que dans les cas où l’avantage catégoriel provient d’un accord collectif. En cas d’engagement unilatéral de la part de l’employeur, la présomption ne jouera pas et ce dernier devra prouver les raisons objectives justifiant la différence (Cass. soc 27 janvier 2015 n°13-17.622)
1) En effet, depuis les arrêts du 8 juin 2011, la Cour de cassation estimait que les avantages accordés à certaines catégories de salariés heurtaient le principe d’égalité, à moins que ces différences ne reposent sur des raisons objectives dont les juges devaient contrôler la pertinence.
Cette jurisprudence posait quelques difficultés en pratique.
Tout d’abord, parce que les litiges mettaient souvent en cause un employeur qui se trouvait dans l’obligation de justifier que les dispositions prises au niveau de la branche respectaient le principe d’égalité et ce, alors qu’il ne faisait pas forcément partie des négociations, qui ont le plus souvent eu lieu au niveau national.
D’autre part, alors que les syndicats catégoriels disposent d’une capacité propre de représentation et de négociation, cette jurisprudence instaurait une méfiance à leur égard de sorte que toutes les dispositions négociées par eux étaient suspectes et risquaient d’être reconnues contraires au principe d’égalité. L’autonomie des syndicats catégoriels était donc mise à mal.
2) Le 27 janvier 2015 la chambre sociale met fin à l’obligation de justification des avantages catégoriels et instaure une présomption simple de justification :
« mais attendu que les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et des intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle » (Cass. soc 27 janvier 2015 n°13-22.179)
Dans le communiqué relatif à cet arrêt, la Cour de cassation estime que les négociateurs sociaux, qui agissent par délégation de la loi, doivent disposer dans la mise en œuvre du principe d’égalité d’une marge d’appréciation analogue à celle que le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur lui-même, ce qui est innovant en la matière.
Par cet arrêt la Cour de cassation donne aux partenaires sociaux une grande légitimité et confère au résultat de la négociation collective une plus grande sécurité juridique.
3) La conséquence la plus visible de ce revirement réside dans le déplacement de la charge de la preuve. Il revient désormais au salarié de prouver que les différences opérées par l’accord collectif entre les différentes catégories de salariés sont étrangères à toute « considération de nature professionnelle ».
u[La question du périmètre de la « considération de nature professionnelle »]u demeure, même si quelques éléments de réponse peuvent être relevés.
Le premier provient directement des éléments d’espèces relevés dans les arrêts du 27 janvier 2015.
On sait, depuis ce revirement, que la durée du préavis en cas de licenciement, l’indemnité de licenciement ou encore les conditions de confort pendant les déplacements professionnels sont bien des « considérations de nature professionnelles » auxquelles la présomption doit s’appliquer.
Cette solution a été notamment adoptée à propos des différences catégorielles instaurées par la convention collective nationale dite « Syntec » (convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils) (Cass. soc 27 janvier 2015 n°13-22.179) et de la convention collective des transports routiers (Cass. soc 27 janvier 2015 n°13-14.773)
Notons que de très nombreuses conventions collectives prévoient ces mêmes types de différences et qu’en adoptant une solution inverse, la Cour aurait poussé la majorité des branches professionnelles à renégocier dans l’urgence leurs conventions collectives.
La même solution a été adoptée par la Cour de cassation concernant les différences relatives à la prime d’ancienneté dans la convention collective nationale des industries chimiques. (Cass. soc 27 janvier 2015 n°13-25.437
Interrogé sur ce point, Jean Marc Béraud, Conseiller doyen à la Cour de cassation étant intervenu comme conseiller rapporteur dans l’une de ces affaires, a déclaré que la notion de « considérations professionnelles » sous-entendait l’idée que « les négociateurs sociaux sont constitutionnellement habilités à négocier les conditions de travail. Ce n’est que dans le cadre de cette habilitation qu’ils peuvent agir en disposant de la marge d’appréciation qui leur est reconnue par cette jurisprudence. Dès lors qu’ils sortiraient de ce mandat ils s’exposeraient au risque de la contestation. » (lamyline.fr)
Les réactions négatives à propos de ce revirement ne se sont cependant pas fait attendre ; le syndicat [Force Ouvrière]url: qui a réagi sur son site web préférait la solution antérieure : « laisser le juge contrôler la réalité et la pertinence de la différence de traitement était une sécurité pour tous ! »
Il n’en demeure pas moins que l’étendue et le contenu de la présomption ne pourront être précisés qu’au fil des contentieux futurs.
4) Enfin et pour terminer, il faut noter que sous l’empire de l’ancienne jurisprudence, il existait un régime juridique unifié en termes de différences catégorielles : que la différence trouve sa source dans un accord collectif ou dans un engagement unilatéral de l’employeur, ce dernier se devait de prouver les raisons objectives justifiant cette différence de la même manière.
Les arrêts du 27 janvier 2015 ont créé clairement une rupture. En effet la présomption de justification dégagée par la Cour de cassation ne s’applique que dans les cas où l’avantage catégoriel provient d’un accord collectif. En cas d’engagement unilatéral de la part de l’employeur, la présomption ne jouera pas et ce dernier devra prouver les raisons objectives justifiant la différence (Cass. soc 27 janvier 2015 n°13-17.622)