Paradoxe : Sarkozy a émancipé la Justice !
Actualités du droit - Gilles Devers, 19/04/2012
Il faut essayer d’être juste quand on parle de Justice. Alors, regardons les faits. Les faits, c’est que la Justice est plus libre en 2012 qu’en 2007. Eh oui ! Et si Sarko est réélu – rien n’est impossible avec la campagne affective qui nous subissons – la Justice sera encore plus libre dans cinq ans. Elle aura gagné son indépendance en bataillant contre le pouvoir. Et çà, c’est plus fort qu’une réforme législative.
La QPC
Ca, c’est top, et c’est une réussite de Sarko. Ce n’est pas une révolution, en ce sens que nombre de pays pratiquent cette possibilité offerte aux citoyens de faire vérifier la constitutionnalité des lois en contestant la validité des textes qu’on leur oppose à l’occasion d’une procédure. Mais Sarko l’a fait voter alors que les autres en parlaient. Nickel. Auparavant la seule possibilité était le droit européen, soit devant les cours européennes (CJUE ou CEDH) – et ça marche très bien – soit devant les juridictions nationales (Cour de cassation ou Conseil d’Etat), et ça commence à bien marcher.
Deux cours européennes, deux cours nationales, et le Conseil constitutionnel qui veut se donner des airs de cour suprême… La concurrence a du bon, comme le dit ma copine Laurence Parisot, et comptez sur la société civile pour stimuler ce petit monde. En attendant, cela reste une vraie joie de voir les lois de la Sarkoband se faire fracasser à coups de QPC. Comme par exemple la loi du 5 juillet 2011 sur la répression des patients-psy qui est déjà en dentelle. Durée de vie d’une loi liberticide : moins de deux ans.
L’affaiblissement de la loi
Ca, c’est le pire, mais en réaction, il y a eu du bon. Un évènement passé au jité de TF1, une loi ; une démangeaison mal placée, un décret. Ces cinq années ont été infernales. Au début, c’était de l’incontinence législative, mais on a fini par des crises convulsives, aggravées de diarrhées verbales. Une réforme par an pour le droit de mineurs, ces sales gosses… C’est-à-dire qu’avant même d’analyser ces lois, il faut constater ces graves attentats contre la loi elle-même, commis par une association de malfaiteurs, en relation avec un groupe radical.
Dans la démocratie, nous discutons de tout, et de temps en temps, on décide des choses par la loi, expression de la volonté générale. La loi, c’est notre règle commune, c’est notre outil pour décider. La frénésie législative de Sarko a beaucoup affaibli la loi, mais a un degré tel que la Justice, ne pouvant suivre, s’est mise à recréer avec pragmatisme un corps de règles praticables. Les mauvaises lois, changeantes et insignifiantes, restent à l’état gazeux, et se dégage une lecture jurisprudentielle du droit, assise sur les grands principes. Avant, une loi s’était une loi : on l’appliquait sans discuter. Maintenant, on la passe au scanner pour voir si on peut en faire quelque chose, et on avise, donnant chaque jour plus de force à cette réalité : le droit, c’est la loi… telle que le juge l’interprète.
Les professions judiciaires revigorées
Cà, c’est le plus rigolo. Sarko voulait laminer les petits pois que sont les magistrats, persuadé que ce n’étaient pas ce petit corps de 8 000 personnes qui allait brider sa vaillante action. C’est peu dire que la magistrature a été malmenée : discrédit public, multiplication des textes, étranglement des crédits devant des tâches exponentielles, autoritarisme, nominations zarbies…
Oki. Mais au final ? La magistrature a gagné sur bien des tableaux, et d’abord sur le terrain de l’indépendance. La double volonté de supprimer le juge d’instruction et d’imposer aux procureurs le fonctionnement de la préfectorale – Ah, Rachida… – s’est explosée sur les réalités. Les magistrats ont un statut qui les oblige et un rôle social vital, alors ça se joue à la marge. Mais ils ont joué de cette marge comme jamais, et s’est imposée en douce France l’idée d’une indéfectible association entre « magistrat » et « indépendance », selon la référence internationale.
Alors, quel bilan apaisé de ces années énervées ? Le renforcement des droits fondamentaux, une jurisprudence qui se construit sur les plus structurants des principes, et la magistrature dopée aux vitamines de l’indépendance. Pas si mal. Ces années auront été émancipatrices comme jamais. Mais on n'est bien d'accord : ce n’est pas une raison pour reprendre une peine de cinq ans incompressibles...
Lutte pour l’émancipation, David Alfaro Siqueiros (1896-1974)