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Le président : objet d'étude et de déception ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 9/09/2020

Un président est condamné à décevoir sauf s'il ne se fabrique pas une amnésie opportuniste.

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Un président de la République est-il condamné à décevoir ? Après l'enchantement des promesses, la leçon du réel ?

Le hasard fait que Le Monde et le JDD - dans un registre plus savant pour Le Monde - ont consacré chacun une double page à l'analyse du macronisme et à l'apport du président dans la vie politique française.

Il me semble que, pour qui n'est pas un spécialiste de ces analyses, Emmanuel Macron offre d'abord, après plus de trois années, l'image d'un président capable d'un incroyable pragmatisme mais qui le conduit à ne pas appréhender toutes les réalités de la même manière. Il écarte les unes mais tient compte des autres.

Les premières, exigeant l'effort, la tension et le courage du régalien, ne l'intéressent pas. Les secondes se rappellent à lui trop brutalement et il n'a pas ou plus le choix.

Face aux Gilets jaunes, durant cette si longue effervescence acceptable dans son principe mais trop violente dans quelques-unes de ses manifestations, il est demeuré silencieux, avec une sorte d'abstention qui pouvait être perçue au mieux pour de l'indifférence, au pire pour de l'arrogance. Il ne voulait pas voir ni prendre en considération ce réel qui lui était imposé et semblait le narguer telle une offense à la pureté de ses concepts.

Il n'empêche que, quelques semaines après, il a proposé une analyse infiniment clairvoyante de ce qui s'était déroulé en étant convaincu des effets durables de ce paroxysme civique. Dans l'instant il refusait de le prendre en compte, plus tard, trop tard, il théorisait sur lui. Il y a là la marque d'un caractère qui refuse de se soumettre à ce que l'événement dicte : celui-ci attendra.

En revanche, il y a des réalités qui battent trop en brèche son émolliente conception de la vie en société, sa prédilection pour les interprétations sociologiques, sa répugnance à s'appesantir sur les mots qui blessent parce qu'ils sont révélateurs de l'état de la France, et donc de son propre échec, pour être acceptées. Elles sont indésirables, intempestives parce qu'elles ne lui permettent pas, avec une royale désinvolture, d'oser prétendre que lui s'occupe des problèmes de sécurité des Français quand la communauté nationale, dans son ensemble, à l'exception de quelques idéologues aveugles d'extrême gauche, sait qu'il affirme ce que précisément il n'accomplit pas.

Ce réel est odieux qui contredit l'intellectuel, l'intellectuel de gauche et le président obsédé par l'économique, le social, l'Europe et l'équilibre du monde. Et qui détourne, selon lui, de l'essentiel, puisque les angoisses de ce peuple trop préoccupé par son identité, son intégrité, sa coexistence avec la malfaisance et ses biens sont un tantinet inélégantes et vulgaires en venant troubler l'économie et la finance.

Emmanuel Macron a mieux à faire.

François Hollande qui n'a pas de leçons à donner voit cependant juste quand il énonce que "ces sujets ne sont pas au coeur de son action" et qu'il déplore subtilement les défaillances de l'Etat et le manque d'autorité (BFM TV).

Emmanuel_Macron_in_2019

Libéral, se disant progressiste (pour Lionel Jospin, cette étiquette ne signifie rien), autoritaire dans sa pratique, piètre DRH, se regardant et s'écoutant présider, fulgurant par moments, se réinventant si souvent qu'il oublie son point de départ, il est en effet encore suffisamment singulier dans notre espace démocratique pour justifier les études faites sur lui.

Il ne faut pas oublier cependant que, sauf durant sa première année, il n'a jamais pu agir d'initiative, contraint par la suite à s'ajuster, s'adapter, tenter des contre-attaques, user du Grand débat qui lui avait été imposé pour sortir à son avantage de la nasse, s'appuyant sur l'adversaire pour le réduire, feignant d'être de droite pour immobiliser celle-ci, combattant le RN mais le promouvant ainsi cyniquement pour être assuré de sa présence fidèle en 2022, humaniste par culture, cynique par politique, empathique par obligation, altruiste par tactique, admiratif par dessein, conformiste par rentabilité mais épris de soi parce qu'il domine, le président est passionnant à observer, à critiquer, à soutenir. Mais dans son seul sillage.

Derrière ces facettes multiples, tout de même de la déception.

Paradoxalement, pourtant, il a bénéficié d'un avantage démocratique par rapport à Nicolas Sarkozy. Celui-ci a profondément désappointé ceux qui croyaient à sa "République irréprochable" parce qu'il s'agissait au fond d'un engagement facile à tenir et qu'il l'a trahi quand rien ne l'y contraignait. C'est à cause de cette transgression radicale évitable que je lui en ai voulu.

Alors qu'Emmanuel Macron, nous ayant fait espérer le "nouveau monde", sonnait comme un miracle à nos esprits et à nos oreilles mais relevait d'un rêve impossible pour le commun des citoyens. Donc il était d'emblée plus pardonnable !

Pour le reste, que d'illusions abandonnées sur le tapis républicain !

De la parole rare à la parole longue, profuse, surabondante.

De l'allure à des attitudes parfois vulgaires mais, il faut être juste, rapidement infléchies, voire éliminées.

D'un état de droit honoré comme il convient, à des pratiques, à des choix et à des désignations montrant comme la compétence était secondaire par rapport à l'inconditionnalité et à la fidélité.

D'un pouvoir singulier pour le meilleur à un mandat banal pourfois pour le pire.

D'une aurore hors de l'ordinaire à une présidence plausible en objet d'étude, incontestable en objet de déception.

Un président est condamné à décevoir sauf s'il ne se fabrique pas une amnésie opportuniste.


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