Gérard Depardieu aurait-il dû avoir l'argent patriote ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 11/12/2012
Des paradoxes français.
Alors que la crise durable, profonde et dévastatrice de l'UMP aurait dû ouvrir une voie royale pour le Pouvoir socialiste et porter au plus haut le FN, les trois élections législatives partielles, dont le premier tour a eu lieu le 9 décembre, ont déjoué tous les pronostics.
En effet, et au contraire, l'UMP largement en tête, au point que Patrick Devedjian, qui est apprécié au-delà de son camp, a failli être élu à quelques voix près. Le FN contenu, en tout cas déçu, Gilbert Collard ayant eu l'honnêteté de le déclarer. Les socialistes en chute libre. Cela montre à quel point le fond de la politique et les méthodes de gouvernement pèsent plus que la déconfiture de l'opposition classique qui gagne à ne rien faire.
Un autre paradoxe plus léger en apparence mais très révélateur tout de même.
Gérard Depardieu va habiter durant la moitié de l'année en Belgique. Même s'il aime bien la commune où il va s'installer, les gens, les commerces et les cafés, on sait bien que sa principale motivation est d'ordre fiscal. La Belgique est un havre de sérénité pour ceux qu'angoisse, à tort ou à raison, le niveau de la fiscalité française, notamment le taux prévu pour les très hauts revenus (Le Monde, Libération).
Se gausser de cet exil tout relatif est facile mais manquerait l'essentiel.
Gérard Depardieu n'aurait pas l'argent patriote et il n'aurait pas dû prendre une telle décision, lui qui par ailleurs est une gloire nationale, un artiste qui malgré quelques incidents navrants que son appétit sensuel de la vie a causés trop souvent, est apprécié et admiré par beaucoup ?
Pourtant, à y bien réfléchir, il y a quelque chose d'incongru et peut-être d'injuste dans le vague ressentiment que chacun éprouve sans doute à l'encontre de cet abandon, de l'attitude de ce déserteur. Comme s'il nous laissait seuls et qu'on le lui reprochait. Presque une trahison.
Mais il conviendrait d'être cohérent, et moi le premier. On vante Internet, la mondialisation, un monde heureusement sans frontières, une vaste communauté internationale où tout est dans tout et où les nations, les pays sont réduits à une portion congrue, dérisoire. Est conservateur, pour ne pas dire rétrograde celui qui s'attache à sa terre, à son travail, à sa maison. Celui qui a des racines. Celui qui ne vibre pas aux grands vents de l'aventure et du dépaysement. On n'est plus, on ne doit plus être de quelque part. Le drapeau, l'armée, tout ce qui structure et constitue comme la plaque d'identité d'une nation est battu en brèche, souvent ridiculisé. Avoir peur de l'étranger, quel qu'il soit, est une honte, la manifestation d'une débilité archaïque. Chez soi, ce doit être partout. Florange a été un combat d'arrière-garde.
Alors au nom de quoi viendrait-on aujourd'hui blâmer celui qui tirerait toutes les conséquences de cet état de fait, de cet état d'esprit ? Il serait moral de demeurer immobile seulement pour l'argent, la gestion de sa fortune ? Il ne serait pas bien de prétendre sauver ses biens, minimiser ses pertes en allant ailleurs ? Le patriotisme authentique est moqué mais on serait un mauvais patriote en se déplaçant en Belgique, à quelques kilomètres seulement de la France ?
Sans rire, l'argent exclusivement devrait se parer de tricolore ?
L'argent et, bizarrement, les joueurs de l'équipe de France de foot qui devraient chanter La Marseillaise à gorge déployée. On n'a pas tort mais il est comique de voir l'amour de la France et les devoirs qu'il appelle être réduits au foot et à la fiscalité.
Je n'oublie pas que derrière notre désappointement se cache aussi une sourde envie. Non seulement ils ont de l'argent mais ils osent partir. Nous, on reste, on stagne.
Si des "riches" vont nous quitter à l'avenir, ce ne sera pas tant à cause des impôts que sous l'effet d'une France qu'on nous a habitués à ne plus cultiver, célébrer, servir. Les cocoricos sportifs sont un piètre succédané au grand destin national qui nous manque. La France, devenue un ancrage de hasard, demain sera un regret consolable.
Le jour où la France s'aimera et se respectera, elle ne se quittera plus.