L’hommage des juges à la liberté d’expression des hommes politiques
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 28/11/2014
L’affaire avait enflammé le débat politique. Au lendemain de l’annonce de la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour « abus de faiblesse » au préjudice de Liliane Bettencourt, en mars 2013, le député (UMP) Henri Guaino avait dénoncé publiquement et à plusieurs reprises une décision « grotesque », « irresponsable » et « indigne ». Il s’en était pris tout particulièrement au juge Gentil, cosaisi avec deux autres magistrats sur ce dossier, en soulignant qu’il avait « déshonoré un homme, déshonoré les institutions et déshonoré la justice ».
Sollicité par le président de l’Union syndicale des magistrats (USM), Christophe Regnard, le parquet avait décidé de poursuivre Henri Guaino pour « outrage » à l’encontre du juge Jean-Michel Gentil et « discrédit jeté sur une décision de justice ». A l’audience, qui s’est tenue le 22 octobre devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, le procureur avait requis 3 000 euros d’amende contre le parlementaire et ancien conseiller de Nicolas Sarkozy. Le juge Gentil avait sollicité pour sa part 100 000 euros de dommages et intérêts.
Aux juges de la 17e, il revenait donc de trancher le grave dilemme entre le respect dû à l’un des leurs et à l’institution qu’ils incarnent, et celui de la liberté d’expression élargie dont bénéficient les responsables politiques. Le jugement rendu jeudi 27 novembre, et signé de la présidente Anne-Marie Sauteraud, est à cet égard un modèle d’équilibre.
Après avoir rappelé que les magistrats doivent être « particulièrement protégés en raison de leur devoir de réserve qui les empêche de réagir directement », le jugement souligne qu’Henri Guaino « n’a fait qu’exprimer son indignation sans proférer d’injures ni de menaces ». Ils relèvent en outre que sa position a été soutenue par une centaine de parlementaires qui n’ont pas été poursuivis et que Nicolas Sarkozy a, par la suite, bénéficié d’un non-lieu dans ce dossier d’abus de faiblesse.
En conséquence, indique le jugement, malgré la « violence » réitérée de ses propos, « il serait disproportionné de prononcer une sanction pénale à l’encontre d’Henri Guaino qui, s’exprimant en qualité d’élu dans le cadre d’un sujet d’intérêt général, n’a pas dépassé les limites admissibles de la liberté d’expression concernant la critique de la décision d’un magistrat ».
En prononçant la relaxe du député, les juges de la 17e n’ont pas seulement défendu le droit à la critique des responsables politiques sans lequel il n’est pas de démocratie, ils l’ont fait prévaloir contre la défense des intérêts de leur corporation. La chambre des « libertés publiques » a doublement mérité son titre.
Le parquet a fait appel de cette décision.