La justice criminelle est acquittée
Justice au singulier - philippe.bilger, 5/01/2013
Dans les médias, il y a des "marronniers" de toutes sortes: les régimes, l'immobilier, le classement des hôpitaux, la franc-maçonnerie, etc.
Pourquoi pas, alors, les cours d'assises ?
Une double page leur est consacrée par le Parisien qui, à sa manière à la fois pédagogique et orientée, titre l'article de fond : Des dizaines d'acquittés chaque année aux assises.
Le quotidien se propose aussi de nous communiquer "ce qu'en pensent avocats et magistrats" - dessein qui se résume à retenir les propos de Me Jean-Yves Liénard, d'un ancien président de cour d'assises et d'un juge d'instruction qui a été assesseur aux assises en première instance ou en appel. C'est peu.
Depuis l'instauration de l'appel criminel - d'abord, seulement une "seconde chance" au bénéfice du seul accusé puis l'appel ouvert au ministère public-, les chiffres d'acquittement sont évalués en première instance à 6% des accusés et à 12% en appel.
Force est de constater que le bouleversement espéré par beaucoup d'avocats, avec cette voie de recours dont ils attendaient monts et innocences, ne s'est pas produit et qu'au sens strict les accusés acquittés l'ont été plus au nom du doute - les preuves n'étaient pas suffisantes pour les décréter coupables et les condamner - qu'au titre d'une innocence qui, à ma connaissance, n'a jamais été consacrée par l'apparition ultérieure du véritable coupable. Ce sont donc des acquittements tout à fait justifiés mais qui ne sauraient en aucun cas permettre de mettre en cause les cours d'assises, puisque l'expérience démontre que la sphère d'incertitude, entre la première instance et l'appel, est très étroite et que la conviction, pour quelques affaires seulement, peut aller sans scandale de la sanction vers l'absolution ou inversement.
Les statistiques mentionnées sont très éclairantes, par ailleurs, dans la mesure où elles valident un socle massif qui est constitué par une très grande majorité de mises en cause criminelles justifiées. En dépit d'un discours banalement hostile à l'accusation de la part des plus médiocres des avocats, le jury populaire - même s'il a été absurdement réduit- demeure solide et ne s'en laisse pas conter par n'importe qui et sur n'importe quoi.
Plus que jamais, on est obligé de constater que la magie sombre de la cour d'assises et de sa formidable oralité des débats est suscitée par l'obligation d'excellence qui pèse sur toutes les parties au procès. Des avocats limités, en défense et/ou pour la partie civile, un avocat général passif, un président feuilletant les pièces du dossier au lieu de regarder l'accusé, les plaignants, les témoins et les experts dans les yeux - la cour d'assises est sûre alors de tomber dans une justice ordinaire alors qu'elle devrait être exceptionnelle pour rendre hommage au peuple français qui en est à la fois en l'occurrence le créateur et l'observateur. Je suis persuadé que les grands présidents parisiens d'aujourd'hui sont convaincus de la réalité de cette charge et de cet honneur : être exemplaires.
L'avocat de haute volée - Me Dupond Moretti, Me Temime, Me Lévy par exemple- trouve ou retrouve aux assises le bonheur intellectuel, l'intensité judiciaire, le respect professionnel qui font que, se sentant respectés, ils parviennent, parce qu'ils sont écoutés véritablement, en certaines circonstances, à faire pencher vers leur cause une majorité d'intelligences et de sensibilités.
Mais les pourcentages sont faibles. Utiles, nécessaires pour signifier la légitimité d'un appareil criminel qui, sans ces acquittements en amont ou en aval, ferait croire à une justice monolithique et unilatérale. Il y a de la vie et de la respiration dans cet univers de gravité.
Un acquittement n'est pas un brevet d'innocence : Me Lienard a raison. Mais de bonne conduite citoyenne, ajoute-t-il.
Pas seulement quand on acquitte. Quand on condamne aussi.
A bon escient.
Après un très court délibéré avec moi-même, la justice criminelle est acquittée au bénéfice de son rôle capital et irremplaçable.