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La vie privée pour tous ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 12/12/2014

Les vertus privées font les vertus publiques. Ce que la Cour européenne des droits de l'homme a affirmé et qui hier encore aurait été considéré comme une intolérable totalité, aujourd'hui devient peu à peu une évidence. La vie privée n'est pas pour tous.

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Florian Philippot est homosexuel et est photographié, par Closer, avec son compagnon.

L'indignation de certains me semble excessive : il y a des motifs plus sérieux dans la France d'aujourd'hui pour se laisser aller à ce paroxysme de l'humeur et même "l'atteinte très grave" dénoncée par Marine Le Pen me paraît disproportionnée à ce qui n'est qu'une une intrusion certes "insupportable" mais indolore dans la vie privée de Florian Philippot.

Comme l'a justement souligné Valérie Expert sur LCI dans "Choisissez votre camp", il ne faudrait pas que les bons sentiments conduisent, en définitive, à faire à l'homosexualité, qui souhaite qu'on la banalise, un sort médiatique discriminant par rapport aux couples hétérosexuels.

Il n'empêche que, de la part de Closer, en l'occurrence il n'y a pas l'ombre d'une justification acceptable pour cet "outing" d'autant plus choquant que Florian Philippot avait toujours refusé de répondre, dans les entretiens, à des questions relatives à sa vie privée.

On ne saurait arguer de sa forte médiatisation à l'indéniable caractère politique pour tenter de faire admettre que celle-ci devrait avoir pour conséquence naturelle cette indiscrétion intime.

Sur le plan civique, sauf à rattacher abusivement le débat sur le mariage pour tous à certaines orientations de vie personnelle au sein du Front national, il est difficile de soutenir que l'information divulguée par Closer était nécessaire à la compréhension du personnage public et engagé qu'est Florian Philippot depuis quelques années.

Une séparation radicale était donc non seulement possible mais souhaitable entre l'être privé et le responsable politique. Ne pas l'avoir respectée met clairement Closer du côté d'un voyeurisme gratuit, sans la moindre utilité sociale et démocratique.

Comme Marine Le Pen, dans l'excellente émission qu'est Mediapolis, a mis sur le même plan, en les unissant dans le même opprobre, ce qui était advenu à François Hollande et ce dont Florian Philippot va se plaindre, je voudrais faire une distinction qui ne me semble pas artificielle.

La vie privée de Florian Philippot doit lui appartenir totalement parce que rien, en elle, ne nous regarde.

En revanche, le peuple français, en élisant François Hollande président de la République, lui a certes d'abord confié un mandat public mais ne s'est pas privé du droit de se montrer vigilant et "regardant" sur cette part de vie apparemment privée mais qui pourrait utilement éclairer l'appréhension de son comportement présidentiel.

Pour parler net, Valérie Trierweiler étant à l'Elysée, une liaison avec Julie Gayet et l'escapade ridicule parce que dévoilée de la rue du Cirque ne rendaient pas Closer totalement illégitime dans sa démarche d'exposition. Je suis persuadé que, même si beaucoup s'en défendent, cet épisode a non seulement fait rire la presse internationale mais troublé, déstabilisé les Français.

Ils sont très peu, aujourd'hui, ceux qui oseraient affirmer que la vie privée agitée de François Hollande - et le pire était à venir avec le livre vindicatif et vulgaire de Valérie Trierweiler - n'aura jamais la moindre incidence sur leur regard de républicains. Le président n'est pas n'importe qui, il est investi de notre confiance et de notre honneur. Il est légitime que tout ce qui est de nature à affaiblir l'une et à ruiner l'autre soit connu, même dans des séquences malencontreusement surgies en pleine lumière.

Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer à François Hollande le même traitement que celui qui m'a conduit, en certaines circonstances, à estimer Nicolas Sarkozy indigne de sa fonction globalement entendue, privé et public confondus.

Marine Le Pen a déclaré que tout cela était de "la faute des magistrats" parce que les magazines et publications du type de Closer ne seraient pas assez durement frappés financièrement et que donc leurs bénéfices les inciteraient à continuer de plus belle.

Ce n'est pas exact. La jurisprudence en matière de vie privée a longtemps été d'une sévérité absurde en octroyant des dommages intérêts délirants à des "victimes", des chanteurs, des acteurs et des people engrangeant des gains par ce moyen, surtout avec une disposition civile n'imposant pas la démonstration d'un préjudice. Elle a été la bonne conscience d'une magistrature s'en donnant à coeur joie, dans un microcosme de mauvais aloi, pour enrichir des vedettes et leurs avocats.

On peut regretter, comme dans le cas de Florian Philippot, que la vie privée ne le demeure pas. Mais, pour les suprêmes responsabilités publiques, le citoyen ne se contentera plus d'une vertu et d'une intégrité à mi-temps.

Les vertus privées font les vertus publiques. Ce que la Cour européenne des droits de l'homme a affirmé et qui hier encore aurait été considéré comme une intolérable totalité, aujourd'hui devient peu à peu une évidence.

La vie privée n'est pas pour tous.


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