Jésus a-t-il une politique ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 19/01/2012
Etienne Pinte, député UMP, déplore que "le FN soit devenu acceptable, même pour les chrétiens" alors que pour lui il est clairement incompatible avec la foi chrétienne car "c'est un problème de conception de l'Homme et de sa projection sur le plan collectif" (Le Monde).
A l'évidence, pour ce parlementaire qui a été si proche de Philippe Séguin et s'est toujours distingué par ses positions obstinément humanistes, je ne suis pas sûr que la distinction entre ce qu'il faudrait rendre à César et ce qu'il conviendrait de rendre à Dieu soit opératoire. Sa pensée et sa vision mêlent au contraire les deux mondes et s'efforcent d'appliquer au premier les exigences absolues du second. Je ne sais s'il a raison même s'il m'a souvent paru déplacé de se vanter de laisser à l'écart la morale chrétienne dans ce qu'elle a d'universel, de sa pratique politique. A quoi alors servirait celle-là si elle n'avait pas le droit d'irriguer celle-ci ?
Je ne me serais pas engagé dans l'écriture de ce billet et j'aurais sans doute choisi des thèmes plus profanes, que l'actualité propose à foison, si je n'avais été profondément touché par la biographie de Jésus par Jean-Christophe Petitfils qui apparemment a su passer avec science et virtuosité de Louis XVI à la relation de trois années d'une vie inouïe et d'une mort sacrificielle.
C'est grâce à ce formidable livre, parce qu'en distinguant avec rigueur la foi de l'histoire il jette dans la tête et le coeur des faits, des ruptures, des provocations, des révoltes, des enseignements, des paraboles, des interrogations, des croyances, des doutes et des fulgurances, que j'ose aborder ce sujet. Pourtant, une sorte de pudeur m'a longtemps dissuadé, je ne sais pourquoi, d'exposer mon rapport à la religion comme s'il y avait quelque chose d'indécent à rendre accessible l'intimité de son âme. Aussi, j'ai admiré les êtres qui n'hésitaient pas, eux, à manifester leur foi. Je songe notamment à mon frère Pierre et sur un autre plan à Loïc Rémy, footballeur marseillais, qui dans les interviews qu'il donne ne manque jamais d'évoquer sa croyance et sa pratique catholiques. Je constate un progrès de la part des médias puisqu'hier l'ironie dominait alors qu'aujourd'hui le ton au moins reste neutre.
Peut-être aussi ai-je verrouillé ma personnalité sur ce plan, en dépit de la perception presque physique d'un besoin de transcendance, pour ne pas donner prise, à rebours, aux rires gras de certains incroyants et à la légèreté de ceux qui traitent avec une exaspérante désinvolture les idées, les sentiments, les croyances des autres parce qu'ils ne les partagent pas au lieu de se taire, précisément à cause de cette différence. Mon ignorance théorique sur le plan religieux n'était pas non plus pour rien dans ce mutisme qui préférait questionner les doutes ou les certitudes d'autrui par défaut d'une parole suffisamment éclairée.
On ne lit pas le Jésus de Jean-Christophe Petitfils comme s'il s'agissait d'un ouvrage ordinaire. Je ne prétends pas que cette aventure, cette épopée, cette histoire seraient susceptibles d'entraîner, grâce à elles seules même magnifiquement racontées par cet écrivain à la fois érudit et sensible, une conversion, une révolution intérieure.
Petitfils traduit seulement, par quelques tremblements du style généralement retenu et classique, la conviction qu'il est sorti du registre de la littérature pour entrer dans un territoire étrange qui au moins ne pourra laisser personne indifférent. Pour ma part - et je suis navré de ce poncif et, pour les spécialistes, de cette naïveté -, totalement stupéfié à la fin de ma lecture qui m'avait présenté globalement et dans le détail ce que je n'avais connu que par bribes superficielles il y a longtemps, je me suis demandé comment on pouvait demeurer insensible, dans ces trois années d'homme apparemment ordinaire, à cette impressionnante et dominante sensation, à chaque instant, d'extra-ordinaire au sens propre. Les démarches, les mots, les guérisons, l'inimaginable nouveauté des discours et des gestes, la philosophie toute de rupture, de violence nécessaire et de douceur partagée, l'invocation permanente du Père, son dialogue ininterrompu avec lui dans la puissance comme dans l'angoisse, sa mort assumée dans des conditions atroces et imprégnée de singularités, d'une bienveillance sur-humaine - tout cela relève-t-il d'épisodes déjà connus, de la chronique de gourous, de prophètes, de thaumaturges ou bien y a-t-il une coupure brutale, radicale, décisive entre ces personnalités d'avant et Jésus parce que celui-ci ne pouvait pas vivre, penser, parler, agir et mourir de cette manière sans être à l'évidence plus que son enveloppe terrestre - une transcendance incarnée ?
Il y aura certainement parmi mes lecteurs des intelligences, des savoirs et des sensibilités qui parviendront à m'éclairer, à répondre à mes interrogations et à trouver ridicules ou légitimes mes états d'âme. Dans notre société, malgré l'abondance des livres, on demeure souvent sans voix devant les problèmes métaphysiques parce qu'on a rarement la chance ou l'opportunité de pouvoir dialoguer avec des consciences et des dispensateurs de vérité. Dieu, Jésus, pourquoi le mal existe-t-il si le divin est bon et tout-puissant, la mort, la vie éternelle, le matérialisme, les humanistes sans adhésion au surnaturel, le sens de la vie, autant de profondeurs vertigineuses au sujet desquelles je rêverais d'avoir des maîtres, des défricheurs. Une sorte d'Onfray qui ne serait pas accroché à son dogme contraire ? Mais, trop souvent, on est tout seul dans son angoisse, dans son crépuscule.
Pourtant, il faut absolument lire Jésus de Jean-Christophe Petitfils.