L’affaire PIP et le « préjudice » de la perte de confiance
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 27/04/2013
S'il y a des dossiers qui gagnent à être débattus contradictoirement dans une enceinte judiciaire, ce sont bien ceux qui mettent en cause la santé publique. Comme tous les "scandales" sanitaires, l'affaire PIP, du nom de cette entreprise varoise qui a fourni pendant dix ans des prothèses mammaires non conformes, a connu son lot de simplifications abusives. L'émotion suscitée par le nombre de femmes touchées - les autorités sanitaires estiment à 30 000 les porteuses d'implants PIP en France - la vulnérabilité de ces victimes de tous âges et de tous milieux qui ont eu recours à la reconstruction mammaire après un cancer du sein ou par souci esthétique, le gigantisme d'un procès dans lequel plus de 6000 parties civiles se sont constituées, ne facilitent pas l'approche sereine et forcément complexe des responsabilités.
Mais si les débats devant le tribunal correctionnel de Marseille se sont révélés passionnants, c'est justement parce qu'ils ont échappé à la caricature.
Les quatre hommes, dont le fondateur de l'entreprise Jean-Claude Mas, et la femme qui comparaissent pour "tromperie aggravée" et "escroquerie" ne sont pas des Pieds nickelés sans foi ni loi qui auraient habilement exploité la crédulité des femmes pour gagner de l'argent. Et PIP n'était pas une officine où l'on bricolait des prothèses mais cette entreprise de haute qualité présentée par le témoin Jean-Christophe Born, chargé à l'automne 2010 de la mission d'inspection de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex Afssaps), par laquelle toute l'affaire allait éclater: "Si j'avais cela à chaque fois que je fais une inspection, ce serait parfait!" a t-il lancé à la barre du tribunal, en décrivant des "salles blanches exceptionnelles", des locaux "parfaitement propres", un "personnel compétent" et un "dossier de conception (des produits) qui était un cas d'école". "Sauf qu'il était faux", a rétorqué la présidente Claude Vieillard.
Et c'est là que l'enjeu de l'affaire PIP dépasse le seul sort pénal des cinq personnes poursuivies. La société varoise a en effet vécu pendant plus de dix ans sur le mensonge. "Un mensonge d'entreprise qui avait fini par faire partie de la culture maison", a abruptement résumé l'un des prévenus, Thierry Brinon, qui était le directeur qualité de PIP. Ce mensonge était celui de l'utilisation d'un gel de silicone non homologué pour remplir les prothèses en lieu et place du gel certifié de marque Nusil qui figurait dans le dossier de fabrication. S'il a pu perdurer aussi longtemps, c'est d'abord parce que le fondateur de la société, Jean-Claude Mas, était persuadé - il l'est encore - que son produit était le meilleur et qu'il s'est efforcé d'en convaincre ses salariés. Tous sont venus l'affirmer à la barre: à aucun moment, ils n'ont eu conscience d'une éventuelle nocivité du gel. Celle-ci n'est d'ailleurs établie par aucune des études réalisées depuis l’affaire. Si la circonstance aggravante d'atteinte à la santé publique a bien été visée par l'accusation contre les prévenus, c'est à raison du risque supplémentaire que font courir, pour les femmes, les interventions chirurgicales d'explantation et de remplacement des prothèses défaillantes.
Mais tous les salariés ont en revanche contribué, par leur silence et leur acceptation tacite, à la perpétuation de la fraude réglementaire originelle. Parmi ceux-là, l'accusation n'a retenu que les principaux cadres dirigeants, qui étaient en poste au moment de la découverte du mensonge. Un “tri” selectif d’ailleurs contesté par la défense. Les autres ont été entendus comme témoins. Et ce fut à l'audience un défilé de petites lâchetés humaines, à la fois vertigineuses et terriblement banales.
Témoins et prévenus ont aussi raconté la volonté exprimée à plusieurs reprises dans l'entreprise de changer les choses et de se mettre en conformité. "Il y avait, malgré tout, une certaine volonté d'honnêteté. Mais on nous disait que la société ne pouvait pas tout assurer financièrement d'un coup, qu'on allait y arriver étape par étape."
D'autant que les alertes ne manquaient pas. Les commerciaux qui rapportaient les récriminations des chirurgiens contre le taux de rupture anormalement élevé des prothèses, voyaient leurs critiques balayées par Jean-Claude Mas. “Il les surnommait les pleureuses”, a confié un témoin.
Alors, la fraude continuait. Il en est pourtant quelques-uns qui ont dit non. Ainsi de cet ingénieur en sécurité des matériaux qui, après s’être longtemps tu, a décidé un jour de présenter sa démission à Jean-Claude Mas, mais qui n'a pas pour autant alerté les autorités sanitaires.
A l'avocate de l'Agence nationale de surveillance du médicament (ANSM), partie civile au procès, qui lui demandait pourquoi, il avait répondu avec des mots simples :
- Pourquoi est-ce qu'on ne dénonce pas son employeur? Parce que c'est son employeur. Parce qu'il y a 100 ou 120 personnes qui travaillent dans l'entreprise. Parce que derrière elles, il y a 100 ou 120 familles. Et que c'est lourd." Il y a tout cela parmi les causes d'un "scandale sanitaire" et c'est l'un des mérites de ce procès de le montrer.
Mais il y a aussi les conséquences d’une telle affaire. Pour les femmes, d'abord, qui sont venues témoigner de l'épreuve supplémentaire auxquelles elles sont confrontées. Pour la sécurité sociale, qui finance les opérations d'explantation et de réimplantation des prothèses mammaires chez les porteuses de PIP. Mais aussi, plus largement, pour des citoyens qui perçoivent, à travers ce dossier, les défaillances des contrôles de sécurité sanitaires. Ce sentiment a été cruellement résumé par l'une des patientes partie civile. "Je n'ai pas le syndrome de l'anxiété. Mais j'ai celui de la perte de confiance totale dans tout ce qu'on me dit sur ce que l'on peut ingérer ou respirer." "La perte de confiance", quel montant de préjudice pour une société ?
Réquisitoire le 14 mai.