La Cour Pénale Internationale, la justice de l’avenir
Actualités du droit - Gilles Devers, 14/03/2012
Hier, la Cour Pénale Internationale a rendu son premier jugement : le Congolais Thomas Lubanga Dyilo a été déclaré coupable d’avoir procédé à la conscription et à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans et de les avoir fait participer activement à des hostilités du 1er septembre 2002 au 13 août 2003. Deux crimes de guerre. La Cour n’a statué que sur la culpabilité, et lors d’une prochaine audience elle se prononcera sur la sanction pénale et sur les réparations.
Je ne prends pas aujourd’hui le risque d’une analyse du jugement,… car la décision de la Cour fait 624 pages. Il y aura peut-être de vives critiques à formuler contre cette décision, et la défense peut faire appel. Mais je me frise déjà les moustaches – que je n’ai pas – à la perspective de cette lecture. En France, une cour d’assises vous colle vingt ans sans un mot d’explication, en répondant oui ou non à des questions, et sans avoir à dire pourquoi elle répond oui ou non.
Là, je sais que ce sera du régal. Le statut de la CPI est un texte court, car c’est un traité international, fruit de la négociation. Aussi, la Cour doit interpréter le texte, dans le respect de sa finalité – la lutte contre l’impunité – et elle doit multiplier les références à d’autres sources juridiques, essentiellement le droit coutumier ou la jurisprudence d’autres cours. Ainsi, se crée une lecture actuelle du droit international humanitaire.
Loin des flonflons du « droit d’ingérence » ou autres balivernes sur « le combat pour les valeurs », on trouve là du droit, vrai de vrai, qui avant de faire un pas, prend pour référence qui a été fait depuis un siècle par des tribunaux du monde entier.
Et comme la CPI est une vraie juridiction, qui sait que toute décision ne vaut que par la qualité du débat qui l’a précédée, elle offre la possibilité aux juges qui ne sont pas d’accord avec la solution retenue, de faire valoir leur opinion, dans une note écrite, jointe au jugement.
Alors, quelles sont les critiques contre la CPI ?
Elle est trop lente.
Non. Les faits jugés datent de 2002 et ont été jugés en 2012, avec entre temps maints actes de procédures, de difficultés surmontées liées à l’aspect international – à commencer par l’identification des victimes et le recueil des témoignages – et ont été rendues de nombreuses décisions lors de l’instruction, décisions qui étaient elles-mêmes soumises à appel. Trop long ? La CPI a jugé plus vite l’affaire Lubanga Dyilo que la France pour l’amiante, et aussi vite que l’affaire AZF à Toulouse.
Elle ne s’occupe de l’Afrique.
Oui, mais. Elle est, pour le moment, saisie uniquement dans des affaires africaines, et en règle générale par les gouvernements qui transfèrent une affaire à la CPI. Mais il ne faut pas en tirer des conclusions top hâtives. La CPI est une cour permanente qui s’inscrit dans le travail effectué par la Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY). Les deux juridictions sont jumelles, et si la CPI avait été crée plus tôt, on lui reprocherait d’être une cour pour l’Europe, car le TPIY a rendu une centaine d’arrêts ! Nous verrons comment le futur gouvernement afghan négociera la reprise d’un pouvoir souverain, mais en l’état actuel, il garde la possibilité de dénoncer devant la CPI les crimes commis par les troupes US, devenues occupantes, et ce malgré les accords bidons d’immunité que fait signer un gouvernement US aux abois.
Elle agit contre le Soudan et la Lybie, qui n’ont pas ratifié le Statut.
Non. Dans ces deux affaires, c’est le Conseil de Sécurité qui joue le double standard. Le Statut lui permet de saisir la CPI d’une affaire, même quand l’Etat n’a pas ratifié le Statut, et il abuse de cette possibilité, avec des choix très partisans. Et comme ces procédures sont artificielles, elles ne marchent pas, et deviennent des boulets pour la CPI. Le mandat contre Béchir sera impossible à mettre en œuvre sans bouleversement au sein du pays, et ce mandat fige la vie politique autour du cas Béchir. Pour la Libye, c’est la honte : Kadhafi, loin d’être protégé par le justice, a été abattu dans des conditions atroces, et le nouveau gouvernement défie l’autorité de la Cour en refusant de transférer le fiston malgré un mandat d’arrêt. En réalité, le Conseil de Sécurité abuse de ses pouvoirs – comme toujours – car il veut discréditer la CPI qui sera un jour un contre pouvoir, car elle, elle respecte le droit.
La Cour n’a rien fait pour la Palestine.
Oui, mais. D’abord, il ne faut pas confondre la Cour et le Procureur. Pour le moment, le dossier est chez le Procureur, et le Cour n’a aucun moyen pour s’en saisir d’office. Ensuite, le Procureur a un motif tout trouvé pour attendre : en novembre 2009, l’Assemblée Générale de l’ONU a homologué le rapport Goldstone. Elle a dit que les faits devaient être jugés, mais qu’il fallait privilégier le jugement par les juridictions locales, en Israël et en Palestine, car la CPI n’avait qu’un rôle subsidiaire. Une commission a été désignée pour suivre les efforts effectués sur place, et elle devra tôt ou tard déposer son rapport pour dire que, pour des raisons bien différentes, le jugement par les juridictions locales est impossible. L’affaire reviendra alors au Procureur, qui devra transmettre à la Cour, et nous verrons alors ce que sera la réponse de la Cour.
Les préoccupations de la Cour sont déconnectées du réel.
Non. Dans l’affaire Lubanga Dyilo, elle rend un jugement de la plus grande importance sur les droits des enfants, à travers la question des enfants soldats. Ce sont les droits des enfants « pour de vrai ». Mais je vous en dirai plus quand j’aurai lu les 624 pages du jugement.