Affaire Le Roux: quelles charges pèsent contre Maurice Agnelet?
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 11/04/2014
En attendant le verdict, voici les trois éléments du dossier d'instruction qui selon l'accusation et la partie civile, signent la culpabilité de Maurice Agnelet dans la disparition d'Agnès Le Roux. Ils n'ont pas convaincu la cour d'assises des Alpes-Maritimes qui l'a acquitté. Ils ont emporté la conviction de la cour des Bouches-du-Rhône qui, en appel, l'a condamné à 20 ans de réclusion criminelle pour assassinat. C'était avant le témoignage de Guillaume Agnelet accusant son père devant la cour d'assises d'Ille-et-Vilaine.
L'argent
Il apparaît comme le mobile du crime. Maurice Agnelet est à la manoeuvre dans toute l'opération par laquelle, au printemps 1977, Agnès Le Roux fait perdre à sa famille le contrôle du Casino de la Méditerranée, en votant contre sa mère lors d'une assemblée générale. Elle a vendu son vote moyennant 3 millions de francs de l'époque versés sur un compte en Suisse par Jean-Dominique Fratoni, propriétaire du casino voisin, le Ruhl, Agnès Le Roux, éperdument amoureuse de Maurice Agnelet, voulait refaire sa vie avec lui et lui avait promis d'assurer sa sécurité financière.
Le 3 juillet 1977, les 3 millions de francs sont versés sur un compte suisse ouvert au nom d'Agnès Le Roux, avec procuration donnée à Maurice Agnelet.
Le 11 août 1977, Maurice Agnelet utilise sa procuration pour vider ce compte et verse l'intégralité de l'argent sur un compte joint qu'il possède avec son autre maîtresse, Françoise Lausseure. Pas un témoignage, pas une lettre, pas une confidence d'Agnès Le Roux ne vient accréditer la thèse selon laquelle elle a été mise au courant de ce transfert par son amant.
En février 1978, alors que la jeune femme a disparu depuis fin octobre et que des recherches sont en cours pour tenter de la retrouver, Maurice Agnelet vide le compte qu'il possède avec Françoise Lausseure et transfère tout l'argent d'Agnès sur un compte ouvert à son seul nom.
Le billet d'Agnès Le Roux
Pour Me Hervé Temime, ce billet constitue une des "preuves" de la culpabilité de Maurice Agnelet et de la mise en scène à laquelle il s'est livré après la disparition d'Agnès Le Roux. Dans l'appartement de la jeune femme, perquisitionné en février 1978, les enquêteurs tombent sur un mot manuscrit d'Agnès Le Roux, punaisé sur la table. "Désolée, mon chemin est fini. Je m'arrête. Je veux que ce soit Maurice qui s'occupe de tout." Le mot n'est pas daté. Il accrédite l'idée d'un départ volontaire ou d'un suicide de la jeune héritière.
Mais le dossier compte plusieurs éléments troublants à propos de ce mot manuscrit. Le premier est la découverte de sa photocopie, dans un tiroir du bureau de Maurice Agnelet en septembre 1978. La scène a été racontée par le juge Richard Bouaziz qui instruisait l'affaire et qui avait décidé de conduire une perquisition au cabinet de l'avocat, un acte de procédure exceptionnel à l'époque. "A l'instant de cette découverte, Maurice Agnelet a chancelé. Il a pris appui sur son bureau et il a blêmi", a raconté l'ancien chef d'enquête. Saisissant le trouble de l'avocat, le juge Bouazis lui avait lancé : "Qu'avez-vous fait du corps d'Agnès Le Roux?". Mais il avait été aussitôt interrompu par le bâtonnier, considérant que l'interrogatoire sortait du cadre légal. "J'ai eu la conviction qu'il était l'auteur de la mise en scène du suicide d'Agnès Le Roux, puisque ce testament avait été amputé de sa date de manière à le rendre intemporel", avait ajouté l'ex enquêteur.
Or la question de la date à laquelle ce mot d'Agnès a été rédigé trouve sa réponse dans le dossier. Dans l'un des multiples enregistrements auxquels Maurice Agnelet se livrait à l'insu de ses interlocuteurs, les enquêteurs ont découvert une conversation entre l'avocat et amant d'Agnès Le Roux et une amie de celle-ci. On est le 7 octobre, au lendemain de la deuxième tentative de suicide de la jeune femme qui est encore à l'hôpital. Maurice Agnelet donne de ses nouvelles à son amie et raconte qu'en entrant chez Agnès après la tentative de suicide, il a vu le mot punaisé. Il en donne au mot près le contenu et précise qu'il est "daté du 6 de la nuit".
Pour l'accusation comme pour la partie civile, il y a donc bien mise en scène. Maurice Agnelet aurait récupéré le mot d'Agnès, l'a photocopié et amputé de sa date et serait retourné plus tard le punaiser bien en évidence chez sa maîtresse disparue.
Les livres de La Pléiade
Montaigne, Gide, Rimbaud, Hemingway. Dans la collection de près deux cents ouvrages de La Pléiade que possède Maurice Agnelet, ces quatre recueils attirent l'oeil des enquêteurs.
Chez Montaigne, ils ont trouvé les mots suivants: "17 mai 1977-Genève-PM-PV-amitiés". Les initiales PM-PV correspondent au nom du casino, le Palais de la Méditerranée et à celui de la société mère qui détient les murs, Palais vénitien. La date du 17 mai 1977 est celle du voyage à Genève au cours duquel Agnès Le Roux, accompagné de Maurice Agnelet, dépose sur un compte dont elle donne procuration à son amant, le premier virement perçu de Jean-Dominique Fratoni, soit environ 900.000 francs suisses.
Chez Gide, nouvelle annotation. "30 juin 1977-sécurité-PM-PV". Le 30 juin 1977, Agnès Le Roux, sur les conseils de Maurice Agnelet et en application de l'accord qu'elle a conclu avec Jean-Dominique Fratoni, vote contre sa mère lors de l'assemblée générale du Palais de la Méditerranée et donne la majorité au rival de celle-ci.
Sur la page de garde du Rimbaud, on peut lire: "7 octobre 1977-le bateau ivre-classement dossiers-PM-PV". Le 7 octobre correspond au jour où Agnès Le Roux est transportée à l'hôpital après sa deuxième - et étrange - tentative de suicide.
Hemingway accueille, lui, le commentaire suivant: "Mercredi 2 novembre 1977, reclassement dossier-PM-PV-Liberté". Agnès Le Roux ne donne plus signe de vie à compter de la fin du mois d'octobre de cette année-là.