Un candidat-président amnésique sur la justice des enfants (457)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 4/03/2012
D’ordinaire on fait reproche aux candidats aux élections d’avoir une mémoire sélective en oubliant leurs engagements une fois élus. Le président-candidat inaugure une nouvelle forme d’amnésie : l’oubli des lois qu’il a fait voter durant son quinquennat, et même durant toute la période où depuis 2002 il a eu comme ministre de l’intérieur des responsabilités sur le terrain de la sécurité.
Le passage de son discours de Bordeaux sur la justice des mineurs est révélateur.
Affirmant qu’« un mineur hyperviolent de 16 ans n’est plus un enfant », ce qui en soi manque de base scientifique, mais ne nous arrêtons pas sur ce point pourtant ... majeur, Nicolas Sarkozy veut que ce jeune soit jugé comme un adulte et donc ne relève plus d’un juge des enfants. Il en vient donc à prôner l’abaissement de la majorité pénale de 18 à 16 ans.
Il faut lui reconnaître de la constance dans l’analyse, mais relever aussi qu’il n’a eu de cesse depuis 2007 de vider de son contenu le statut des 16 -18 ans et de parvenir quasiment à ses fins.
Trois brèves illustrations.
Tout d’abord les deux lois de mars et septembre 2007 ont singulièrement facilité le retrait de l’excuse atténuante de minorité aux jeunes de plus de 16 ans, mais de moins de 18 ans ayant commis un délit ou un crime. Quitte à devoir motiver leur décision, les juges peuvent aisément leur retirer ce « privilège » qui leur permet d’encourir une peine de moitié inférieure à celle encourue pour un acte équivalent commis par un adulte. Ils seront condamnés comme des majeurs. Et la loi elle-même retire automatiquement cette excuse au mineur en situation de double récidive, quitte aux juges à oser la rétablir en motivant leur décision.
En d’autres termes sait-on qu’en France un jeune de 16 ans peut être condamné à la réclusion criminelle à perpétuité ?
Deuxièmement le dispositif de peines-plancher est totalement applicable aux mineurs de 16-18 ans comme aux majeurs.
Troisièmement : des jeunes de 16 ans peuvent être désormais jugés par le tribunal correctionnel pour mineurs, juridiction non spécialisée. Si ce jeune de 16 ans est hyper violent comme l’avance le candidat-président, il aura déjà commis un délit et relèvera donc de ce tribunal institué par la loi du 10 août 2011 qui peut ne comprendre qu’un juge des enfants pour deux juges non spécialisés. Au 1er janvier 2013, ce TCM se verra adjoindre deux jurés populaires. En d’autres termes sur 5 juges il n’y aura dans la juridiction qu’un de ces juges des enfants dont Nicolas Sarkozy se méfie.
Faut-il ajouter que si les faits sont aussi graves que ceux que vise N. Sarkozy on sera dans le registre de la cour d’assises où, là encore, les juges des enfants sont minoritaires – deux pour une cour de 9 juges, professionnels et jurés compris.
Ainsi le candidat oublie bien ce que le président a déjà fait pour faire juger comme des adultes les jeunes de 16 ans « hyper violent ».
Non seulement la réforme projetée est inutile au regard des objectifs visés, mais encore elle est impossible telle qu’elle est présentée.
Là encore le président candidat est amnésique : s’il a été obligé de vider de son contenu le statut des 16 à 18 ans c’est bien que deux obstacles juridiques s’opposaient à l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans qui lui ont été serinés des années par ses proches.
1° En août 2002, le Conseil constitutionnel que l’on ne peut pas soupçonné d’être composé de juges des enfants Père Noel et laxistes a élevé au rang de principe constitutionnel intangible la majorité pénale fixée à 18 ans par la loi de 1906.
2° la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 que la France a ratifié en 1990 sans poser de réserve sur ce point veut que la personne de moins de 18 ans soit tenue pour un enfant et que les enfants « en conflit avec la loi » doivent disposer d’un droit pénal spécial (art 37 et 40). La France qui n’a pas de pétrole mais se targue de disposer d’un fond de commerce sur les droits humains veut-elle renier sa parole internationale ? Impensable, et en tout cas juridiquement impossible.
Enfin que dire d’un dernier obstacle politique cette fois : la majorité civile est fixée depuis 1974 à 18 ans quand elle l’était jusque là à 21 ans. Imagine-t-on aujourd’hui qu’on puisse tenir des jeunes personnes comme des enfants quand il s’agit de contracter, de se marier, de travailler voire de voter et les tenir pour pénalement responsable à 16 ans quand il s’agit de les punir ? Combien de français sont-ils prêts à accepter que leurs enfants soient majeurs dès 16 ans, puissent voter et tout simplement quitter le domicile familial?
Nicolas Sarkozy peut-il enfin entendre qu’une personne de moins de 18 ans est juridiquement un enfant et que notre droit permet si nécessaire de punir sévèrement un jeune hyper violent dès … 13 ans.
Peut-il aussi admettre que les tribunaux pour enfants et les cours d’assises n’hésitent pas à sanctionner, à preuve le nombre de peines prononcées par les juridictions quand elles devraient être exceptionnelles en vertu de l’article 2 de l’ordonnance du 2 février 1945. Sur environ 70 000 mesures prononcées chaque année par les juges contre des mineurs on dénombre 6000 peines de prison fermes et 15 000 peines de prison avec sursis simple ou sursis mise à l’épreuve sans compter les 5000 TIG et les 4000 amendes.
Faire de la réparation la mesure judiciaire de base est une excellente idée. Les professionnels peuvent même revendiquer d’en être à l’origine ; le législateur des années 90 a suivi cette initiative de terrain. Quelques 25 000 mesures sont ordonnées chaque année. Encore faut-il disposer des moyens nécessaires pour les faire exécuter.
Enfin que dire de cette posture consistant à distinguer la démarche éducative du juge de sa démarche répressive ? Le juge des enfants, magistrat de la République, n’a qu’un souci : protéger l’ordre public en évitant la récidive. En tentant de remonter la pente d’une carence éducative il ne fait pas preuve de laxisme, mais il suit la piste que la loi et les anciens lui ont tracée : à une carence éducative il faut répondre par de l’éducation. Et l’éducation est une contrainte souvent difficilement acceptée quand on en a manqué, donc elle n’a rien de laxiste. Et la répression a une dimension éducative indéniable ! A la maison il n’y a pas un parent qui incarne l’éducation (la mère ?) et un autre qui incarnerait la répression (le père ?) Les deux parents avec des sensibilités différentes et en accord incarnent une autorité protectrice qui n’hésite pas s’il le faut à hausser le ton.
Non seulement le président-candidat à la mémoire courte sur ce dossier, mais il reste obnubilé par une approche de dénonciation.
On aurait souhaité l’entendre féliciter les juridictions pour le travail mené avec des moyens comptés : le rapporteur UMP de la loi Mercier ne relève-t-il pas lui-même que dans 85 % des cas, les jeunes délinquants le temps de leur minorité ne le sont plus à la majorité grâce au travail entrepris. Et le même de relever aussi que seuls 5% des mineurs posent de vrais problèmes de réitération. Combien d’hyper-violents dans ces 5% ? Cela justifie-t-il de tout casser ?
On aurait aimé entendre dire que le problème de la lutte contre la délinquance des plus jeunes est d’abord un problème policier avant d’être un problème judiciaire quand le taux d’élucidation de la police reste aussi bas à moins de 30 % et encore sur les seuls cas connus. Or à suivre Sébastien Rochè (Université de Grenoble) on ne connait pas un acte de délinquance sur 5, sauf en vérité un taux d’élucidation minime.
On aurait aussi aimé dire que toute mesure prise par un juge doit être mise en œuvre’ le jour même quand la PJJ admet elle-même que plusieurs milliers de mesures éducatives sont en attente de mises en œuvre réelle. Or qui donne les moyens d’agir à la police et à la PJJ, sinon le gouvernement !
On aurait aimé que le travail des tribunaux – magistrats, greffiers éducateurs, avocats - en protection de l’enfance soit loué. Rien.
Dans cette période propice à la réflexion et à l’élévation du débat, on aurait enfin aimé entendre un mot sur la prévention de la délinquance. Entonner l’hymne de l’autorité est un peu court. Une autorité n’est respectée que parce qu’elle est respectable. Oui les enfants se structurent par la transgression ; certes le rôle des adultes est de leur fixer des limites, mais les jeunes admettront d’autant plus d’être repris dans leur transgression et se structureront d’autant mieux du fait de cette réaction qu’ils auront un sentiment de justice et, au final, de protection. Une autorité n’est pas faire pour violenter, mais pour protéger. Sinon elle est ne fait que s’autojustifier.
De tout cela rien n’a été dit à Bordeaux. Et pour cause, il s’agit bien sur ce sujet de propos de circonstance, sans réelle actualité, où l’on s’attire d’autant plus un succès d’estime que l’on prend dans le sens du poil des interlocuteurs qui ne connaissent rien au dossier.