Actions sur le document

Avons-nous tort d'avoir raison avec Eric Zemmour ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 19/10/2014

Il ne faut pas cesser de combattre cette facilité qui permet aux bien-pensants et aux paresseux de l'esprit de s'installer dans une lumière prétendue quand l'ombre serait réservée aux réactionnaires. J'attends encore qu'on me dise pourquoi il serait plus éthique et politiquement plus noble de se satisfaire de la société et des institutions d'aujourd'hui, quand elles se délitent et nous entraînent vers le pire, plutôt que de s'efforcer, avec courage et détermination, de redonner sens et actualité à celles d'hier inspirées par le meilleur.

Lire l'article...

Comme Ivan Rioufol l'a relevé, signe des temps, la pièce de Bernard-Henri Lévy, soutenue et applaudie par le Tout-Paris, président de la République compris, s'est arrêtée prématurément et le livre d'Eric Zemmour, médiatiquement démoli, est plébiscité par le public (Le Figaro).

Que ce dernier "affole l'Audimat" et que la détestation manifestée à son encontre par une majorité de journalistes le fasse bénéficier de la sympathie intellectuelle de beaucoup de citoyens est une évidence (Le Parisien).

Mais toutes les attaques ne sont pas médiocres. Si certaines sont seulement inspirées par la jalousie, d'autres lui intentent un procès de fond et, négligeant le journaliste, s'en prennent à l'homme politique que Zemmour serait devenu. Je songe notamment à un billet fin et caustique d'Ariane Chemin sur son intervention aux côtés de Robert Ménard à Béziers et aux analyses, par exemple, de Nicolas Truong et de Luc Bronner dans Le Monde. Pour celui-ci, Eric Zemmour serait "le révélateur des angoisses françaises".

Pourquoi pas ? Ce ne serait pas honteux.

A bien examiner les griefs essentiels, je les perçois moins comme des contradictions fondamentales et argumentées que comme une manière sarcastique et un tantinet condescendante de mettre en cause la démarche de Zemmour. On ne lui répond pas, on se moque. Parce qu'on a à se colleter avec une approche apparemment à droite mais si inventive et atypique qu'on est perdu et que le vivier conventionnel des répliques classiques est inexploitable.

Il tirerait, d'abord, des conclusions péremptoires de séries télévisées comme "Hélène ou les garçons", ou de certaines chansons, de certains films. Il oserait attacher de l'importance, pour décrire l'évolution de notre société, à des marqueurs culturels qui, pour être dans l'instant anodins, se sont révélés sur le long terme comme l'amorce de changements décisifs. Qui peut contester la validité d'une telle méthode allant puiser dans le terreau et la représentation du quotidien des indices signifiants ?

Il est d'autant plus piquant d'entendre la dénonciation de la gauche dominante qu'elle n'a cessé, et souvent à juste titre, d'insister sur le caractère pédagogique des événements culturels en les mettant souvent au premier plan de l'histoire d'un pays. Parce que les références choisies par Eric Zemmour ne lui conviendraient pas, cette grille d'explication par la culture serait illégitime ?

Ensuite, on a l'impression que l'auteur du "Suicide français" a commis un crime de lèse-majesté parce qu'il a eu l'audace, lui journaliste talentueux mais iconoclaste et étiqueté du mauvais côté de l'esprit, de présenter une vision globale, en quelque sorte un système ayant l'impudence de damer le pion à la conception dominante du camp d'en face.

Le scandale est que celle-ci n'ait plus été contestée par des adversaires disséminés et de ce fait fragiles et peu convaincants - des solitudes face à un rouleau compresseur ! - mais qu'elle soit dorénavant atteinte de plein fouet par une offensive dont la vigueur intellectuelle et "sociétale" ne le cède en rien à l'hégémonie trop longtemps exclusive du bloc contraire bienséant et, lui, évidemment moral. Outré d'être chassé des terres qu'il occupait seul, avec bonne conscience.

Ce qui est intolérable, si on cherche le ressort originel de cette vindicte, tient évidemment à la liberté d'expression de Zemmour, à l'expression de sa liberté. Si on n'admet pas le choc de cette provocation inouïe dans un univers figé, structuré, solidifié, momifié autour de certitudes d'autant plus inébranlables qu'elles n'ont jamais été touchées même du bout de la pensée et de la curiosité, on ne comprendrait pas par exemple le ton haineux dont certains ont usé contre Zemmour parce que celui-ci a affirmé que "90% des juifs français ont été sauvés par Pétain".

A supposer même que la position de Zemmour sur ce point soit totalement erronée, il ne s'agit jamais que d'un débat historique qui pourrait être stimulant puisque ce pavé dans la mare de l'Histoire a mis à mal le confort d'une historiographie officielle et intouchable. Il a fait bouger, il a vivifié. Il n'est coupable que d'avoir dérangé des intelligences et des savoirs enkystés.

Le principal, en l'occurrence, réside moins dans l'énonciation du propos, qui doit en effet être discuté - Serge Klarsfeld n'est pas totalement dénué de crédibilité sur ce terrain - que dans le fait que Zemmour ait eu la liberté et l'insolence de le tenir. Qu'il ait eu la volonté, par l'écriture, de démontrer qu'aucun sujet n'était tabou sauf à considérer notre espace démocratique comme condamné à perpétuité à la pauvreté et au simplisme.

Eric Zemmour est venu, avec son livre, se mêler de ce qui ne nous regardait pas. Il y a en effet des chasses gardées et des idées confisquées, comme il y a des droits acquis. On n'a pas le droit de toucher à des certitudes, consacrées par le conformisme intellectuel et médiatique, sur lesquelles on peut dormir sans craindre d'être réveillé par quiconque.

Eric Zemmour serait disqualifié parce qu'il serait réactionnaire. Nous sommes quelques-uns, sur un registre divers, à ne pas nous effondrer face à une telle qualification, bien au contraire. Pour ma part, je l'ai toujours vécue comme un hommage au point de me définir comme tel en me distinguant du conservateur qui, lui, cultive une adoration quiète et bête pour le passé dans sa globalité et refuse tous les mouvements, quelle que soit leur nature.

Quand je lis trop souvent, comme si la cause était entendue, la mise au ban de ce qui est réactionnaire, sans qu'on précise quoi que ce soit sur la substance mais en accablant au nom de ce péché qui serait mortel, quand les thèses de Zemmour sont jugées fausses parce que "réactionnaires", je m'interroge sur la capacité de notre société et de notre monde politique à réfléchir et à fuir la commodité du réflexe pour la pertinence de l'opinion.

La "réaction" serait "une tendance politique qui s'oppose aux évolutions sociales et s'efforce de rétablir un état de choses ancien".

En retenant cette définition telle quelle, je ne vois pas en quoi une telle attitude serait intrinsèquement négative et connotée comme un opprobre. Le fil du temps, il convient de le répéter, n'est pas forcément progressiste et la marche en avant mécanique représente souvent une régression sur le fond des choses et la qualité des comportements.

Le réactionnaire clairvoyant est à l'abri de cette ineptie qui ferait du passé un paradis perdu magique en tout mais n'a pas peur de soutenir que sur beaucoup de points dérisoires ou profonds, "c'était mieux avant".

Il ne faut pas cesser de combattre cette facilité qui permet aux bien-pensants et aux paresseux de l'esprit de s'installer dans une lumière prétendue quand l'ombre serait réservée aux réactionnaires. J'attends encore qu'on me dise pourquoi il serait plus éthique et politiquement plus noble de se satisfaire de la société et des institutions d'aujourd'hui, quand elles se délitent et nous entraînent vers le pire, plutôt que de s'efforcer, avec courage et détermination, de redonner sens et actualité à celles d'hier si le meilleur les inspirait.

Pour ma part, je ne me sens pas déshonoré en compagnie, modestement, de Rioufol, Tillinac, Goldnadel ou Finkielkraut.

Nous n'avons pas tort d'avoir raison avec Eric Zemmour.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...