Actions sur le document

Canada : Percer le condom, lors de relations acceptées, est une agression sexuelle

Actualités du droit - Gilles Devers, 9/03/2014

Craig Jarret Hutchinson, craignant que sa conjointe ne le quitte, avait...

Lire l'article...

Craig Jarret Hutchinson, craignant que sa conjointe ne le quitte, avait percé des trous dans plusieurs condoms avant d'avoir des relations sexuelles avec elle, alors que celle-ci avait insisté pour qu’il utilise un condom. Cette dernière était tombée enceinte et avait subi un avortement. La femme avait déposé plainte, et notre ami a été condamné par la cour d’appel de Nouvelle-Ecosse à 18 mois de prison, au motif que l’utilisation du condom constituait une « caractéristique essentielle » de l’activité sexuelle et que, pour cette raison, la plaignante n’y avait pas consenti. 

La Cour suprême du Canada confirme la condamnation (R. c. Hutchinson, 7 mars 2014, n° 2014 CSC 19), avec chez les magistrats, deux raisonnements, mais qui arrivent à la même solution. Eh oui, c’est une méthode de jugement que nous ignorons hélas en droit gaulois : le jugement rendu est celui adopté à la majorité des juges, mais les opinions divergents ou dissidentes sont publiées.

C’est une réflexion très intéressante sur le consentement et l’autonomie de la personne, qui s’impose progressivement comme le seul critère pertinent s’agissant des relations intimes. Voici les articles du Code criminel, et la décision rendues.

1/ Les textes

2013-05-02-11-01-14-thibodeau.JPGToute l’analyse résulte de l’application des articles 265, 273 et 273-1 du Code criminel canadien.

Article 265. Voie de fait

(1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

b) tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein;

c) en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie.

(2) Le présent article s’applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.

(3) Pour l’application du présent article, ne constitue pas un consentement le fait pour le plaignant de se soumettre ou de ne pas résister en raison :

a) soit de l’emploi de la force envers le plaignant ou une autre personne;

b) soit des menaces d'emploi de la force ou de la crainte de cet emploi envers le plaignant ou une autre personne;

c) soit de la fraude;

d) soit de l’exercice de l’autorité.

(4) Lorsque l’accusé allègue qu’il croyait que le plaignant avait consenti aux actes sur lesquels l’accusation est fondée, le juge, s’il est convaincu qu’il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l’ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l’accusé, la présence ou l’absence de motifs raisonnables pour celle-ci.

273. Agression sexuelle

(1) Commet une agression sexuelle grave quiconque, en commettant une agression sexuelle, blesse, mutile ou défigure le plaignant ou met sa vie en danger.

273.1 Consentement

(1) Sous réserve du paragraphe (2) et du paragraphe 265(3), le consentement consiste, pour l’application des articles 271, 272 et 273, en l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle.

(2) Le consentement du plaignant ne se déduit pas, pour l’application des articles 271, 272 et 273, des cas où :

a) l’accord est manifesté par des paroles ou par le comportement d’un tiers;

b) il est incapable de le former;

c) l’accusé l’incite à l’activité par abus de confiance ou de pouvoir;

d) il manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à l’activité;

e) après avoir consenti à l’activité, il manifeste, par ses paroles ou son comportement, l’absence d’accord à la poursuite de celle-ci.

(3) Le paragraphe (2) n’a pas pour effet de limiter les circonstances dans lesquelles le consentement ne peut se déduire.

2/ L’arrêt Hutchinson

Opinion de la juge en chef McLachlin et des juges Rothstein, Cromwell et Wagner 

ON-CourSupreme_20090606-164356_panoramique.jpgLe Code criminel établit une analyse en deux étapes pour décider s’il y a eu consentement à une activité sexuelle.  La première étape consiste à déterminer si la preuve démontre l’absence d’« accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle » aux termes du par. 273.1(1) et exige la preuve que le plaignant n’ait pas donné son accord volontaire aux contacts, à leur nature sexuelle ou à l’identité du partenaire.  Si le plaignant a consenti, ou encore si son comportement fait naître un doute raisonnable quant à l’absence de consentement à l’activité sexuelle, il faut passer à la seconde étape et se demander, en application des par. 265(3) et 273.1(2), s’il existe des circonstances ayant pu vicier le consentement apparent du plaignant ou sa participation.  En l’espèce, la principale question à trancher est celle de savoir si le sabotage du condom a eu pour effet d’entraîner une absence d’« accord volontaire de la plaignante à l’activité sexuelle » aux termes du par. 273.1(1) ou si ce sabotage a constitué une fraude au regard de la disposition prévue à l’al. 265(3)c), avec pour résultat qu’il n’y a pas eu consentement.  Pour répondre à cette question, la Cour doit dégager le sens de l’expression « l’activité sexuelle » au par. 273.1(1).

Il existe essentiellement deux approches pour déterminer ce que signifie un accord volontaire à l’activité sexuelle et le rôle que joue l’erreur ou la tromperie lorsqu’il s’agit de déterminer si un tel accord a été donné.  Dans le cadre de la première approche, la définition de l’expression « l’activité sexuelle » n’englobe pas que la seule activité sexuelle à laquelle la plaignante croyait consentir au moment pertinent, mais également les conditions et les caractéristiques de l’acte ou encore les risques et les conséquences en découlant, pourvu que ces conditions constituent des « caractéristiques essentielles » de l’activité sexuelle ou concernent la « façon » dont les contacts physiques se sont déroulés.  La deuxième approche définit plus étroitement « l’activité sexuelle » comme étant essentiellement l’acte physique dont il a été convenu au moment pertinent, la nature sexuelle de cet acte et l’identité du partenaire.  Si la plaignante a subjectivement consenti à ce que son partenaire la touche ainsi qu’à la nature sexuelle de ces contacts, l’accord volontaire est établi pour l’application du par. 273.1(1).  Toutefois, cet accord volontaire peut être sans effet en droit.

Les principales méthodes d’interprétation législatives, y compris celles fondées sur le sens ordinaire des mots utilisés par le législateur, sur l’économie de la loi et sur l’historique législatif militent en faveur d’une interprétation étroite de la définition générale du terme consentement au par. 273.1(1).  La jurisprudence et les dispositions législatives pertinentes appuient aussi cette interprétation.  La Cour a interprété la disposition relative à la fraude énoncée à l’al. 265(3)c) du Code criminel dans des affaires où l’accusé n’avait pas dévoilé sa séropositivité : CuerrierMabior.  L’adoption de l’approche fondée sur les  « caractéristiques essentielles » ou de celle basée sur la « façon dont l’acte s’est déroulé » serait incompatible avec celle retenue dans Cuerrier et Mabior et remettrait en question l’issue de ces affaires.  Selon l’approche fondée sur les « caractéristiques essentielles » ou celle basée sur la « façon dont l’acte s’est déroulé », des erreurs — qui n’ont pas à résulter de tromperies — portant sur les conditions et caractéristiques de l’acte physique amèneront les tribunaux à conclure qu’il n’y a pas eu consentement au sens du par. 273.1(1), et ce, même en l’absence de risque de préjudice.  Par exemple, les tromperies liées à la séropositivité pourraient amener le tribunal à conclure à l’absence de consentement au sens du par. 273.1(1), même lorsque la charge virale de l’accusé était faible au moment des faits et qu’un condom a été utilisé.  Finalement, adopter l’approche fondée sur les  « caractéristiques essentielles » ou de celle basée sur la « façon dont l’acte s’est déroulé » réintroduirait une analyse vague et obscure en matière de consentement et pourrait, en outre, criminaliser des comportements ne présentant pas le caractère répréhensible nécessaire, et d’étendre trop largement la portée du droit criminel.

Interprété correctement, l’accord volontaire à l’activité sexuelle prévu au par. 273.1(1) signifie que le plaignant doit consentir subjectivement à l’acte physique précis, à sa nature sexuelle et à l’identité précise du partenaire.  L’expression « l’activité sexuelle » ne vise pas les conditions ou les caractéristiques de l’acte physique, telles les mesures contraceptives qui sont prises ou la présence de maladies transmissibles sexuellement.  En l’espèce, « l’activité sexuelle » consistait en des rapports sexuels et la plaignante y a consenti volontairement.  Quant à la question de savoir si son accord à « l’activité sexuelle » a été vicié par la fraude, la malhonnêteté est évidente et admise.  La seule question qu’il reste à trancher est celle de savoir s’il y a eu privation suffisante pour établir l’existence d’une fraude.  Dans les cas où une plaignante a choisi de ne pas devenir enceinte, les tromperies qui l’exposent à un risque accru de grossesse peuvent constituer une privation suffisamment grave pour représenter une fraude viciant le consentement suivant l’al. 265(3)c).  Cette interprétation de la « fraude » visée à l’al. 265(3)c) est compatible avec les valeurs d’égalité et d’autonomie consacrées par la Charte tout en reconnaissant du même coup qu’il n’y a pas lieu de criminaliser toute tromperie qui incite une personne à donner son consentement.  En l’espèce, il n’y pas eu consentement en raison d’une fraude visée à l’al. 265(3)c).

Opinion des juges Abella, Moldaver et Karakatsanis

cour-supreme-du-canada.jpgEssentiellement, la présente espèce concerne le droit, reconnu dans R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330, de décider de la façon dont se dérouleront les contacts sexuels.  Parce que la société est déterminée à protéger l’autonomie et la dignité de la personne, il faut que celle‑ci ait le droit de décider qui touchera son corps et la façon dont se dérouleront les contacts sexuels.  Cette protection est à la base de la définition du mot « consentement » énoncée au par. 273.1(1), à savoir « l’accord volontaire du plaignant à l’activité sexuelle ».  Le consentement à « l’activité sexuelle » s’entend nécessairement de l’accord volontaire du plaignant à la fois aux contacts de nature sexuelle et à la manière dont ces contacts se déroulent.  Le par. 273.1(1) constitue le point de départ de l’analyse du consentement eu égard à l’actus reus de l’agression sexuelle. Lorsque le plaignant n’a pas donné son accord volontaire à l’activité sexuelle qui s’est déroulée, il n’y a pas eu consentement au sens du par. 273.1(1) et l’analyse relative à l’actus reus de l’agression sexuelle est complète.  S’il n’y a pas eu dès le départ consentement à l’activité sexuelle, il est inutile de se demander si le consentement a été vicié par une fraude visée à l’al. 265(3)c). En d’autres mots, en l’absence d’accord volontaire quant à la « façon » — c’est‑à‑dire la manière dont s’est déroulée l’activité sexuelle — il n’y a pas eu consentement au sens du par. 273.1(1).

À la différence de l’analyse requise pour l’application de l’al. 265(3)c), qui requiert à la fois un acte malhonnête et une privation, l’analyse relative au consentement visé au par. 273.1(1) n’a jamais exigé la prise en compte des risques ou conséquences causés par des contacts sexuels non souhaités.  C’est la nature non souhaitée des contacts sexuels non consensuels qui viole l’intégrité sexuelle du plaignant et qui entraîne la culpabilité en droit criminel, pas seulement le risque de préjudice additionnel que peuvent engendrer les contacts sexuels.  Exiger l’analyse des risques ou conséquences de contacts sexuels non consensuels en application de l’al. 265(3)c), si l’existence d’une tromperie est découverte après coup ajoute une barrière supplémentaire à la simple capacité de démontrer s’il y a eu ou non consentement à l’activité au moment où elle s’est déroulée.  Par conséquent, cette exigence porte atteinte aux valeurs d’autonomie personnelle et d’intégrité physique que le législateur cherchait à protéger en créant l’infraction d’agression sexuelle.

Le fait qu’un condom constitue un moyen de contraception ne signifie pas pour autant qu’il ne fait pas également partie de l’activité sexuelle.  Exclure le port du condom de ce qui est visé par l’activité sexuelle au par. 273.1(1) parce qu’il peut dans certains cas être utilisé à des fins contraceptives signifie qu’une personne ne pourrait en exiger l’usage au cours de rapports sexuels lorsque la question de la grossesse ne se pose pas.  Toute personne doit disposer d’un droit égal de décider de la manière dont elle est touchée, indépendamment de son sexe, de son orientation sexuelle, de sa capacité de reproduction ou de l’activité sexuelle à laquelle elle choisit de participer.  Nous ne voyons pas comment le condom peut être considéré comme autre chose qu’un aspect de la façon dont se déroulent les contacts sexuels.  Il s’agit donc d’un aspect auquel il est — ou n’est pas — consenti.  La personne qui consent à une activité sexuelle avec condom comprend qu’il s’agira d’un condom intact.  Elle ne donne pas seulement son accord à une activité sexuelle, elle convient également de la façon dont celle‑ci doit se dérouler.  C’est ce que le par. 273.1(1) visait à protéger. 

Une personne consent à la façon dont elle sera touchée, et elle a le droit de choisir l’activité sexuelle à laquelle elle consent à participer, et ce, pour les raisons qui lui plaisent.  Le fait que certaines conséquences des raisons qui la motivent soient plus graves que d’autres, la grossesse par exemple, n’affecte d’absolument aucune façon son droit de décider de la manière dont se déroulera l’activité sexuelle à laquelle elle veut participer.  Cela ne regarde ni son partenaire ni l’État.  Pour qu’il y ait eu accord volontaire de la plaignante à la façon dont se sont déroulés les contacts sexuels, il faut qu’elle ait consenti à être touchée là où elle l’a été et à ce avec quoi elle l’a été.  Il n’est toutefois pas nécessaire qu’elle ait consenti aux conséquences de ces contacts ou aux caractéristiques du partenaire sexuel, par exemple son âge, sa fortune, son état matrimonial ou son état de santé.  Bien que sans aucun doute potentiellement importantes, ces conséquences ou caractéristiques ne font pas partie de l’activité sexuelle à l’égard de laquelle l’accord a été donné. 

 En l’espèce, la question à trancher n’est pas celle de savoir si le consentement a été vicié par la fraude, il s’agit de savoir s’il y a eu au départ consentement à l’activité sexuelle.  La plaignante a consenti à participer d’une certaine manière à une activité sexuelle, à savoir des rapports sexuels avec un condom intact.  H a délibérément saboté le condom sans que la plaignante le sache ou y consente.  Le fait qu’elle n’ait appris le sabotage délibéré du condom qu’après l’activité sexuelle n’a aucune pertinence.  Ce qui est pertinent, c’est l’activité sexuelle à laquelle elle avait accepté de se livrer avec H et si celui‑ci a respecté l’accord à cet égard.  Or, en l’espèce, il ne l’a pas fait.  Comme la plaignante n’a pas donné son accord à la façon dont elle a été touchée au moment où elle l’a été, il n’y a pas eu consentement au sens du par. 273.1(1).


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...