Questions autour du crime du Chambon sur Lignon (440)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 20/11/2011
A juste titre le drame criminel du Chambon-sur-Lignon remue tout un chacun. Le viol, mais aussi l’assassinat puisqu’il semble que des éléments matériels déjà laissent à penser qu’il y a eu préméditation dans l’homicide d’une jeune fille de 13 ans par un garçon de 17 ans qui plus est déjà poursuivi et incarcéré pour viol, le traitement infligé à la jeune victime, tout appelle non seulement à la compassion et à des interrogations.
Il faut garder la raison pour éviter de déraper dans le jeu facile des mises en cause. Il peut y avoir eu des fautes, outre celle du jeune auteur, qui ont concouru à la commission des faits ; encore faut-il avec les éléments dont on dispose actuellement, se garder de vouloir juger et donc condamner dès aujourd’hui. Une instruction est ouverte. Elle portera sur les faits eux-mêmes, sur leur auteur, spécialement sur sa structuration mentale, mais d’évidence elle ne fera pas l’impasse sur ce qui a pu se passer dans les derniers mois depuis la commission des premiers faits jusqu’à ce nouveau drame. Des questions doivent légitimement être posées. Elles ne doivent pas être éludées à condition de les traiter le plus objectivement possible. En l’état, à défaut d’y répondre, peut-on et doit-on les lister et en cerner les termes. Sans doute ne peut-on pas encore leur donner une réponse définitive. C’est justement l’instruction qui le fera.
Essayons donc d’identifier ces questions au vu de ce que nous savons déjà.
D’évidence, ce n’est pas un diagnostic de dangerosité qui a été posé au moment de la sortie d’incarcération de ce jeune. Les premiers faits de viol auraient été commis alors que l’auteur avait un peu plus de 14 ans et il aurait séjourné 4 mois en prison. Des circonstances de ce passage à l’acte et de la personnalité de ce jeune telle qu’elle a été à l’époque analysée des spécialistes, il ne semble pas qu’aient été identifiées des craintes rationnelles de réitération. Bien évidemment il y a toujours des risques de passage à l’acte chez un sujet accusé de viol et en possession de ses moyens sexuels, mais rien en semblait devoir laisser à penser que de tels faits puissent se reproduire, a fortiori avec une atteinte à la vie de la victime. De fait, nombre d’hommes, jeunes et moins jeunes qui ont violé ne réitéreront pas. A fortiori si une thérapie est engagée ! Même si une thérapie à l’inverse ne peut pas assurer d’une non-réitération ! En d’autres termes le juge, en conscience, sous le contrôle du parquet, a du avoir l’intime conviction – un juge ne prend pas de risques – que les moyens pouvaient être réunis pour éviter un nouveau passage à l’acte.
En d’autres termes, en s’appuyant sur l’avis de psychiatre(s), certainement d’éducateur(s) et de psychologue(s), en tenant compte de la position adoptée par le parquet qui semble ne pas avoir marqué d’opposition, le juge d’instruction a décidé d’une mise en liberté accompagné d’un strict contrôle judiciaire comprenant déjà l’obligation de l’indispensable suivi psychiatrique.
Le juge y a ajouté deux obligations importantes :
1) un éloignement de la région d’origine pour éviter notamment de rencontrer la victime
2) la scolarisation en internat sous-entendu sans doute parce qu’aucune solution familiale (oncle ou tante, grands-parents etc.), n’était possible spécialement hors du département.
C’est ce même diagnostic de non dangerosité qui a fait accepter l’orientation sur un établissement scolaire classique. Rien semble-t-il justifiait aux yeux des intervenants le recours un centre éducatif fermé sachant qu’un centre éducatif fermé est d’abord un établissement éducatif, mais pas un succédané de la prison. En l’espèce il a été analysé que la démarche éducative n’appelait pas à une telle structure, mais pouvait se développer dans un cadre plus léger.
Et de fait il n’a pas été relevé dans les mois qui ont suivi, d’entorses aux trois obligations très contraignantes posées par le contrôle judiciaire.
Le drame étant survenu, force est d’observer qu’une erreur de diagnostic a été commise : les faits parlent. Pour autant une faute a-t-elle été commise par l’institution judiciaire ?
C’est bien la question à laquelle on ne peut pas répondre aujourd’hui et que l’instruction résoudra. On doit se contenter de poser des hypothèses.
Il est possible que les professionnels qui se sont penchés sur cette situation au moment de la mise en liberté aient commis des négligences ou des erreurs d’analyse. Il faut se référer aux informations disponibles à l’époque. Des experts psychiatres, des psychologues ou des éducateurs, même de qualité, peuvent ne pas être au mieux dans telle situation. Bien évidemment leur avis pèse sur la décision judiciaire, mais le juge comme le procureur peuvent aussi ne pas être bons. Généralement quand un maillon est faible les autres pallient sa carence. Dans le cas présent, en l’état, rien ne vient accréditer cette thèse mais elle sera explorée.
Il y a aussi une autre hypothèse qui veut que le jeune mis en cause ait eu l’aptitude pour tromper tout son monde, consciemment ou non et aurait berné d’autres psychiatres, d’autres psychologues, d’autres éducateurs ou magistrats. L’histoire du crime est riche de cas de cet acabit.
Gardons nous donc de juger trop vite, mais la question s’impose crûment : n’y avait-t-il vraiment aucun voyant, même orange, qui aurait pu contribuer à poser un diagnostic de dangerosité sachant que les faits commis ces jours-ci, rappelant ceux de la première agression, sont d’une telle nature qu’ils révèlent une personnalité particulièrement dégradée ? Force est d’observer que dans les mois qui ont suivi la libération, là encore aucun voyant ne s’est allumé. Il était suivi par un psychiatre au Puy-en-Velay (Haute-Loire) et par un psychologue dans son école.
Ne parlons donc pas de faute trop vite mais s’il y en a d’établies, une fois ces fautes identifiées, il faudra voir quelles conséquences en tirer pour les personnes et pour le fonctionnement institutionnel.
Toutes les d’affaires qui ces dernières années ont entrainé une effervescence médiatique et des débordements politiques doivent aujourd’hui nous servir de leçons pour maîtriser et canaliser nos réactions. Tout simplement prendre le temps de l’analyse contradictoire.
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Parmi les autres questions posées au-delà de l’interrogation sur les responsabilités il y a bien sûr celle de l’absence d’informations délivrée au chef d’établissement. Beaucoup sont choqués, sinon indignés, les enseignants et parents de l’établissement concernés en premier, que le chef d’établissement n’ait pas été tenu informé dans le détail du passé judiciaire du jeune et surtout des raisons qui lui avaient valu d’être incarcéré. Le responsable de l’établissement avait certes été informé de cette incarcération et du suivi par un juge d’instruction et des éducateurs, peut être même de la psychothérapie engagée. Devait-on lui parler de l’accusation de viol sachant que le jeune n’avait pas été jugé sur ces faits ? le procureur de la République avance ce soir que tel a été le cas ; le chef d’établissement s’en défend. Dépassons cette querelle pour aller au fond.
Si cette information avait été délivrée il est quasiment certain que l’établissement n’aurait pas reçu ce jeune ; en tout état de cause, il n’aurait pas pu garder cette information pour lui. Rapidement la pression aurait été telle de la part d’enseignants, d’élèves ou de parents mis au courant de ce qu’un «violeur » était parmi eux qu’il aurait fallu mettre fin à cet accueil. Osons le dire. Le vice-président du Conseil d’administration le dit simplement : ce jeune n’aurait pas été accueilli. Partant du raisonnement que le jeune n’était pas dangereux et que dès lors on pouvait l’orienter vers un établissement classique, y vivant la mixité, il allait de soi pour le juge d’instruction et les éducateurs en charge du jeune qu’il ne fallait pas prévenir le chef d’établissement, si l’on voulait réunir toute les chances de réussir cette insertion.
La justice est régulièrement confrontée à des situations de cette nature.
Déjà, pour des jeunes auteurs d’actes de délinquance moins graves certes, mais tout aussi préoccupants. Il est difficile, sinon même impossible – présomption d’innocence, multiplicité ou complexité des affaires – de tout dire aux enseignants de ce que fait un jeune hors la structure. Comment réunir les conditions d’une réinsertion et déjà d’une non-exclusion ? Veut-on qu’à l’américaine on fasse porter un badge aux délinquants sexuels ?
Mais c’est surtout pour les enfants victimes qu’on a été dans la dernière période confronté à ce problème. Ainsi devant une jeune file qui multiplie les incidents au collège ou au lycée faut-il dire au principal qu’elle a été victime d’un viol intra familial ? Il faut certes lui faire savoir que des faits graves peuvent justifier l’attitude de l’élève, notamment son agressivité, mais il est impossible de lui en dire plus. Il n’est pas tenu au secret professionnel et le soir même le risque est évident que tout l’établissement sera informé avec toutes les interpellations qui s’en suivront pour la jeune fille généralement sera obligée de quitter rapidement l’établissement, victime alors d’une double peine.
Les enseignants du Chambon-sur-Lignon appellent à ce que des protocoles sur le partage d’informations soient signés entre la justice et les établissements scolaires. Ils ont raison. Une formation doit être donnée, mais elle ne peut être que celle qui est strictement nécessaire aux enseignants pour assumer leurs responsabilités (les deux lois du 5 mars 2007). Ils n’ont pas à tout savoir de l’état de santé d’un enfant, sauf risque d’épidémie comme un chef d’entreprise n’est informé de tous les éléments de vie privée de ses salariés. Là encore des équilibres doivent être trouvés qui sont dans la loi (1). Faisons-les vivre.
On nous annonce pour demain un conseil interministériel autour du premier ministre consacré à l’affaire du Chambon-sur-Lignon. Faisons le pari que la raison l’emportera sur l’émotion, en laissant l’instruction suivre son cours qui livrera plus facilement la vérité sur les problèmes institutionnels que sur la personnalité du jeune M.
(1) Le secret professionnel en travail social . Pierre Verdier-JP Rosenczveig, Jeunesse et Droit, 4° édition, 2011