Qu'est-il arrivé à NKM ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 10/10/2012
Il y a eu Nathalie Kosciusko-Morizet, plus communément nommée NKM, puis il y a eu quelqu'un d'autre. On peut dater la mue du moment où elle a été choisie par Nicolas Sarkozy comme porte-parole de sa campagne.
On en a connu une qui a laissé la place à une autre : une guerrière partisane et sectaire a succédé à une adversaire loyale et équilibrée.
Elle vient encore de se déchaîner dans un article du Figaro où elle semble s'être fixée comme objectif de battre, dans la surenchère, les plus ineptes opposants de l'UMP. Il faut le lire pour le croire et ces deux extraits donnent une idée exacte de la tonalité générale : "Colporteur d'une politique du vide... Vanité d'une présidence déjà fruit du hasard...", plus une charge contre les socialistes, "ces bourgeois de la politique qui se sont déguisés..." et les trois ministres Cahuzac, Montebourg et Moscovici (nouvelobs.com)!
Qu'est-il donc arrivé à la première NKM pour qu'elle décide de se donner congé à elle-même et de se livrer corps et poings liés à une seconde qui est loin de la valoir au point de susciter une poignante nostalgie ?
Dans cette volonté d'en découdre, on peut trouver de la bonne guerre, une manière rude de rendre sa monnaie à la gauche que la mansuétude n'a pas étouffée lors du quinquennat précédent. Alors, pourquoi pas "politique du vide" si elle y tient ! Mais l'inexcusable tient à cette présidence accusée d'être "déjà fruit du hasard"! Si je comprends bien, la France a joué aux dés lors du second tour de l'élection présidentielle et celui que le sort a favorisé, François Hollande, n'est sans doute pas un usurpateur mais pas plus, tout de même, qu'un heureux gagnant au Loto politique. L'impasse est faite sur la majorité des citoyens qui ont voulu sa victoire plus que celle de Nicolas Sarkozy. Il y a, dans cette méchanceté qui se souhaite acerbe et spirituelle, une vulgarité et une injustice surprenantes de la part de cette personnalité, un accroc modeste, par l'écrit, à la correction républicaine.
Quelle mouche a piqué NKM ?
Je ne suis pas persuadé que son but principal était d'être approuvée par Jean-François Copé, ce que celui-ci a fait avec d'autant plus d'enthousiasme que NKM a été exclue du combat pour la présidence de l'UMP. Peut-être même ce soutien ostensiblement affiché - et peu ou prou le seul - a-t-il au contraire amplifié la rancoeur de NKM à l'égard de ce passé immédiat, une défaite déjà, avant sans doute une autre qui aurait été plus cuisante ?
Il ne faut pas oublier non plus pour ce texte si délibérément offensant ce qui, pour une amoureuse du langage, est souvent un formidable et, à la fois, préjudiciable stimulant : le poids, l'enchaînement, l'entraînement, l'allégresse, l'autonomie des mots. Il n'y a qu'à les suivre. Ce sont eux qui dictent l'acidité, l'iniquité, la provocation, le soufflet à la démocratie, la cruauté et la joie perverse d'une critique qui ne laisse plus rien debout. Faire mal pour se faire du bien !
Tentons d'aller plus loin.
Cette fonction de porte-parole qui lui avait été confiée, au grand dam de beaucoup, a été pour elle, dans les débuts, un chemin de croix qu'elle a assumé avec courage et élégance mais elle l'a conduite, pour répondre aux attentes et tenir ce rôle à contre-emploi, à tomber dans une outrance au quotidien, une partialité sans frein qui ont probablement créé chez elle une forme d'addiction. Une dépendance à l'excès et à la hargne. Cherchant à adopter un registre qui n'était pas le sien mais celui habituel de l'entourage de Nicolas Sarkozy, qui la guettait en espérant ses faiblesses, non seulement elle a abondé dans un sens opposé à son tempérament et à son intelligence mais, pire, elle y a pris goût.
Je perçois dans cette volte conjoncturelle la traduction d'un désir plus profond. NKM, à ce moment de sa vie politique où on finissait par juger plausibles les ambitions qu'elle se prêtait et dissimulait de moins en moins, n'a-t-elle pas manifesté une lassitude, une envie de sortir d'elle-même, presque une irritation devant ce qu'elle avait toujours été jusqu'alors: la belle jeune femme, délicate, polie, retenue, exemplaire, éthérée, respectée par presque tous, d'avenir certes mais si peu friande des procédés de pouvoir qui avaient fait leurs preuves ? Je ressens l'indéniable métamorphose de NKM comme un "bon débarras" jeté à la face et aux oreilles de tous ceux qui, l'admirant, ne jurant que par elle, l'avaient enfermée dans un statut quasiment de sainte politique, de miraculeuse dissidente au sein de son propre camp, d'incarnation morale et de grâce distante : rien, par conséquent, pour damer le pion, dans cet univers impitoyable où elle aspirait à une place d'élection, à ses faux amis et à ses vrais adversaires. Fatiguée d'être une icône et célébrée à proportion même de sa singularité qui, fuyant les sentiers battus, n'encombrait pas le chemin des responsables sérieux !
Cette période qui la voit se dépouiller, pour la pensée et son expression, de toute prudence, mais adopter au contraire une verdeur, parfois une brutalité étonnantes pour qui s'était accoutumé à sa douceur perfide, subtile mais toujours maîtrisée d'avant est aussi celle où elle a marqué de manière plus éclatante et belliqueuse son aversion à l'encontre de Marine Le Pen et du FN.
Sa victoire de justesse lors des législatives, malgré l'ostracisme dont on l'avait frappée, s'inscrit également dans une histoire nouvelle. J'irais jusqu'à soutenir que ces événements n'ont pas inspiré la rénovation politique de son être, sa radicalité de propos et de comportement mais que ces dernières, fruits d'une résolution mûrie, ont rapidement trouvé matière pour s'exercer. NKM a donc regagné le pays du classicisme et de la dureté sans nuance : elle est devenue enfin comme les autres!
Sans regret probablement, elle a transmis le relais de l'éthique quoi qu'il en coûte et de l'atypisme à la sénatrice Chantal Jouanno. Ce ne sera plus elle qui prendra des coups, elle en donnera.
Qu'est-il arrivé à NKM ?
Je préférais la première.