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Procès Orsoni : de l’usage insulaire de la « poussette », ce poison mortel

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 14/05/2015

S'ils n'ont pas encore tout saisi des subtilités insulaires, les jurés qui siègent au procès Orsoni ont d'ores et déjà enrichi leur vocabulaire. Jusqu'à ce mercredi 13 mai, sans doute ne voyaient-ils dans le nom de "poussette" qu'une inoffensive "petite voiture … Continuer la lecture

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viewS'ils n'ont pas encore tout saisi des subtilités insulaires, les jurés qui siègent au procès Orsoni ont d'ores et déjà enrichi leur vocabulaire. Jusqu'à ce mercredi 13 mai, sans doute ne voyaient-ils dans le nom de "poussette" qu'une inoffensive "petite voiture permettant de transporter un enfant en position assise". En matière criminelle, le terme est nettement moins anodin. Il signifie rumeur, instrumentalisation, poison mortel et semble trouver dans le microclimat corse un terreau particulièrement propice.

La "poussette" donc, consiste à distiller de fausses informations susceptibles d'entretenir la haine et l'appétit de vengeance entre deux clans rivaux en accusant l'un de vouloir décimer l'autre.  Son objectif est atteint quand les deux clans en question se sont entre-tués, laissant ainsi le champ libre aux ambitions d'un troisième. Elle serait au cœur du dossier d'assassinats et de tentative d'assassinat qui occupe depuis lundi 11 mai la cour d'assises des Bouches-du-Rhône à Aix-en-Provence.

Lire : Le procès Orsoni se penche sur un "climat malsain" en Corse

Cette clé de lecture des règlements de comptes qui se sont succédé sur l'île, a été fournie aux policiers de l'Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) par un témoin entendu sous couvert d'anonymat dans le cadre d'une autre affaire, l'enquête sur l'assassinat en juin 2008 de Jean-Claude Colonna, parent et possible héritier du parrain incontesté Jean-Jé Colonna, décédé accidentellement deux ans plus tôt. Son interlocuteur, le commandant de police Bruno Boudet, a été cité mercredi à la barre des témoins.

"PROCÉDÉ MACHIAVÉLIQUE"

Selon cette source anonyme, a-t-il expliqué, Alain Orsoni et son ami Antoine Nivaggioni auraient eu recours au "procédé machiavélique" de la "poussette" pour contrer l'alliance qui était en train de se nouer entre la bande dite du Petit bar à Ajaccio et le clan de Jean-Claude Colonna, sous l'égide de Francis Castola père. Faute de pouvoir affronter directement les Colonna, jugés trop puissants, Alain Orsoni et Antoine Nivaggioni auraient conçu un plan en deux étapes. La première consistait à semer la zizanie entre ceux du Petit Bar et les Colonna, en accusant ces derniers d'être à l'origine de l'assassinat en mars 2005 de Francis Castola. La seconde, toujours selon cette source anonyme, a été de susciter un affrontement direct entre le clan Colonna et celui de la Brise de mer, au Nord de l'île, qui s'est traduit par une autre série d'assassinats. Ce n'est qu'une fois ces deux clans affaiblis qu'Alain Orsoni serait "apparu en plein jour".

Mais un projet d'assassinat contre lui, déjoué en août 2008 par la police, aurait ouvert une nouvelle guerre des clans. Elle expliquerait la mort par balles de Thierry Castola et de son ami Sabri Brahimi en janvier 2009 et la tentative d'assassinat dont a réchappé Francis Castola junior en juin 2009 derrière lesquelles l'accusation voit la main de Guy Orsoni, le fils d'Alain, qui aurait ainsi voulu venger et protéger son père. Ce long exposé brouillait singulièrement l'image apaisante qu'avait voulu donner de lui, la veille, Alain Orsoni assurant aux jurés qu'il faisait "partie des citoyens corses qui condamnent sans ambiguïté le grand banditisme."

RENSEIGNEMENTS "VÉRIFIÉS"

Pour le commandant Bruno Boudet a alors commencé l'épreuve des questions de la défense, bien déterminée à saper une thèse à laquelle l'accusation tient d'autant plus que les autres éléments de preuve rapportés contre les accusés sont fragiles. "Vous avez donc recueilli les élucu...pardon les déclarations du témoin sous X..." a ainsi lancé Me Camille Romani ouvrant l'offensive contre une enquête dont toute la logique reposerait sur un renseignement anonyme. "De la poussette sous X " a renchéri Me Philippe Dehapiot, "de la poussette judiciaire" a raillé un autre avocat de la défense, tandis que Me Hervé Temime, l'avocat du principal accusé Guy Orsoni, soulignait que la fausseté avérée de certaines mises en cause faites par ce témoin anonyme suffisait pour lui à ruiner la crédibilité de l'ensemble de ses affirmations.

De cette fragilité originelle de l'enquête et de la brèche qu'elle ne manquerait pas d'offrir à la défense, le juge chargé de l'instruction de ce dossier était conscient. Dans un long avant-propos à l'arrêt de renvoi des onze accusés devant la cour d'assises, il avait assumé "l'évolution décisive" donnée à l'enquête par des témoignages anonymes en relevant que "l"absence de témoignages à visage découvert n'est que la manifestation de la crainte qu'inspirent les auteurs de tels actes, spécialement dans une île où la proximité est grande et où la justice n'a pas toujours été en capacité de sanctionner des actes criminels dont chacun connaissait les auteurs. Les malfaiteurs sont évidemment conscients de cet avantage dont ils bénéficient et qui concourt à renforcer leur impunité judiciaire. Dès lors, lorsque la police ou la justice obtiennent sous couvert d'anonymat des renseignements susceptibles de les mettre en cause, ils feignent de s'en offusquer, dénonçant des pratiques qualifiées de déloyales." Ces renseignements ont été "soumis à la critique, analysés, vérifiés et confrontés à l'ensemble des investigations réalisées", ajoutait le juge en rappelant que "dans l'esprit de tous ceux qui ont eu à diriger l'enquête, les renseignements anonymes n'ont jamais eu valeur de preuve." 

Poursuite des débats vendredi 15 mai.


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