Domaine public, sous occupation et compétence contentieuse
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel et Eve Derouesné, 7/06/2012
Le revirement jurisprudentiel espéré n’aura pas lieu ! Le contrat entre un occupant du domaine public et son sous-occupant relève toujours de la compétence du juge judiciaire. Tel est le sens de la décision adoptée par le Tribunal des conflits le 14 mai 2012, A c/ ville de Paris, n° C3836.
Rappelant les dispositions de l’article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), le Tribunal des conflits juge que : « la S.E.S.E [l’occupant domanial] n’était pas délégataire d’un service public ; que dans ces conditions, le litige né de la résiliation du contrat de droit privé passé entre elle, qui n’agissait pas pour le compte de la ville de Paris, et la société Coquelicot promotion, toutes deux personnes de droit privé, même si cette convention comportait occupation du domaine public, relève de la compétence des juges judiciaires ».
A première lecture, la solution peut apparaître comme traditionnelle voire conservatrice.
A première lecture, la solution peut apparaître comme traditionnelle voire conservatrice.
En effet, fortement motivée et éclairée par les conclusions de son rapporteur public, Nicolas Boulouis, la décision de renvoi du Conseil d’Etat du 11 juillet 2011 (CE, 11 juillet 2011, n° 339409, G. c/ Ville de Paris, JCP édition générale n° 41, 10 octobre 2011, p.1816 et s.), était de nature à convaincre, à l’inverse, de la nécessité de consacrer la compétence consolidée du juge administratif en matière de sous-occupation du domaine public, en tenant pour indifférent que l’occupant du domaine public soit ou non délégataire de service public.
Cette approche était soutenue par l’Etat qui a exposé au Tribunal des conflits l’intérêt d’une unification des contentieux des contrats portant occupation du domaine public au profit du juge administratif compte tenu du caractère déterminant du régime de la domanialité publique pour les droits et obligations du sous-occupant ; de l’expertise du juge administratif pour la problématique domaniale prise dans sa globalité ; et des difficultés créées par l’éclatement du contentieux entre les deux ordres de juridiction, avec le juge administratif pour les contrats de premier rang conclus par la personne publique propriétaire et le juge judiciaire pour les contrats de second rang conclus par l’occupant privé principal.
Une interprétation finaliste du CGPPP devait être mobilisée au profit de cette démarche car le terme « concessionnaire » pose une difficulté qui ne devrait pas pouvoir être ignorée. Pourtant, celle-ci devrait pouvoir être surmontée si l’on observe la genèse de l’article L. 2331-1 du CGPPP qui résulte de la codification des dispositions anciennes de l’article 1er du décret-loi du 17 juin 1938 édictées à une époque où le terme de « concession » visait indifféremment tant les conventions d’occupations du domaine public que les délégations de service public sous toutes leurs formes.
La finalité à privilégier tenait à la préservation de la qualité propre du juge administratif comme juge naturel de toute la sphère de la domanialité publique. Or, bien souvent, la soumission au juge judiciaire des litiges entre l’occupant principal du domaine public et ses sous-occupants a pu aboutir à ce que le sous-occupant, parfois même sans titre, se voit reconnaitre des droits opposables à l’occupant principal en méconnaissance frontale des règles cardinales de la domanialité publique et du principe nemo plus juris.
Cette approche était soutenue par l’Etat qui a exposé au Tribunal des conflits l’intérêt d’une unification des contentieux des contrats portant occupation du domaine public au profit du juge administratif compte tenu du caractère déterminant du régime de la domanialité publique pour les droits et obligations du sous-occupant ; de l’expertise du juge administratif pour la problématique domaniale prise dans sa globalité ; et des difficultés créées par l’éclatement du contentieux entre les deux ordres de juridiction, avec le juge administratif pour les contrats de premier rang conclus par la personne publique propriétaire et le juge judiciaire pour les contrats de second rang conclus par l’occupant privé principal.
Une interprétation finaliste du CGPPP devait être mobilisée au profit de cette démarche car le terme « concessionnaire » pose une difficulté qui ne devrait pas pouvoir être ignorée. Pourtant, celle-ci devrait pouvoir être surmontée si l’on observe la genèse de l’article L. 2331-1 du CGPPP qui résulte de la codification des dispositions anciennes de l’article 1er du décret-loi du 17 juin 1938 édictées à une époque où le terme de « concession » visait indifféremment tant les conventions d’occupations du domaine public que les délégations de service public sous toutes leurs formes.
La finalité à privilégier tenait à la préservation de la qualité propre du juge administratif comme juge naturel de toute la sphère de la domanialité publique. Or, bien souvent, la soumission au juge judiciaire des litiges entre l’occupant principal du domaine public et ses sous-occupants a pu aboutir à ce que le sous-occupant, parfois même sans titre, se voit reconnaitre des droits opposables à l’occupant principal en méconnaissance frontale des règles cardinales de la domanialité publique et du principe nemo plus juris.
Toutefois, pour le rapporteur public Laurent Olléon, ces arguments n’étaient pas de nature à justifier une inversion de la solution traditionnelle : « nous ne voyons pas d’élément décisif justifiant la remise en cause de votre jurisprudence, plus que cinquantenaire, dans un sens qui conduirait à rendre le juge administratif compétent pour connaître de litiges purement commerciaux entre deux personnes privées, au seul motif que la première est occupante du domaine public et la seconde sous-occupante. »
Mais la décision du Tribunal des conflits rendue sur ces conclusions ne peut pas être lue, cependant, comme remettant en cause la solution du 24 septembre 2001, Société BE Diffusion c/ RATP du même juge régulateur des compétences par laquelle, comme le rappelle Laurent Olléon, [le Tribunal des conflits a, par ailleurs,] « posé le principe selon lequel relèvent des juridictions administratives les litiges nés de l’occupation sans titre du domaine public, que celle-ci résulte de l’absence de tout titre d’occupation ou de l’expiration, pour quelque cause que ce soit, du titre précédemment détenu ». Cet arrêt a pour seul but de prescrire une compétence administrative pour les seuls litiges nés de l’occupation sans titre du domaine public.
Pour le rapporteur public, celles-ci coexistent sans être contradictoires.
L’on doit confesser que cette coexistence pourrait ne pas être d’une intelligibilité immédiate pour les justiciables. Par exemple, le litige portant sur l’indemnisation à verser au sous-occupant au titre de la résiliation de son titre devrait-il relever du juge judiciaire car il porte sur l’expiration du titre d’occupation (solution restreinte de 2001) ou du juge administratif (solution générale de 2012) ?
Mais une seconde lecture n’est pas interdite qui suggèrerait de lire l’arrêt du 14 mai 2012 sous un angle différent, peut-être audacieux, qui ne serait pas inhospitalier à la reconnaissance d’une certaine compétence du juge administratif inscrite dans les fondamentaux de la décision Société BE Diffusion c/ RATP, tout en la dépassant ainsi que la solution classique préconisée par les conclusions du rapporteur public de 2012.
Mais la décision du Tribunal des conflits rendue sur ces conclusions ne peut pas être lue, cependant, comme remettant en cause la solution du 24 septembre 2001, Société BE Diffusion c/ RATP du même juge régulateur des compétences par laquelle, comme le rappelle Laurent Olléon, [le Tribunal des conflits a, par ailleurs,] « posé le principe selon lequel relèvent des juridictions administratives les litiges nés de l’occupation sans titre du domaine public, que celle-ci résulte de l’absence de tout titre d’occupation ou de l’expiration, pour quelque cause que ce soit, du titre précédemment détenu ». Cet arrêt a pour seul but de prescrire une compétence administrative pour les seuls litiges nés de l’occupation sans titre du domaine public.
Pour le rapporteur public, celles-ci coexistent sans être contradictoires.
L’on doit confesser que cette coexistence pourrait ne pas être d’une intelligibilité immédiate pour les justiciables. Par exemple, le litige portant sur l’indemnisation à verser au sous-occupant au titre de la résiliation de son titre devrait-il relever du juge judiciaire car il porte sur l’expiration du titre d’occupation (solution restreinte de 2001) ou du juge administratif (solution générale de 2012) ?
Mais une seconde lecture n’est pas interdite qui suggèrerait de lire l’arrêt du 14 mai 2012 sous un angle différent, peut-être audacieux, qui ne serait pas inhospitalier à la reconnaissance d’une certaine compétence du juge administratif inscrite dans les fondamentaux de la décision Société BE Diffusion c/ RATP, tout en la dépassant ainsi que la solution classique préconisée par les conclusions du rapporteur public de 2012.
En effet, pour écarter la compétence du juge administratif, le Tribunal des conflits ne se borne pas à constater l’absence de qualité de délégataire de service public de l’occupant principal : il relève, aussi, que celui-ci « n’agissait pas pour le compte de la ville de Paris », en faisant référence au test de l’existence d’un mandat administratif. Si celui-ci est satisfait, le juge administratif trouve sa compétence dans la relation entre l’occupant principal et ses sous-occupants. La seule qualité d’occupant du domaine public dénué de toute mission déléguée ou sous-déléguée de service public ne serait pas un obstacle absolu à cette compétence si l’occupant agit pour le compte de la collectivité propriétaire.
Pour autant, si l’existence d’un mandat administratif justifie une exception ancienne posée par le Tribunal des conflits pour reconnaître la compétence du juge administratif pour des litiges contractuels entre personnes privées, son champ d’application a toujours été strictement résiduel et pour l’essentiel circonscrit aux travaux publics (TC, 8 juillet 1963, Société entreprise Peyrot, Lebon 787).
Mais la domanialité publique peut, elle aussi, faire surgir des relations qui, relèvent du mandat administratif. Elle pourrait, de la sorte, permettre de s’affranchir de la contrainte du critère organique, qui écarte toujours puissamment du contentieux administratif le litige contractuel entre personnes de droit privé né d’un contrat de droit privé.
En pratique, l’occupant a toujours la responsabilité de la préservation de l’intégrité du bien domanial par ses sous-occupants, du respect de sa destination par leur sous-occupation et de la perception auprès d’eux de redevances tenant compte des avantages retirés de leur sous-occupation. Ces impératifs, qui lui sont assignés par son contrat d’occupation principale, servent exclusivement les droits et les obligations que le propriétaire public tient de sa qualité de maître du domaine.
Ainsi, lorsqu’un litige naît d’une décision de l’occupant principal ayant pour objet le respect des règles de domanialité publique dont l’occupant est responsable à l’égard de la collectivité publique propriétaire, directement pour son fait mais, aussi, du fait des tiers à la collectivité qui sous-occupent le domaine public en vertu d’un contrat conclu avec l’occupant, comment ne pas regarder cet occupant comme agissant dans l’intérêt de la personne publique propriétaire avec une intensité telle qu’il agit, en définitive, pour le compte ?
Il est fréquent d’ailleurs que la convention d’occupation du domaine public rappelle à l’occupant principal les conséquences des règles de la domanialité publique dans ses rapports avec ses sous-contractants. Un pas supplémentaire devrait pouvoir être franchi pour tirer les conséquences de ce rappel en formalisant le mandat donné à l’occupant d’assurer, pour le compte de la collectivité publique, le respect des règles de domanialité publique à l’égard de ses sous-occupants, tout en se gardant de franchir les frontières qui séparent le contrat de simple occupation domaniale de la concession de services au sens communautaire ou de la convention de délégation de service public au sens du droit français.
Dans le raisonnement du Tribunal des conflits, la compétence judiciaire semble avoir découlé de ce que l’occupant n’agissait pas pour le compte de la collectivité publique. Cette qualité aurait pu résulter d’une délégation de service public. Mais pas exclusivement. Et d’autres liens constitutifs d’un mandat administratif peuvent exister, comme ceux évoqués plus haut.
La décision du Tribunal des conflits stabilise la question de la compétence juridictionnelle en matière de domanialité publique. Elle ne la referme pas si l’on estime qu’elle ne s’est pas tenue, comme le lui demandait son rapporteur public, à une simple mise à jour terminologique consistant à donner au terme « concessionnaire » son acception contemporaine de « délégataire de service public ».
Pour autant, si l’existence d’un mandat administratif justifie une exception ancienne posée par le Tribunal des conflits pour reconnaître la compétence du juge administratif pour des litiges contractuels entre personnes privées, son champ d’application a toujours été strictement résiduel et pour l’essentiel circonscrit aux travaux publics (TC, 8 juillet 1963, Société entreprise Peyrot, Lebon 787).
Mais la domanialité publique peut, elle aussi, faire surgir des relations qui, relèvent du mandat administratif. Elle pourrait, de la sorte, permettre de s’affranchir de la contrainte du critère organique, qui écarte toujours puissamment du contentieux administratif le litige contractuel entre personnes de droit privé né d’un contrat de droit privé.
En pratique, l’occupant a toujours la responsabilité de la préservation de l’intégrité du bien domanial par ses sous-occupants, du respect de sa destination par leur sous-occupation et de la perception auprès d’eux de redevances tenant compte des avantages retirés de leur sous-occupation. Ces impératifs, qui lui sont assignés par son contrat d’occupation principale, servent exclusivement les droits et les obligations que le propriétaire public tient de sa qualité de maître du domaine.
Ainsi, lorsqu’un litige naît d’une décision de l’occupant principal ayant pour objet le respect des règles de domanialité publique dont l’occupant est responsable à l’égard de la collectivité publique propriétaire, directement pour son fait mais, aussi, du fait des tiers à la collectivité qui sous-occupent le domaine public en vertu d’un contrat conclu avec l’occupant, comment ne pas regarder cet occupant comme agissant dans l’intérêt de la personne publique propriétaire avec une intensité telle qu’il agit, en définitive, pour le compte ?
Il est fréquent d’ailleurs que la convention d’occupation du domaine public rappelle à l’occupant principal les conséquences des règles de la domanialité publique dans ses rapports avec ses sous-contractants. Un pas supplémentaire devrait pouvoir être franchi pour tirer les conséquences de ce rappel en formalisant le mandat donné à l’occupant d’assurer, pour le compte de la collectivité publique, le respect des règles de domanialité publique à l’égard de ses sous-occupants, tout en se gardant de franchir les frontières qui séparent le contrat de simple occupation domaniale de la concession de services au sens communautaire ou de la convention de délégation de service public au sens du droit français.
Dans le raisonnement du Tribunal des conflits, la compétence judiciaire semble avoir découlé de ce que l’occupant n’agissait pas pour le compte de la collectivité publique. Cette qualité aurait pu résulter d’une délégation de service public. Mais pas exclusivement. Et d’autres liens constitutifs d’un mandat administratif peuvent exister, comme ceux évoqués plus haut.
La décision du Tribunal des conflits stabilise la question de la compétence juridictionnelle en matière de domanialité publique. Elle ne la referme pas si l’on estime qu’elle ne s’est pas tenue, comme le lui demandait son rapporteur public, à une simple mise à jour terminologique consistant à donner au terme « concessionnaire » son acception contemporaine de « délégataire de service public ».