Le mensonge si je dis la vérité !
Justice au singulier - philippe.bilger, 13/04/2013
On a heureusement échappé à une loi sur le mensonge à la suite de l'affaire Cahuzac. On verra ce que vaut le plan de moralisation publique développé par le président de la République.
Le Grand Rabbin de France s'est tout de même mis en congé parce qu'il avait trop dégradé son image et celle par ricochet de la communauté juive pour ne pas tirer les conclusions de mensonges, de plagiats et d'atermoiements qui n'avaient que trop duré (Le Figaro).
Le débat s'est évidemment beaucoup focalisé, ces derniers temps, sur la dissimulation et la vérité. Comme si on avait découvert l'obligation de la rectitude, la grandeur de la transparence et, au-delà, la force de la morale. Cette révélation est d'autant plus ridicule qu'elle concerne des adultes dont on aurait pu penser que depuis longtemps ils n'avaient plus besoin, pour enchanter leur univers ou oublier leurs échecs, de la consolation de la fausseté.
Je voudrais, sans m'appesantir sur cette difficulté qui relève moins de la politique que de l'intime, moins de la réglementation que de l'allure, analyser un dangereux sophisme qui, semble-t-il, a été prêté à Jérôme Cahuzac. Celui-ci a cru déceler en effet une faille dans le procès justifié qui lui était fait - même si la surenchère dans l'indignation du Pouvoir ne visait qu'à faire oublier l'extrême imprudence avec laquelle celui-ci l'avait nommé ministre, et du Budget en plus ! - et a prétendu dénoncer une hypocrisie dont il serait victime.
Outre le fait qu'il va évidemment payer lourdement non seulement pour lui-même mais pour tous les autres jamais pris, il a soutenu qu'il y aurait des mensonges illégitimes et intolérables comme le sien devant la représentation nationale et d'autres acceptables, honorables même comme l'engagement trompeur de revenir pour nos finances publiques aux 3%, alors qu'il n'y aurait pas une radicale différence entre eux.
Jérôme Cahuzac, en cherchant à ne pas distinguer son comportement du discours politique habituel, fait vibrer une corde populiste qui n'est pas loin de considérer que les hommes politiques sont consubstantiellement liés au mensonge. J'estime que cette approche est non seulement insultante, dangereuse mais erronée.
Par ailleurs, pour adhérer si peu que ce soit à l'opinion de l'ancien ministre, il conviendrait de retenir que d'emblée, la gauche ou la droite au pouvoir ont proféré des promesses qu'elles savaient irréalisables et n'ont pas été victimes, au contraire, de l'imprévisibilité du réel et des contraintes nationales et internationales. Pour résumer, les écarts que la politique impose entre la pureté de l'engagement et la dure loi de l'existant ne constituent pas des mensonges mais des ajustements forcés. Dans leur principe, ils ne sont pas inspirés par une volonté de tromper mais par un empirisme d'ailleurs plus ou moins toléré par la communauté nationale.
Aussi, on a beau se réfugier dans les arguties et les distinctions vaines, un mensonge pourrait se définir par le fait qu'il ne représente jamais une voie obligatoire et serrant la personne dans un implacable étau. Elle a toujours la possibilité morale et banalement humaine d'échapper à cette emprise et de se grandir en affrontant où que ce soit, surtout devant l'Assemblée nationale, l'épreuve de la vérité et la nécessité de la dire. Je suis persuadé que le vrai est non seulement éthique mais, dans tous les cas, habile.
Jérôme Cahuzac - c'est l'énorme faiblesse de son caractère - s'est jugé plus important que ce qu'il aurait dû respecter.
Et le mensonge, au moins pour quelque temps, l'a perdu.