Emmanuel Macron trop intelligent pour être un grand président ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 17/11/2019
J'ai souvent dit de mon ami tellement regretté, Thierry Lévy, la plus belle langue du barreau, qu'il était trop intelligent pour être un grand avocat classique.
Je me demande si la question ne mérite pas d'être posée à propos d'Emmanuel Macron même si à son sujet, d'autres interrogations moins amènes sont assez souvent formulées.
Qu'on ne vienne pas, selon une habitude trop répandue chez certains, scruter à la loupe mes billets passés en aspirant à me mettre en contradiction avec tel ou tel d'entre eux sur Emmanuel Macron, alors que je n'ai jamais caché que ma subjectivité libre et ajustée à l'actualité n'était ni celle d'un essayiste ou d'un journaliste, encore moins celle d'un historien. Je me suis toujours donné le droit de changer d'avis parce que la réalité d'un homme ou d'un pays n'est pas fixe.
Je tiens d'autant plus à cette explication que, en même temps que l'univers médiatique avec ses débats, les mille échanges de la vie quotidienne, l'humus des entretiens familiers, des perceptions de chacun, avec une banalité qui, dominante parce que souvent exprimée, est très signifiante, enseignent beaucoup au citoyen qui aime s'abreuver à toutes les sources.
Aussi, alors qu'il m'arrive de devoir défendre le président de la République fustigé parfois d'une manière que j'estime injuste, je suis confronté à des analyses émanant de gens de bonne foi, non gangrenés par une hostilité systématique, qui ne laissent pas de m'inquiéter parce qu'au fond elles me semblent plausibles.
Je me sens relativement à l'aise pour soutenir que le président n'a pas été élu seulement par les forces d'argent, le capitalisme bancaire et la France d'en haut, ce qui ferait de lui un responsable assujetti et dépendant, pour sa politique, d'injonctions qui ne seraient pas inspirées que par l'intérêt général.
En revanche, un reproche récurrent lui est fait et demeure contre vents, marées, prise de conscience et contrition. Il trouble parce que même l'esprit le plus objectif à son égard l'a parfois appréhendé telle une menace alors que pour beaucoup d'autres il est une certitude. Emmanuel Macron serait trop jeune, trop intellectuel, il ne connaîtrait la France que théoriquement, il manquerait de véritable humanité, il ne serait pas connecté avec le peuple, la politique serait une question de cours et non pas une épreuve de vérité, d'écoute, de volonté et de respect ! (Sud Radio).
C'est évidemment charger la barque mais il reste que cette opinion est trop partagée pour être méprisée, d'autant plus qu'elle accepte de créditer Emmanuel Macron de vertus hors du commun mais sont-ce les bonnes pour présider ? L'épaisseur lui manque-t-elle, et cette aptitude à communiquer aux citoyens que, au-delà des oppositions politiques, ils ont affaire à la personnalité qui convenait en cette période et dans ce pays de plus en plus déchiré, à vif ? Sa juvénilité est-elle un handicap, le démontrant incapable de maîtriser l'ancien monde, puisque le nouveau a relevé d'une promesse vaine, faisant seulement se télescoper son âge et cette espérance ?
A peine ces interrogations formulées, il est facile de percevoir comme elles pourraient trouver une réponse amère. J'ai moi-même constaté chez notre président, après le ravissement d'avoir été ce candidat fulgurant et dont on attendait tout, un mélange d'extrême intelligence et de profonde naïveté, une étonnante propension à n'être jamais dans le tempo juste - par exemple pour les Gilets jaunes, qu'il comprend trop tard - et dans l'expression d'un pouvoir qui saurait concéder ce que l'instant exige. Il est assez généralement à contretemps dans ses réactions comme s'il ne voulait jamais céder au réel tout de suite mais plus tard, trop tard.
C'est vrai dans le grave comme dans le futile. Il n'a pas une piètre opinion de lui-même mais prend-il la France au sérieux, les menaces qui l'affectent, d'où qu'elles viennent, au tragique, n'a-t-il pas l'impression que le royaume des idées est tout et le discours la meilleure manière d'emporter l'adhésion ? alors que le verbe ne doit être que l'antichambre de l'action...
Revenant vers des séquences qui à l'évidence l'ont comblé autant qu'elles ont impressionné, j'infléchis mon jugement. Le Grand Débat national n'a-t-il pas été une succession d'exercices de style, une série de morceaux de bravoure, plus qu'une authentique volonté de convaincre, de sortir du champ partisan pour écouter ceux que la démocratie n'entend pas ou trop peu ?
A prendre connaissance de ce que ses proches, son entourage laissent filtrer sur lui, on n'est pas étonné par l'obsession de 2022 qui l'habiterait - "il ne pense qu'à ça, selon l'un d'eux - mais inquiet quand paraît-il il aspire à des "idées disruptives, à être iconoclaste". Quand on ne rêve que de présider à nouveau la France, on ne s'embarrasse pas de pulsions de gamin désireux de se faire remarquer, d'envies d'agiter et de troubler quand à l'évidence ces foucades intellectuelles ne plaisent qu'à celui qui les cultive et nullement à un peuple qui a besoin de tout autre chose.
Peut-être est-ce en effet la clé de cette personnalité, tombant parfois dans une gravité surjouée, que "de n'être pas heureuse dans cette drôle de vie" mais de "continuer à plaisanter... à être un gros déconneur...et à balancer des vannes à ses conseillers...". Une anecdote est significative : alors qu'il recevait des députés LREM et que chacun se bousculait pour attirer son attention, il aurait lancé à la cantonade :"Oh, les amis, vous n'êtes pas des Gilets jaunes". Et tous bien sûr de s'esclaffer (Le Parisien).
Si c'est vrai, c'est drôle mais pathétique. Parce que derrière cette dérision il y a toute l'explication d'une relation ratée, d'un malentendu entre une assurance régalienne et une quotidienneté modeste. Entre le président et beaucoup de ses concitoyens.
Puisque, malgré des efforts certains et des résultats substantiels, Emmanuel Macron n'est jamais vraiment crédité sur le plan politique mais que au contraire la France est dans un état à nul autre pareil, éclaté, explosé, furieux et partout vindicatif, il faut bien admettre que le président n'arrive pas à persuader qu'il préside : ne fait-on pas confiance à l'homme parce qu'il y aurait encore trop du collégien, du jeune homme en lui ?
Trop intelligent, trop léger pour présider les pieds sur le sol et la tête dans la France authentique ?