La loi sur le Renseignement : la sécurité pour tous !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 15/04/2015
Mon titre est légèrement provocateur mais j'en ai tellement assez d'entendre ou de lire "loi liberticide" ou de "surveillance pour tous" qu'il me paraît sain de réagir (Le Monde, Le Parisien, Le Figaro, Figaro Vox, Libération).
Ce sujet, depuis le début du mois d'avril, est dans nos têtes citoyennes et dans la mienne en particulier, à la suite notamment d'un remarquable colloque à Marseille, le 8 avril, sur le droit à l'épreuve du terrorisme, les bâtonniers Giletta et Mattei étant, si j'ose dire, à la barre.
Je n'avais pas besoin de cet événement pour en être persuadé mais l'organisation, la qualité et le talent, avec moins de surestimation collective et singulière, valent largement ceux de Paris.
Ce projet de loi a été conçu avant les crimes du mois de janvier. Son élaboration et son vote ont été accélérés à cause des nouvelles mesures à prendre pour lutter contre le terrorisme en préparation et en dessein. Il n'a rien à voir avec le "Patriot Act" mais seulement renforce, revigore et enrichit un dispositif déjà existant.
Sur le plan de la philosophie pénale et même si pour l'instant elle ne concerne que les terroristes, j'aurais mauvaise grâce à me plaindre de la prise de conscience salubre d'un gouvernement devenu enfin vigilant et réaliste. Je n'espère, sans trop y croire pour le reste qui est l'essentiel, qu'une bienfaisante contagion de cet état d'esprit !
La gauche de pouvoir et de responsabilité pâtit à son tour - elle en a abusé à l'encontre de la droite en charge du pays - de cette perversion qui, face à un projet admis quasiment par tous dans sa structure et sa substance, ne va énoncer que critiques, obstacles, risques susceptibles d'affecter sa mise en oeuvre. Je ne méconnais pas l'importance démocratique de ces alertes, de ces sentinelles mais encore faudrait-il qu'elles ne nous entraînassent point à confondre le centre avec la périphérie, le capital avec l'accessoire et le virtuel soupçonné avec un réel incontesté.
Ou à soutenir, comme le député Marsaud qui s'abandonne rétrospectivement à un exercice imprudent, que ce projet n'aurait pas empêché les crimes survenus !
Une forme de consensus s'est dégagée pour donner toutes ses chances à ce texte rudement et heureusement pragmatique, et le débat parlementaire permettra de l'améliorer sur certains points, de clarifier quelques notions, l'adjectif "essentiels" sera notamment à définir avec précision.
Son champ d'application devra être limité aux personnes concernées et à leur environnement, mais suffisamment étroit pour qu'aucune dérive globale étrangère à son objet ne soit possible. Il s'agira de manifester que l'outil n'a été rendu plus efficace que pour combattre le terrorisme, et évidemment pas les autres formes d'opposition, aussi vindicatives qu'elles puissent être.
Ces aménagements, si une bonne volonté collective inspire les députés, seront aisés à apporter.
En dehors des recours administratifs prévus (très bien exposés par Jean-Jacques Urvoas sur France Inter), ce projet de loi sera décisif qui, enfin, s'attachera à l'officieux et à l'officiel du Renseignement et appréhendera, sans naïveté et avec intelligence, l'ensemble des opérations accomplies en faveur de la défense de notre territoire, les nécessaires, les illégitimes, les transgressives comme les licites et les tolérées, et en tirera, enfin, une conclusion cohérente. Qui les recouvrira toutes, pour l'avenir, du vaste manteau rassurant de la loi.
Une avancée significative, mais, je le crains, provisoire, a été accomplie, contre le gré de Christiane Taubira qui pourtant sera le donneur d'ordre en matière pénitentiaire mais à la satisfaction de Jean-Jacques Urvoas, pour constituer l'univers carcéral comme un secteur autonome de renseignements.
La voie choisie, pour l'orientation, est la bonne qui va rendre légal tout ce qui est nécessaire. Non plus s'interroger pour savoir ce que la loi doit autoriser dans le champ de la République, mais accepter que l'efficacité de la surveillance et de l'action, avec les multiples moyens et processus qu'une modernité sophistiquée a su créer à cette fin, détermine et gouverne la validation par la loi.
La principale préoccupation, si on veut bien considérer les malheurs et dysfonctionnements depuis l'affaire Merah, se rapportera aux mécanismes de contrôle et à la compétence des agents.
Comment faire pour que, de manière permanente, l'exemplarité dans l'application de la loi et les pratiques des personnels et des services soit maintenue à son plus haut degré ? Comment sanctionner rapidement les carences, les défaillances, les négligences et les transgressions constatées ? Comment justifier que la confiance du Parlement ne soit jamais trahie ?
Les pistes à emprunter sont limpides et ce projet de loi sur le Renseignement n'en sera que consolidé. Il n'est pas liberticide et il n'entraînera pas une surveillance pour tous. Ce n'est pas aux citoyens qu'il faut faire peur mais aux terroristes. Au pire, je céderais volontiers un peu de ma liberté pour garantir mieux la sécurité de tous.
Légaliser tout ce qui est nécessaire. Une exécution stricte et rigoureuse de la loi. D'impitoyables sanctions pour ceux qui la détourneraient ou la violeraient par paresse, facilité ou perversion.
Ce n'est pas insurmontable.