Baby Loup conduit à la fixation jurisprudentielle d’une règle de partage entre laïcité et liberté religieuse sur le lieu de travail (intégralité de l’arrêt ci-dessous)
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch, Marc Sénac de Monsembernard, 3/12/2013
La Cour d’appel de Paris, saisie sur renvoi par la Cour de cassation , a admis la validité du licenciement pour faute grave d’une salariée au motif qu’elle portait le voile islamique, contrairement à ce qu’avait jugé la Haute Juridiction (CA PARIS, 27 nov 2013, n°13/02981).
La salariée travaillait au sein de l’association Baby Loup, association qui développe une activité en milieu défavorisé orientée vers la petite enfance, assimilable à celle d’une crèche. Elle avait décidé de porter le voile islamique alors qu’une clause du règlement intérieur de l’association prévoyait la neutralité du personnel quant à leur croyance religieuse.
Par un arrêt du 27 novembre 2013, la Cour d’appel de Paris a suivi les réquisitions du Ministère Public et adopté la même position que la Cour d’appel de Versailles dont l’arrêt du 27 octobre 2011 avait été censuré par la Cour de cassation par une décision du 19 mars 2013 (CASS SOC, 19 mars 2013, n°11-18845). La Cour a confirmé la validité de la clause de neutralité inscrite dans le règlement intérieur de l’association et par conséquent le licenciement pour faute grave.
La Cour d’appel de Paris a considéré que, malgré le fait que l’association Baby Loup soit une personne morale de droit privé, elle assure une mission d’intérêt général. En effet, « l'association Baby Loup a pour objectif « de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'œuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes » ' « sans distinction d'opinion politique et confessionnelle» ». Ces missions sont similaires à celles offertes par les crèches publiques. Par conséquent, ces missions d’intérêt général devraient être susceptibles de justifier une restriction de liberté telle qu’autorisée par l’article L. 1121-1 du code du travail.
La Cour d’appel a conclu que la mise à pied de la salariée par l’employeur reposait sur un ordre licite « au regard de l'obligation spécifique de neutralité imposée à la salariée par le règlement intérieur de l'entreprise » et que son comportement « caractéris(ait) une faute grave nécessitant le départ immédiat de celle-ci » et justifiant son licenciement.
Rappelons que la solution adoptée par le Cour de cassation dans son arrêt du 19 mars 2013 reposait sur la circonstance que l’association Baby Loup est une personne morale de droit privé assurant « seulement » une mission d’intérêt général. La solution avait été tout autre en présence d’une structure chargée d’une mission de service public.
En effet, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu également le 19 mars 2013, avait décidé qu’une salariée d’une caisse primaire d’assurance maladie, organisme de droit privé chargé d’une mission de service public, devait respecter « la restriction instaurée par le règlement intérieur de la caisse (qui) était nécessaire à la mise en œuvre du principe de laïcité de nature à assurer aux yeux des usagers la neutralité du service public » (CASS SOC, 19 mars 2013 n°12-11.690)
La Cour d’appel de Paris relance ainsi le débat sur le port du voile dans le monde du travail qui désormais sera tranché par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation. La particularité des décisions rendues par l’Assemblée Plénière tient au fait que la Cour d’appel de renvoi sera tenue de suivre la position de la Haute Juridiction. Le débat pourrait alors se poursuivre devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (« CEDH »). La CEDH a déjà statué sur le port du voile islamique. En 2001, elle avait décidé que l’interdiction pour une institutrice chargée d’enseigner à des enfants âgés de quatre et huit ans n’était pas déraisonnable (décision 15 février 2001, n°42393/98 Dahlab c. Suisse)
En tout état de cause, une clarification s’impose et le Défenseur des droits a saisi le Conseil d’Etat en septembre 2013 afin qu’il mène une étude sur l’applicabilité du principe de laïcité en France.
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Pour une meilleure compréhension de la procédure : Charte du justiciable
Article L431-6 COJ : Le renvoi devant l'assemblée plénière peut être ordonné lorsque l'affaire pose une question de principe, notamment s'il existe des solutions divergentes soit entre les juges du fond, soit entre les juges du fond et la Cour de cassation ; il doit l'être lorsque, après cassation d'un premier arrêt ou jugement, la décision rendue par la juridiction de renvoi est attaquée par les mêmes moyens.
Article L421-5 COJ : L'assemblée plénière est présidée par le premier président, ou, en cas d'empêchement de celui-ci, par le plus ancien des présidents de chambre. Elle comprend, en outre, les présidents et les doyens des chambres ainsi qu'un conseiller de chaque chambre.
Par un arrêt du 27 novembre 2013, la Cour d’appel de Paris a suivi les réquisitions du Ministère Public et adopté la même position que la Cour d’appel de Versailles dont l’arrêt du 27 octobre 2011 avait été censuré par la Cour de cassation par une décision du 19 mars 2013 (CASS SOC, 19 mars 2013, n°11-18845). La Cour a confirmé la validité de la clause de neutralité inscrite dans le règlement intérieur de l’association et par conséquent le licenciement pour faute grave.
La Cour d’appel de Paris a considéré que, malgré le fait que l’association Baby Loup soit une personne morale de droit privé, elle assure une mission d’intérêt général. En effet, « l'association Baby Loup a pour objectif « de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'œuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes » ' « sans distinction d'opinion politique et confessionnelle» ». Ces missions sont similaires à celles offertes par les crèches publiques. Par conséquent, ces missions d’intérêt général devraient être susceptibles de justifier une restriction de liberté telle qu’autorisée par l’article L. 1121-1 du code du travail.
La Cour d’appel a conclu que la mise à pied de la salariée par l’employeur reposait sur un ordre licite « au regard de l'obligation spécifique de neutralité imposée à la salariée par le règlement intérieur de l'entreprise » et que son comportement « caractéris(ait) une faute grave nécessitant le départ immédiat de celle-ci » et justifiant son licenciement.
Rappelons que la solution adoptée par le Cour de cassation dans son arrêt du 19 mars 2013 reposait sur la circonstance que l’association Baby Loup est une personne morale de droit privé assurant « seulement » une mission d’intérêt général. La solution avait été tout autre en présence d’une structure chargée d’une mission de service public.
En effet, la Cour de cassation, dans un arrêt rendu également le 19 mars 2013, avait décidé qu’une salariée d’une caisse primaire d’assurance maladie, organisme de droit privé chargé d’une mission de service public, devait respecter « la restriction instaurée par le règlement intérieur de la caisse (qui) était nécessaire à la mise en œuvre du principe de laïcité de nature à assurer aux yeux des usagers la neutralité du service public » (CASS SOC, 19 mars 2013 n°12-11.690)
La Cour d’appel de Paris relance ainsi le débat sur le port du voile dans le monde du travail qui désormais sera tranché par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation. La particularité des décisions rendues par l’Assemblée Plénière tient au fait que la Cour d’appel de renvoi sera tenue de suivre la position de la Haute Juridiction. Le débat pourrait alors se poursuivre devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (« CEDH »). La CEDH a déjà statué sur le port du voile islamique. En 2001, elle avait décidé que l’interdiction pour une institutrice chargée d’enseigner à des enfants âgés de quatre et huit ans n’était pas déraisonnable (décision 15 février 2001, n°42393/98 Dahlab c. Suisse)
En tout état de cause, une clarification s’impose et le Défenseur des droits a saisi le Conseil d’Etat en septembre 2013 afin qu’il mène une étude sur l’applicabilité du principe de laïcité en France.
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Pour une meilleure compréhension de la procédure : Charte du justiciable
Article L431-6 COJ : Le renvoi devant l'assemblée plénière peut être ordonné lorsque l'affaire pose une question de principe, notamment s'il existe des solutions divergentes soit entre les juges du fond, soit entre les juges du fond et la Cour de cassation ; il doit l'être lorsque, après cassation d'un premier arrêt ou jugement, la décision rendue par la juridiction de renvoi est attaquée par les mêmes moyens.
Article L421-5 COJ : L'assemblée plénière est présidée par le premier président, ou, en cas d'empêchement de celui-ci, par le plus ancien des présidents de chambre. Elle comprend, en outre, les présidents et les doyens des chambres ainsi qu'un conseiller de chaque chambre.