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Thomas Piketty : ils ne sont pas Légion à refuser l'honneur !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 3/01/2015

Derrière ces explications certaines, probables, plausibles, politiques et intimes, le soupçon, chez Thomas Piketty, d'une indifférence de privilégié, d'un dédain de riche, d'un mépris de courtisé ?

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Thomas Piketty, en refusant la Légion d'honneur, a fait beaucoup jaser.

Et, parce que son geste pose un certain nombre de questions, je me mêle de ce débat à mon tour.

Ce qui me passionne en l'occurrence est la constatation d'une évidence : il n'est pas une démarche humaine qui ne soit pas équivoque, riche d'une pluralité d'explications possibles.

Il y a, en effet, ce que Thomas Piketty nous dit et ce que son abstention nous révèle peut-être à son insu. Tant de sens, explicites et implicites, sont sans doute enfermés dans son acte apparemment simple même s'il est singulier.

Thomas Piketty nous affirme qu'il n'a jamais demandé la Légion d'honneur et qu'il n'était pas informé de la délivrance de cette distinction. Je le crois d'autant plus que j'ai vécu la même expérience et que je peux témoigner de ma totale surprise en lisant mon nom dans Le Figaro du 14 juillet d'alors.

Il dénonce, par ailleurs, "une distinction complètement dépassée...une conception du rôle de l'Etat, du gouvernement, qui me semble totalement surannée..." et ajoute "je ne pense pas que ce soit le rôle d'un gouvernement de décider qui est honorable".

J'apprécie que, malgré cette critique relativement neuve, Thomas Piketty ne parle pas, comme quelques imbéciles, de breloque au sujet de la Légion d'honneur alors que beaucoup l'ont méritée par un vrai courage et une action décisive au service de la France.

On peut bien sûr discuter, comme on le fait chaque année, la valeur des récipiendaires et se gausser de certains comme d'aucuns ont dû s'en donner à coeur joie à mon détriment. Le Grand Chancelier, mis à contribution depuis le refus de Piketty, affirme que les critères d'octroi de la Légion d'honneur sont sérieux et incontestables. Il faut le croire sur parole.

Pour ma part, je me rappelle avoir recommandé un ami dont le mérite était incontestable et dont le dossier a été rejeté. Pourquoi, je ne sais. Le général d'armée Georgelin n'a jamais donné suite à la demande d'entretien qu'il avait lui-même sollicitée.

Pour l'anecdote, je n'ai pu m'empêcher de sursauter quand j'ai lu que Pierre Bergé avait été élevé à la DIGNITE de Grand Officier, quand on a en mémoire certains de ses propos dont la violence et la grossièreté étaient aux antipodes de cette délicatesse de la personnalité (Le Figaro).

Sur le fond, à partir du moment où la distinction en elle-même n'est pas discutée, je vois mal à quelle autre instance qu'aux autorités publiques, en espérant leur impartialité et équité, on pourrait confier le soin de départager et d'honorer.

Il serait concevable, en revanche, d'imposer des conditions d'octroi plus drastiques, renvoyant à moins de futilité et de lumière médiatiques et artistiques mais à plus de dignité et de considération pour les vertus essentielles manifestées : courage, audace, exemplarité, solidarité, reconnaissance de la Nation.

Mais Thomas Piketty n'est-il pas dupe de lui-même ?

Quand le Secrétaire d'Etat Thierry Mandon déclare qu'on refuse en général la Légion d'honneur soit par humilité soit par politique et que Thomas Piketty, à son avis, relève de la seconde branche, il a raison.

Ce brillant économiste, cet auteur encensé n'a-t-il pas vitupéré "l'action catastrophique du gouvernement" en lui conseillant "de se consacrer à la relance de la croissance en France" ? Ne reproche-t-il pas à ce pouvoir de n'avoir pas élaboré et mis en oeuvre la grande politique fiscale qu'il pensait avoir inspirée ? La gauche elle-même ne s'est pas trompée qui a vu dans le rejet de Thomas Piketty un "mauvais coup" porté au pouvoir (Le Parisien, Le Monde, Libération).

Mais est-il concevable de tenter d'aller encore plus loin, plus profond ? Dans ces territoires où se forgent des refus ou des adhésions obscurs ?

Une envie de provocation narcissique malgré le fait que sa conscience de soi a dû être déjà surabondamment comblée par le succès inouï de son ouvrage ?

Un désir de se camper aux côtés de personnalités rares au caractère trempé ayant décliné l'honneur ?

Une vraie modestie pouvant apparaître subtilement comme le comble de l'orgueil ? Ne pas accepter ce qui est trop légèrement octroyé ?

A titre personnel, j'aurais préféré que très banalement Thomas Piketty acceptât cette Légion d'honneur. Avec simplicité. C'est en définitive donner, en la refusant, plus de prix que nécessaire à une distinction qui n'est pas déshonorante !

Derrière ces explications certaines, probables, plausibles, politiques et intimes, le soupçon, chez Thomas Piketty, d'une indifférence de privilégié, d'un dédain de riche, d'un mépris de courtisé ?


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