Actions sur le document

Le problème, c'est l'homme, pas la loi !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 6/04/2015

Le problème, c'est l'homme, à tout coup, mais il est tellement plus commode de l'exonérer à cause de la loi qui n'en peut mais !

Lire l'article...

On pourra multiplier les exemples et on sera obligé de constater qu'après chaque tragédie, à l'issue de chaque dysfonctionnement, une fois le désastre consommé, qu'il soit terroriste, judiciaire, politique ou médiatique, la réaction a été d'abord de s'interroger gravement sur les défaillances de la loi puis d'annoncer l'élaboration rapide de la suivante.

Comme si la loi était coupable et l'homme jamais responsable, comme si le texte avait des failles et que ceux chargés de l'appliquer, au fond, n'avaient été victimes que de celles-ci.

Alors qu'il suffit de reprendre en détail les affaires signifiantes et souvent traumatisantes de ces dernières années pour admettre qu'une fois l'émotion et l'indignation immédiates passées, la conclusion doit être peu ou prou toujours la même. Elle renvoie, prioritairement, à des fautes et à des carence humaines, singulières ou collectives, bien plus qu'à des lacunes de fond réelles ou invoquées qui, dans tous les cas, ont eu très peu d'incidence sur les catastrophes ne survenant jamais par hasard.

Mais parce que des institutions, des administrations, des services publics, à un certain moment, à un certain niveau, n'ont pas été capables d'assumer compétence et excellence jusqu'au bout et ont laissé, en leur sein, des professionnels qui seraient facilement identifiables si on s'en préoccupait, dégrader les mécanismes et porter atteinte à l'exemplarité du processus.

Qu'on considère, en effet, l'affaire Merah puis, au mois de janvier 2015, les horreurs imputables aux frères Kouachi et à Coulibaly, enfin les viols reprochés au directeur d'école de Villefontaine qui, dès 2008, avait exprimé son angoisse "de passer à l'acte", qu'on se penche sur les dérives somptuaires d'un Mathieu Gallet ou les indélicatesses répétées et déplorables d'un Thomas Thévenoud qui est resté député et heureusement effacé et discret, nul besoin d'avoir recours, sinon pour donner l'illusion de bouleversements nécessaires, à des perspectives législatives qui miraculeusement changeraient une donne ayant révélé des imperfections (Le Figaro, Le Parisien).

Pour peu que lucidement on s'attache à un contrôle sans complaisance, en accomplissant, en quelque sorte, une autopsie des fiascos gravissimes ou de moindre importance, on aboutira à des mises en cause personnelles, à des défaillances ciblées, à la dénonciation évidente d'une ou de pratiques qui, à un instant précis, ont fait dévier la rectitude et engendré le pire.

La loi n'y est pour rien mais, tout au plus, la manière de l'appliquer qui, par paresse, négligence ou indifférence, a altéré la conscience professionnelle et fait sombrer la tension et la vigilance des origines, dans le meilleur des cas, dans un délitement et un relâchement qui, au fil du temps, vont s'avérer forcément, dans les métiers d'ordre, d'autorité, de pouvoir et de coordination, dévastateurs.

Non seulement au sein des structures elles-mêmes mais à cause de cette perversion très française , pour chacune d'elles, de se vivre en autarcie et d'être incapable, par légèreté ou indépendance mal comprise, de communiquer avec les autres et de les informer. Chacune a son pré carré et est maîtresse de son royaume. Et la communauté en payera le prix !

Loin de se percevoir comme la partie irremplaçable d'un TOUT capital, justice et Education nationale, pour reprendre l'exemple du directeur d'école, n'ont eu de cesse que de s'ignorer et d'empêcher ainsi la société, qui aurait dû les réunir dans un même souci, d'être protégée et préservée comme il aurait fallu.

Pourtant je ne vois aucune fatalité dans cet égoïsme institutionnel qui prive l'autre délibérément ou par une regrettable désinvolture, de ce dont l'un a eu connaissance et que ses devoirs professionnels sinon textuels auraient dû l'inciter à transmettre.

Pourquoi cette obsession de la loi comme bouc émissaire de la médiocrité humaine ponctuelle ?

Parce que les politiques, avec une intuition cynique, savent que rien, dans notre Etat, ne donne plus l'impression de l'action qu'une loi même élaborée à la va-vite, discutée dans l'urgence et votée sans véritable réflexion ou gangrenée par d'absurdes affrontements idéologiques. On promet une loi, on la prépare, on la fait adopter : le tour est joué. On a jeté un os symbolique au peuple qui le prendra pour de la substance. Alors que c'est de l'apparence et de la façade.

La raison essentielle n'est sans doute pas là mais dans cette répugnance à mettre en oeuvre, dans notre système démocratique, un véritable contrôle professionnel qui en amont préviendrait les dysfonctionnements et en aval les sanctionnerait. La France préfère châtier des généralités plutôt que fustiger et condamner des comportements. La lâcheté et l'intérêt se conjuguent pour éviter l'instauration d'un honorable et décisif quadrillage dont la rançon serait, appliqué aux titulaires du pouvoir comme à leurs assujettis, de ne plus tolérer nulle part la moindre facilité ou transgression.

Le problème, c'est l'homme, à tout coup, mais il est tellement plus commode de l'exonérer à cause de la loi qui n'en peut mais !


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...