La vache est folle… pas le Parquet !
Actualités du droit - Gilles Devers, 14/04/2014
Un scandale de santé publique ? Non, une baudruche, qui se dégonfle : impossible de prouver que l’utilisation des farines animales était une faute, et impossible de prouver le lien de causalité entre les farines et les décès humains. Eh oui, ce n'est pas drôle, mais on a été enfumé dans l’affaire des farines.
Les faits
Première phase
Tout démarre en septembre 1985 : un rapport officiel britannique signale l’apparition chez quelques bovins british de cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB).
Ça se complique en 1987, quand des travaux scientifiques montrent que la maladie est transmissible au sein de l’espèce animale, et en décembre, l’hypothèse – l’hypothèse – d’une contamination des bovins par l’absorption de farines animales (FVO) est retenue. Début 1988, sa Majesté interdit l’utilisation des farines animales pour l’alimentation des ruminants, avec abattage des animaux suspects, et la Commission européenne embraye en 1989,… avec une date d’effet en 1994.
Ça s’envenime en 1996
En mars 1996, c’est le tremblement de terre : le gouvernement britannique évoque – évoque – la possibilité – possibilité – de la transmission de l’ESB à l’homme sous la forme d’une nouvelle variante de la maladie neuro-dégénérative de Creuzfeldt-Jakob (nvMCJ).
Aussitôt, plusieurs pays européens suspendent leurs importations bovines en provenance de Grande-Bretagne, et la Commission européenne approuve. La Grande-Bretagne s’engage à abattre en 5 ans tous les animaux âgés de plus de 30 mois.
Le 5 avril 1996, l’émotion est à son comble. La Direction générale de la santé annonce le premier cas de décès causé par la nouvelle variante de la maladie de Creuzfeldt-Jakob. La DGS ne dit rien de la cause, mais ça part en live, et ce sera le feuilleton de l’émotion tout au long de l’année 1996. Sur le plan scientifique, on n’a pas progressé d’un centimètre, mais bon : les transes nationales, c’est si bon pour faire du consensus.
Pendant que la gesticulation se poursuit, le comité scientifique vétérinaire de l’Union européenne, en septembre 1997, se prononce pour la levée partielle de l’embargo sur les exportations des viandes bovines britanniques. La France continue la gonflette, avec le drôlatique Jean Glavany, même si juin 1999, le Comité scientifique européen rejette, à l’unanimité, des arguments français en faveur de l’embargo.
Gros délire français
Peu importe, le délire franco-français est en pleine forme, avec en novembre 1999, la publication du rapport de Geneviève Viney et Philippe Kourilsky sur le principe de précaution.
Le 16 décembre 1999, la DGS annonce le deuxième cas français de décès causé par la nouvelle variante de la maladie de Creuzfeldt-Jakob. Ce qui est bien triste,... mais ne dit rien de plus sur un lien éventuel avec la vache british. En mars 2000, la France reste le seul pays européen à refuser d’importer le bœuf britannique, et elle ne sait toujours pas dire pourquoi… à part que ça plait aux sondages.
Par contre, les farines animales restent admises dans l’alimentation des bovins, et la presse en remet une couche sur le « scandale sanitaire ». De quoi ? On ne sait toujours pas, mais en novembre Chirac décrète qu’il faut interdire les farines, et une semaine après Jospin, Premier ministre, les interdit. Pourquoi ? Parce que c’est la cohabitation, et que Jospin sera le prochain président. Ça, c’était scientifiquement prouvé.
La grande agitation se poursuit, mais dans le vide, et en octobre 2002, la France annonce qu’elle lève l’embargo sur le bœuf britannique. Depuis juin 2013, les farines animales sont autorisées pour les poissons d'élevage et autres animaux de l'aquaculture, la Commission européenne relevant que le « risque de transmission d'ESB entre animaux non-ruminants » était négligeable.
Qu’il était beau mon procès (sur l’air d’Edith Piaf « Qu’il était beau mon légionnaire)
Retour à 1996
En 1996, nos amies les vaches britanniques n’avaient pas la forme, nous sommes bien d’accord : une épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), ça te fiche patraque.
Là-dessus, qu’avait fait l’excellent gouvernement de Sa Majesté de Londres et de l’Empire ? Il avait expliqué que si les vaches étaient folles, c’est que p’têt ben elles se nourrissaient de farines animales, et que p’têt ben qu’il y avait un lien entre cette maladie des vaches une forme maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) qu’on avait découvert chez les humains. Donc, sur le plan de la faute, on ne sait rien ; sur le lien de causalité entre l’ESB et la MCJ, on ne sait rien non plus. Et aujourd’hui, on ne sait toujours pas qualifier la faute, ni le lien de causalité.
Tromperie… Ou homicide involontaire ?
Oki. Mais tout ceci n’empêche pas de porter plainte quand on trouve des juges attendris, pour faire un gros bouillon de procédure, et TF1, pour faire un semblant d’information. Ce qui est très choquant, pour ne pas dire plus – genre on truande l’opinion – c’est que cette absence de lien de causalité était claire… chez les plaignants. Et oui, c’est du gros gros enfumage.
Quand vous estimez qu’un fait a causé un décès, vous portez plainte pour homicide involontaire. Or, en juin 1996, l'Union française des consommateurs (UFC) avait posé plainte pour « tromperie sur la qualité substantielle d'un produit » et « falsification ». Donc tu m’as fourgué de la viande bizarre, et je pose plainte pour voir si cette viande était bizarre, mais je n’ai jamais dis que cette viande bizarre avait pu causer des dommages. Dans les médias, c’était le déconnage à plein tube, genre « la farine m’a tué », ne cherchez pas à comprendre.
En 2000, quatre personnes, des responsables d'usine de fabrication d'aliments pour bétail, avaient été mises en examen pour homicide involontaire… Euh, ça ne risquait pas,… car l’infraction n’a jamais été dans le débat judiciaire : les mises en examen ont été prononcées pour tromperie ou falsification. La causalité n’est toujours pas évoquée…
17 ans d’instruction pour rien
L’enquête est partie dans un tunnel, et le 19 novembre 2013, après 17 ans d’instruction, le parquet de Paris a requis un non-lieu général. On l'a appris hier,... des fois le Parquet est plus causant. Le motif – tenez-vous bien – est qu’il n'a pas été démontré que les produits vendus par ces usines contenaient des protéines animales, et que de plus, aucune volonté de contourner les législations n'a pu être caractérisée chez les personnes mises en examen. Donc par absence du fait principal pouvant être qualifié de faute, la causalité n’a même pas été examinée.
Sur ce volet « homicides involontaires », j’adore les explications de mon excellent confrère Bernard Fau, avocat des parties civiles, qui admet aujourd’hui l’enfumage : « Nous savions dès l'origine que ce serait très difficile car il fallait démontrer un lien de causalité certain entre la consommation de certaines viandes et les décès ». Donc, c’était du n’importe quoi, merci, et désolé pour les gogos qui y ont cru ! Et il ajoute : « Si les juges prononçaient un non-lieu, ce serait une déception pour les familles mais ce serait aussi se priver d'informations utiles sur des dérives dans les marchés de denrées alimentaires ». Observation parfaitement idiote : l’instruction est finie, alors tu as toutes les informations dans le dossier. En route vers de nouvelles grossesses d’éléphante ?
A propos d’éléphante, j’ai eu plaisir à retrouver la madone des procédures en droit de la santé, la débarquée Marie-Odile Bertella-Geffroy, qui a longtemps instruit calamiteusement ce dossier calamiteux, qui n’a donc pas même prouvé la faute dans l’utilisation des protéines animales, et qui encore pérore : « Ces affaires-là n'ont pas de frontières. Ce qu'il faudrait, c'est un procureur européen indépendant ». Ah oui, encore dix ans à travailler pour rien, ça serait cool.
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A la fac, on enseigne aux étudiants que le droit de la santé doit toujours garder un volet pénal, parce qu’est en cause la vie humaine, et on a raison. Mais, quand on voit, dans la vraie vie, le massacre que sont ces procédure pénales – l’instrumentalisation des émotions – franchement, il y a de quoi se poser des questions comme le fait ma copine Dorothy.