Sans ma droite, je serais mal !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 6/06/2019
Je sais qu'il y a très longtemps on a qualifié la droite française de "la plus bête du monde".
Je sais qu'on a rêvé lors de la campagne de 2007 avec le candidat Nicolas Sarkozy mais que son mandat a fait retomber sur terre la droite enthousiasmante et miraculeuse qu'il avait promise.
Je sais qu'Emmanuel Macron a fait parler à la fois la foudre et la rouerie en invoquant pour se faire élire, amorce d'un nouveau monde, le dépassement de la droite et de la gauche mais que l'ancien est demeuré, si j'ose dire de plus belle.
Mais soyons sérieux : sans ma droite je serais mal.
Je sais que depuis la primaire de la droite et du centre et la victoire éclatante de François Fillon puis ses déboires, avec son élimination après le premier tour de l'élection présidentielle de 2017, la droite éprouve un malaise : elle ne sait plus de quoi elle est faite et qui la représente vraiment.
Je sais que Laurent Wauquiez a fait tout ce qu'il a pu, sans doute mal, en n'associant pas assez, en ayant pâti de certaines malencontreuses péripéties, notamment lyonnaises, qui ont gravement abîmé son message. Le paradoxe étant cependant que, ne voulant plus de lui qui s'est résolu à partir, d'autres partent cependant !
Mais soyons sérieux : sans ma droite je serais mal.
Je sais que la liste des Républicains aux élections européennes était menée par une jeune personnalité de talent et d'intelligence mais que la droite n'avait pas assez réfléchi à la possibilité de se frayer un chemin autonome, plausible et opératoire entre LREM et le RN et qu'elle l'a payé d'une rude manière.
Je sais que Gérard Larcher, faux mou et vrai habile, s'est donné la mission de rassembler la droite et le centre ou ce qu'il en reste mais je voudrais pas que la première soit victime de la seconde et de sa capacité à instiller de l'opium quand les arêtes sont vives et les choix sans équivoque.
Je sais que Xavier Bertrand qu'on retrouve, dans un sondage Elabe-BFM TV, avec Nicolas Sarkozy et François Baroin, comme l'une des personnes préférées pour redresser les Républicains, les a pourtant quittés bien avant la débandade et qu'il est passé, à l'égard du président de la République et de sa politique, d'une sorte de compréhension à une claire et nette opposition.
Mais soyons sérieux : sans ma droite je serais mal.
Je sais que depuis deux semaines des sollicitations sont adressées aux élus LR et aux maires pour qu'ils deviennent eux aussi des transfuges comme les ministres ayant rejoint Emmanuel Macron, qu'on va jusqu'à les menacer d'être perçus comme des ennemis du président s'ils n'obtempèrent pas et que LREM, forte de son insuccès, prétend pourtant incarner l'alpha et l'oméga de la politique française.
Je sais que ceux qui, comme Christian Estrosi, déclarent qu'on devra faire alliance parfois avec LREM acceptent de mettre le cou de leur parti dans le piège soyeux que tend le président de la République, visant justement à la disparition des LR et de la droite classique.
Mais soyons lucides : sans ma droite je serais mal.
Je sais que c'est une facilité et un grand confort intellectuel que de s'abandonner à une apparence de droite chez le président de la République mais en déniant une culture et une sensibilité de gauche sur beaucoup de plans, notamment régaliens. Le tour de force a été de faire croire que la droite n'avait plus de raison d'être puisqu'il l'aurait incarnée, ce qui est absurde.
Je sais que la désertion, juste après la défaite de la liste LR, de certaines personnalités dites de droite - par exemple Valérie Pécresse qui, sans le moindre "électrochoc", va ainsi brûler tout son crédit sans obtenir autre chose que le sentiment d'une liberté qui constituera en réalité un handicap - est au moins une faute politique
Je sais qu'il est comique d'entendre un Thierry Solère déplorer une dérive droitière chez les LR et leur faire une leçon au nom du salmigondis auquel il a adhéré et qui lui laisse, à lui et à son groupuscule, une portion congrue (TF1).
Mais soyons lucides : sans ma droite je serais mal.
Je sais la difficulté qui attend les fidèles, les constants, les enracinés, les intelligents - par exemple Bruno Retailleau - pour recréer une droite qui pense, une droite qui ne désespère plus, une droite qui ose se dire de droite parce qu'elle n'aura plus honte du projet qu'elle a élaboré. Je sais aussi que, pour reconstruire, mieux vaut une minorité solide et audacieuse qu'un amas dilué, sans panache ni éclat.
Je sais que les déserteurs, prétendant répudier une prétendue dérive droitière, ne songent en réalité qu'à ce qu'ils croient être leurs intérêts et se soucient peu de l'essentiel, du fond et des désirs des militants et sympathisants. Ils spéculent sur la continuation d'un délitement qu'ils imaginent irréversible.
Je sais que dans les mois prochains on nous démontrera que tous ceux qui ont échoué à droite, ou l'ont fait perdre, sont pourtant légitimes à reprendre la main. Je crains que leur passé discutable compte plus que le renouveau porté par une génération qui piaffe d'être condamnée à l'écoute d'aînés n'étant pas des modèles (Le Figaro)
Soyons lucides : sans ma droite je serais mal.
Je sais que de l'autre camp, totalitaire au point de rêver d'une reddition pieds et poings liés, surgit soudain une vérité et que celle-ci a d'autant plus de prix qu'elle émane d'un spécialiste de la volte. Quand Gérald Darmanin "pointe la caricature que LREM donne parfois d'elle-même en se faisant le porte-voix d'une start-up nation", il montre le chemin à la vraie droite : start-up certes mais bien plus nation ! (Le Figaro)
Je sais que les bons apôtres vont continuer à déplorer, prétendre que les jeux sont faits et que c'est la fin de la politique, que la droite - liberté, responsabilité, confiance et autorité - est morte et qu'Emmanuel Macron est invincible puisqu'il est sorti de la nasse des Gilets jaunes.
Je sais que derrière les déroutes, il y a des routes. Je sais que d'abord la droite ne doit plus douter qu'elle soit nécessaire. Elle a tout l'avenir devant elle si elle veut bien mettre ses convictions avant ses positions. Ses ambitions après ses propositions.
Soyons sérieux et lucides : sans ma droite je serais mal.