Xynthia: le grand moment de défense des avocats de René Marratier
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 18/10/2014
Trois hommes en colère se sont levés, vendredi 17 octobre, pour en défendre un quatrième, René Marratier. Au dernier jour du procès Xynthia devant le tribunal correctionnel des Sables d’Olonne, Mes Matthieu Hénon, Antonin Lévy et Didier Seban ont porté haut le « devoir de déplaire » de la défense. Ils n’ont pas seulement plaidé en faveur d’un prévenu, ils ont défendu la place et le rôle singulier de l’audience pénale et la rigueur du droit face à la complaisance compassionnelle.
Cette colère, ils l’ont puisée dans cinq semaines de débats pendant lesquelles l’ancien maire de la Faute-sur-Mer a fait figure de principal responsable du terrible bilan humain causé par le passage de la tempête Xynthia sur les côtes vendéennes dans la nuit du 27 au 28 février 2010. Ils l’ont nourrie du réquisitoire décousu au terme duquel le procureur de la République Gilbert Lafaye a demandé au tribunal de condamner René Marratier à quatre ans d’emprisonnement dont trois ferme et 30 000 euros d’amende pour homicides involontaires aggravés et mise en danger.
A ce réquisitoire, ils en ont opposé un autre. Celui d’une instruction déséquilibrée qui a tout fait pour épargner l’Etat. « Le seul domaine dans lequel l’Etat n’a pas failli a été l’organisation de son irresponsabilité », a souligné Me Matthieu Hénon, en relevant les« trésors d’euphémisme » employés pour qualifier « les dysfonctionnements » et les« erreurs » des services de la préfecture et de la direction départementale de l’équipement qui avaient rendu constructible la zone inondable de la Faute-sur-Mer et donné des avis favorables à des permis de construire qui ne respectaient pas les normes de sécurité. Mais « face à un cataclysme comme Xynthia notre monde moderne ne peut se passer d’un coupable, d’un responsable qu’il faut haïr », a observé Me Hénon.
Ce besoin de vengeance, il revient à la justice de le contenir et dans ce rôle, les avocats de la défense ont estimé que le procès a failli en ne respectant pas « la stricte équité que l’on était en droit d’en attendre ». Au tribunal, Me Hénon a reproché sa dureté à l’égard des prévenus et tout particulièrement du premier d’entre eux, « fils d’ouvrier, garagiste vendéen sans instruction devenu maire, respectueux de l’autorité » qui aurait voulu« parler bien, parler mieux » devant ses juges si seulement ceux-ci l’y avaient encouragé au lieu de le traiter d’« autiste ». « René Marratier s’est tenu à la barre et jamais on n’a songé à lui poser la moindre question sur l’homme qu’il est et qu’il a été. Des parties civiles, vous savez tout, mais de celui que vous devez juger, vous ne savez rien ! », a t-il lancé. Un homme « resté étranger à son propre procès », a souligné en écho Me Antonin Lévy.
Mais c’est au représentant de l’accusation et à la « folle démesure » de ses réquisitions que les trois avocats ont réservé leurs traits les plus acérés. « Ces réquisitions sont approximatives sur le fond et absurdes sur le droit. On ne condamne pas un homme pour n’avoir pas su trouver les mots qui réchauffent le cœur. On ne peut le condamner que parce qu’il ne respecte pas le droit. Le droit tel qu’il est et non pas tel que l’on voudrait qu’il soit »,a relevé Me Hénon. Evoquant les fautes reprochées à René Marratier sur le défaut d’information de la population, sur les risques avant la tempête et l’absence de plan d’organisation des secours, il a observé : « L’immense majorité des victimes ont admis qu’elles avaient connaissance d’un risque d’inondation. Mais je veux bien croire qu’aucune d’entre elles n’avait été informée d’un cataclysme tel que Xynthia. Parce que ce risque-là, personne ne le connaissait. Pas plus René Marratier que les autres. »
Rappelant qu’avant Xynthia, aucune commune de Vendée ne disposait d’un plan de secours ou d’un plan communal de sauvegarde. Me Hénon a ajouté : « Vous ne pouvez donc pas dire du comportement de tous qu’il serait grossièrement fautif pour un seul d’entre eux ». La responsabilité de René Marratier dans le défaut de transmission aux habitants de la Faute-sur-Mer des alertes météorologiques reçus de la préfecture le soir de la tempête, ne saurait davantage être retenue, a indiqué Me Lévy, en soulignant que s’ils évoquaient des vents violents, aucun de ces bulletins ne prévoyait une submersion marine. « Et ce soir-là, comme tous les soirs, René Marratier est rentré dormir chez lui, derrière la digue »,a-t-il ajouté.
A Me Seban, il revenait de plaider la relaxe de l’ancien maire sur la totalité des fautes qui lui sont reprochées. Mais c’est vers les parties civiles que l’avocat s’est d’abord tourné. « Xynthia est venue frapper une société inconsciente de sa propre vulnérabilité. Avant elle, nous étions comme vous, a-t-il dit. Ce qui vous est arrivé nous a séparés. Je comprends votre besoin de savoir et d’incriminer. Mais victime, ce n’est pas un statut. Il faut revenir dans la cité. Et vous le savez bien, au fond, que René Marratier n’est pas responsable de tous vos malheurs. » A l’intention du tribunal, il a ajouté une mise en garde face aux lourdes réquisitions du procureur et de la « mise au ban de la société » qu’elles signifient pour l'ancien maire. « En condamnant René Marratier, vous condamnerez tous les maires de France », a lancé Me Seban. Le dernier avertissement adressé aux juges allait au-delà du tribunal des Sables d’Olonne et du procès Xynthia : « Une bonne justice, a-t-il dit, ne se rend pas au nom des victimes mais au nom du peuple français. » Le « devoir de déplaire » de la défense commandait aussi que cette exigence fût rappelée.
Délibéré le 12 décembre.