Des chansons et des livres...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 12/08/2018
Durant l'accalmie des vacances, l'imagination médiatique s'en donne à coeur joie.
Dans ce quotidien - Le Monde -, on a une rubrique : "Ma chanson d'amour". Dans cet hebdomadaire - L'Obs - on annonce : "Le livre qui a changé leur vie".
Même si le second thème est banal et revient régulièrement quand l'actualité s'essouffle, j'approuve cette volonté de nous faire entrer dans le for intérieur de personnalités, célébrités et écrivains pour qu'ils nous offrent ce qu'en général ils gardent pour eux-mêmes.
Et c'est aussi la limite du genre que cette focalisation exclusive sur des êtres que la lumière a déjà mis en évidence. J'avoue, sans ressentir la moindre acrimonie, que j'ai plutôt un faible pour les médias s'assignant pour ambition d'être la voix des sans voix et de nous transmettre ce qu'on n'entend ou ne lit jamais.
D'autant plus que tout à mon sens n'est pas bouleversant d'intelligence et de finesse dans ces moments qui se voudraient de bravoure sur les chansons et les livres.
En même temps comment ne pas remercier ces entreprises estivales qui autorisent chacun à se glisser dans le débat ou à affirmer une dilection cherchant moins la surprise que la sincérité ?
Ma chanson d'amour ? Au fond il n'est pas si simple de sélectionner, dans le champ très étendu des possibles, celle qui aura été décisive pour l'enchantement et l'émotion, qui non seulement nous aura éblouis par sa musique et sa qualité mais se sera trouvée merveilleusement accordée à notre vie lors de son écoute, nous embarquant dans sa joie ou dans sa mélancolie. Il y en a tant qui exigeraient d'abord de mettre au clair la fabuleuse et illimitée équivoque du terme "amour".
Parce que, si une familiarité m'a par exemple uni à la personnalité ayant arbitré en faveur de "Message personnel" de Françoise Hardy, en raison de circonstances très particulières qui m'ont attaché à cette adresse intime, le hasard m'a remis en mémoire et en sensibilité une chanson qui n'est pas à proprement parler d'amour mais presque davantage puisqu'elle touche tout ce qu'il y a de tristement et d'intensément humain en moi. Il s'agit de "Si tu ne me laisses pas tomber" de Gérard Lenorman sur des paroles exaltantes de Pierre Delanoë. C'est dans cette chanson qu'il y a ces deux vers, constatant face à une envie puissante de départ, "Les espoirs de nos aurores n'avaient pas dépassé Saint-Maur".
Cette phrase est restée dans ma tête comme l'exemple d'une poésie simple, directe et entraînante. Comme un écho à la fin de L'humeur vagabonde d'Antoine Blondin : Un jour nous prendrons des trains qui partent.
Pour les livres, si Jérôme Garcin et Philippe Lançon m'ont impressionné par leur argumentation riche de coeur et d'esprit, j'ai été frappé par l'absence, dans les réponses, de toute référence à l'oeuvre de Marcel Proust.
Car pour moi je n'aurais pas eu la moindre hésitation : la lecture de Marcel Proust a en effet littéralement changé ma vie, jeune homme, en me faisant comprendre qu'il y avait là, dans ces pages géniales, l'offrande d'une vision qui disait tout sur l'existence, les sentiments humains capitaux, le temps, au point qu'elle permettait de prendre un raccourci entre soi et la compréhension de soi.
Des chansons et des livres... A la fin de ce billet, la reconnaissance l'emporte pour cette magie ordinaire qui est venue enrichir, irriguer, transcender une quotidienneté douce et oisive de son irremplaçable parfum.