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L'union ou la désunion des droites ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 3/06/2019

La politique-fiction est la pire parce qu'elle donne des espoirs par le rêve et console du réel. La droite républicaine n'est pas en voie d'extinction. Il lui manque le génie tactique d'un Mitterrand pour oser entreprendre un pas de plus - qui ne serait pas honteux - vers un RN débarrassé de Marine Le Pen et délesté d'une confusion gaucho-nationaliste : un autre donc. L'union des droites ne serait pas un péché mortel. Mais une avancée, une audace politiques.

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La démission de Laurent Wauquiez, l'intervention de Marion Maréchal, les points de vue d'Eric Woerth et de Jean-François Copé, les appels insistants et répétés des transfuges à LR pour que ce parti prenne tristement exemple sur eux en rejoignant LREM - autant d'éléments et d'événements qui remettent en pleine lumière l'aspiration à l'union des droites ou à son impossibilité.

Il me semble qu'il convient, pour appréhender cette problématique, avant même d'examiner ce que devrait être une véritable droite, de se débarrasser de tout ce qui pourrait entraver le raisonnement, le limiter, le rendre frileux, comme s'il était déjà indécent, non seulement pour la gauche mais pour ceux que cela regarde, sur les plans aussi bien éthique que politique, de se confronter à de telles interrogations. Que le ver vienne de l'extérieur, de l'adversaire, soit, c'est dans la logique des choses partisanes, mais qu'il surgisse du fruit lui-même est moins acceptable.

Comme si des deux côtés on s'interdisait de penser l'avenir et de concevoir les configurations qu'il pourrait prendre. Quand François Mitterrand a constitué l'union de la gauche, il s'était soucié comme d'une guigne des critiques faisant la fine bouche face au lien avec le parti communiste, qui en définitive a abouti à l'amoindrissement radical de celui-ci. Pourtant il y avait là un passé lourd à assumer, à oublier !

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Pourquoi la droite, même dominante, a-t-elle toujours eu du mal à à assumer son identité, ses forces et ses valeurs, non seulement comme si elle en doutait mais, plus gravement, comme s'il était honteux de s'afficher ainsi, par une sorte de mauvaise conscience ?

On est bien obligé de considérer que la lancinante invocation du centre, pour que ce dernier enrichisse - ou pervertisse - la droite avec sa modération, sa tiédeur, son rôle actif et débilitant dans l'élaboration d'une conception intellectuelle, politique, sociale et démocratique, n'a pas été pour rien dans la contrainte qui a constitué le plus souvent la droite non plus comme autonome mais dépendante. Elle avait des ailes mais rognées. De sorte que les promesses de campagne était doublement battues en brèche : à cause du réel et sous l'effet des partisans d'un minimalisme peureux.

Les rares moments où la droite a su échapper au piège résultent par exemple, comme durant la joute de 2007, d'une vision tellement globale, synthétique et universelle d'une pensée intelligemment conservatrice que cette dernière intégrait, impérieuse, la part centriste dans ce qu'elle pouvait avoir de bon.

En règle générale, pour n'évoquer que la création de l'UMP, on a fait coexister en son sein, pour aller au plus simple, le centrisme de l'UDF et la droite du RPR, le populaire avec ce qui était peu ou prou, sinon sa répudiation, du moins sa mise à distance. Cette alliance, loin d'aboutir à un cumul de richesses, a stérilisé le terreau politique en affaiblissant la droite, en faisant passer le centrisme pour de la sagesse et, surtout, en donnant mauvaise conscience à la droite, masochiste au point de ne plus oser s'affirmer ou, pire, d'aller quérir des leçons de tactique et d'éthique chez l'adversaire.

Le centre dans la droite est donc une fusion impossible parce que contre-nature. Qu'y a-t-il de commun entre Laurent Wauquiez qui a su prendre ses responsabilités et les circonvolutions, sinuosités, chinoises ou autres, d'un Jean-Pierre Raffarin ? Rien à l'évidence.

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Je n'ai pas le droit de me soustraire à une introspection personnelle. Le centrisme m'est toujours apparu sur le plan intellectuel comme une sorte de justesse qui par équilibre s'enrichissait du pour et du contre.

Mais cette considération n'a jamais été exclusive de la certitude que l'incarnation politique devait être d'autant plus vigoureuse, identifiable et structurée, que son inspiration était fine et complexe. Les évolutions récentes m'ont encore davantage convaincu que sur beaucoup de thèmes qui me tiennent à coeur - liberté d'expression, courage intellectuel, justice pénale, les libertés et la sécurité, l'égalité, l'autorité de l'Etat, l'identité nationale notamment - j'étais beaucoup plus familier avec le discours d'une droite à la fois vertébrée et lucide, sans optimisme béat ou pessimisme compulsif, qu'avec n'importe quel centrisme filandreux se noyant dans ses méandres.

Il me semble que jusque-là une adhésion au fond de ce billet est possible, en tout cas qu'elle ne serait gênée par aucune autre argumentation que technique et politique.

Ce qui ne sera pas le cas si je prends le risque de m'aventurer sur le terrain de l'union des droites - la droite républicaine et la droite extrême. "La grande coalition entre la droite populaire issue des Républicains et le RN qui ne peut pas à lui seul capter l'ensemble des électeurs", telle que Marion Maréchal la souhaite (LCI, Le Figaro).

D'abord, reprenant mon propos initial, je ne vois pas au nom de quoi nous aurions à nous excuser de poser cette donnée éventuelle sur la table démocratique. La pensée a tous les droits et la droite classique est dans un tel état qu'il serait masochiste de rétrécir son champ de réflexion. Elle ne deviendrait pas indigne si elle osait enfin se questionner sur la validité de ses pudeurs ou de ses refus politiques.

Jean-François Copé, qui s'est tenu en retrait depuis plusieurs mois, très critique à l'égard de la ligne Wauquiez, a, après la déroute et la démission du président des LR, souligné que "l'erreur fondatrice" du parti avait été de ne pas choisir entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Il est clair que pour lui cette abstention pâtissait d'un opprobre moral bien plus que politique.

Pourtant, était-il si scandaleux, alors que Marine Le Pen avait relégué son père et ses délires dans les oubliettes de la vie publique et donc, sur ce plan capital, réussi sa dédiabolisation, de se livrer à un arbitrage qui pesait, mais seulement sur un plan politique, les ombres et les lumières des deux causes, les intérêts d'un choix explicite en faveur d'Emmanuel Macron ou les avantages de la démarche qui en définitive a été adoptée ?

Au risque de choquer, je ne parviens pas à distinguer ce qui, depuis des années et de moins en moins, distingue LR du RN - pas seulement pour les problèmes de sécurité, de justice, d'autorité de l'Etat et d'immigration -, sinon l'affirmation renouvelée, par ces deux partis, tel un mantra, qu'ils ne feraient jamais alliance, en dépit des poussées et des rapprochements de leur base, dans une union officielle. Comme si cette permanente censure qu'ils exerçaient sur eux-mêmes était l'unique preuve respectable de leur identité.

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Marion Maréchal sauvera-t-elle la droite ? Les auditeurs de Sud Radio ont répondu largement par l'affirmative à cette question mais je n'en tire pas une conclusion générale. Il est sûr qu'elle la fait réfléchir parce que LR ne peuvent pas occulter le fait qu'il y a avec elle un projet conservateur, libéral sur le plan économique, prudent dans le domaine des moeurs et qui n'a jamais été souillé par quelque odieuse ou intempestive déclaration que ce soit.

LR également - c'est un point capital - se trouve confronté à la proposition d'un chemin commun, qui est voulue, réfléchie et cohérente. Ce que Marine Le Pen a toujours refusé - trop de Mélenchon en elle, trop de progressisme sociétal -, sa nièce le rend plausible.

J'entends bien que pour certains le RN est porteur d'une longue histoire qui le discrédite à jamais et qu'il enferme encore des relents, des résidus néonazis ou fascistes, des militants sans l'ombre d'un respect démocratique. Je l'admets et ce n'est pas rien. Mais, outre que chaque parti contient ses poisons, faudrait-il tenir pour rien le présent en grande partie purgé de la droite extrême en décrétant que toute union est impossible avec elle, toute constitution d'une force authentiquement de droite inconcevable ?

Je suis persuadé que, le moment venu, bien plus tard, ce rapprochement viderait le RN de son intolérable venin - s'il venait encore à dépasser dans son verbe les limites d'une démocratie même vigoureuse -, réduirait son simplisme et ses outrances et apporterait sans exclusive au peuple de droite le capital immense, douloureux, révolté, vindicatif de multiples citoyens qui aujourd'hui militent sans espoir pour un parti qui ne cesse de se heurter à un plafond de verre - car il est important mais forcément bridé.

La politique-fiction est la pire parce qu'elle donne des espoirs par le rêve et console du réel. La droite républicaine n'est pas en voie d'extinction. Il lui manque le génie tactique d'un Mitterrand pour oser entreprendre un pas de plus - qui ne serait pas honteux - vers un RN débarrassé de Marine Le Pen et délesté d'une confusion gaucho-nationaliste : un autre donc.

L'union des droites ne serait pas un péché mortel. Mais une avancée, une audace politiques.


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