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Procès Orsoni, dans l’ombre bienfaitrice (et généreuse) de Michel Tomi

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 11/06/2015

Fascinant pouvoir d’évocation d’un nom. Celui de Michel Tomi suscite invariablement une cascade de réactions – baisse de tonalité de la voix, regards coulés pour s’assurer de la discrétion des alentours, inspiration profonde, expiration, silence. Il est celui qu'il ne … Continuer la lecture

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Fascinant pouvoir d’évocation d’un nom. Celui de Michel Tomi suscite invariablement une cascade de réactions – baisse de tonalité de la voix, regards coulés pour s’assurer de la discrétion des alentours, inspiration profonde, expiration, silence. Il est celui qu'il ne faut pas nommer. Ou alors avec d’infinies précautions. Michel Tomi, 67 ans, domicilié à Libreville (Gabon), richissime homme d’affaires ayant fait fortune dans l’exploitation des jeux avant de bâtir un empire en Afrique de l’Ouest qui va du bâtiment à la construction de routes en passant par le transport aérien, étend pourtant son ombre sur la plupart des affaires insulaires. Le procès Orsoni, jugé depuis le 11 mai devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône, à Aix-en-Provence, n’échappe pas à la règle.

C’est d’abord le nom de son fils Jean-Baptiste, qui est apparu dans le dossier. Enfin sa voix plutôt. Quelques phrases brèves, prononcées en corse, qui s’adressent à Alain Orsoni le 3 juin 2009 et le préviennent d’une interpellation imminente. « Dis-moi, demain on fait une fête chez toi, il y a ton fils dedans, tout le monde, tous ceux qui sont avec ton fils. Ils m’ont appelé maintenant pour me dire cette affaire, alors je te préviens. » Le lendemain matin, quand les policiers se présentent au domicile d’Alain Orsoni dans son village de Vero, pour arrêter son fils Guy, recherché dans le cadre de l’enquête sur le double assassinat de Thierry Castola et Sabri Brahimi en janvier 2009 à Ajaccio, le jeune homme est parti en cavale.

Protection des trois accusés

Vingt-deux mois plus tard, Guy Orsoni est interpellé à Madrid, en Espagne, au moment où il envisage de poursuivre son périple vers le Gabon. La veille, ignorant qu’il était sur écoutes, son père lui a rendu compte d’une conversation avec quelqu’un du « pays d’en bas », le Gabon. « On est tombé d’accord sur plein de choses, vraiment à fond, bien et tout. Il m’a dit :“Pourquoi tu t’emmerdes avec ton fils ? Pourquoi tu le fais pas descendre en bas ? Tu le mets à l’avion, en bas y’a même pas de, y’a pas de douane, pas de police, rien, ils vont le chercher à l’aéroport, il rentre et puis là-bas, y’a personne qui l’extradie parce que s’il y a une demande d’extradition on est prévenu avant et le fait partir et tout ça.” » Guy Orsoni, alors âgé de 24 ans, qui vit mal sa cavale, a l’air soulagé: « Moi, s’ils veulent, je pars demain, hein ! » Quelques secondes plus tard, les policiers madrilènes envahissent le taxiphone où se trouve le jeune homme.

Mais c’est surtout sur trois autres accusés de ce procès, Jean-Luc Codaccioni, Jean-Jacques Leca et Mathias Lanfranchi – originaires comme lui de la vallée du Taravo – que s’étend la protection de Michel Tomi. L'homme d’affaires a élevé comme son propre fils le père du premier, qui était orphelin, et il en a fait son bras droit. Au président qui l’interrogeait sur ses relations personnelles avec Michel Tomi, Jean-Luc Codaccioni a répondu : « Il est pour moi comme un grand-père. » Michel Tomi connaît aussi très bien le père de Mathias Lanfranchi, Pierre Nonce, avec lequel il a été condamné en 1996 dans l’affaire du casino de Bandol et il est le parrain de son autre fils.

Dans le dossier d’instruction, figure la retranscription d’une conversation téléphonique entre les deux hommes, datée d’octobre 2009. Quelques jours plus tôt, Mathias Lanfranchi et ses deux amis se sont présentés devant la justice à l’issue d’une cavale de plusieurs semaines et ils ont été aussitôt placés en détention. Michel Tomi vient aux nouvelles, l’échange a lieu en corse. Pierre-Nonce Lanfranchi a l’air de s’inquiéter pour l’avenir de son fils et de ses camarades de cavale. « Enfin, quand ils sortent, il faut voir qu’ils restent pas ici, hein.

– Eh oui, répond Michel Tomi, qui ajoute : Quand tout sera arrangé, ils viendront travailler en Afrique, hein. Le mieux pour les jeunes, c’est ça. »

« J'ai toujours beaucoup de liquide »

Là ne s’arrête pas la bienveillance de l’homme d’affaires qui déclarait, en 2010, percevoir 2 millions d’euros de revenus par mois – la seule branche bâtiment de son groupe dégageait alors, assurait-il, 450 millions d’euros de chiffre d’affaires, auxquels il fallait ajouter 120 millions pour la branche PMU au Gabon et au Cameroun, 8 à 10 millions pour les activités du casino et 45 millions pour la compagnie aérienne.

Lors d’une perquisition au domicile de Jean-Jacques Leca en mai 2012, les policiers mettent la main sur une sacoche contenant 34 650 euros en coupures de 50 et de 200. Le jeune homme, 25 ans, sans profession, qui a un peu de mal à justifier la détention d’une telle somme, assure d’abord qu’elle correspond à des gains au poker, puis finit par lâcher que les deux tiers – 25 000 euros – proviennent de Michel Tomi. L’homme d’affaires confirme. Venu en France pour raisons médicales, il a retrouvé Jean-Jacques Leca à Paris et l’a invité à déjeuner à la Maison de la Truffe avant d’aller chercher de l’argent chez lui – Michel Tomi possède plusieurs appartements à Paris et à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine). « J’ai toujours beaucoup de liquide, je me suis fait apporter une valise, j’ai compté moi-même les billets et je les ai mis dans un sac banal », a-t-il expliqué aux enquêteurs. Il l’a retrouvé un peu plus tard sur une avenue, l’a fait monter à l’arrière de sa voiture pendant que le chauffeur s’en absentait et lui a remis l’argent.

« Et à quoi était-il destiné ? demande le policier.

– A payer les avocats », répond Jean-Jacques Leca.

Pour les huit semaines du procès d’Aix-en-Provence,  Mes Thierry Herzog, Philippe Dehapiot et Lionel Moroni – les deux derniers étant eux-mêmes les avocats de Michel Tomi – assurent avec quatre autres confrères la défense des trois jeunes accusés sans profession ni revenus.


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