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Délires judiciaires...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 30/04/2020

Que de délires mais, pour poursuivre ma provocation sur un mode encore plus exacerbé, que de chemins profondément raisonnables !

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Quand tout semble aller à vau-l'eau sur le plan judiciaire, on a le droit de délirer.

J'écris "semble" parce que des magistrats dévoués, compétents et courageux, au parquet comme au siège, en première instance comme en appel, ont continué d'assumer leur mission en l'absence, souvent, d'avocats qui déploraient de n'avoir pas toutes les garanties sanitaires.

Je relève aussi que l'institution a été livrée à la garde des Sceaux, donc à elle-même, en regrettant que jamais elle n'ait été mise explicitement au rang des préoccupations gouvernementales. De quoi donner le moral aux serviteurs de ce service public capital !

Alors pourquoi évoquer, dans mon titre, des "délires judiciaires" alors que j'ose leur donner un contenu positif ? Comme des avancées qui ne seront jamais concrétisées parce que trop provocatrices mais qui pourtant auraient l'heureux effet d'éradiquer mille dysfonctionnements au centre et dans la périphérie de la Justice et de vider la bureaucratie omniprésente de sa substance. Il y a des révolutions dont l'absence me pèse.

En vrac donc, si on veut bien accepter ma volonté d'aller puiser partout et ma certitude que rien ne serait impossible mais que tout est inconcevable à cause de la droite et de la gauche ; elles sont paradoxalement jumelles dans leur perception à la fois confortablement humaniste, frileuse et sans souci de l'efficacité et, au fond, des désirs du citoyen.

Garder l'Ecole nationale de la magistrature mais la réformer de fond en comble pour qu'elle sorte du narcissisme judiciaire - ce que la société lui doit - au bénéfice de l'exigence démocratique - ce qu'elle doit à la société. Un tel changement de perspective modifierait tout et serait bienvenu.

Garder les juges pour enfants mais en reprenant l'excellente idée de Nicolas Sarkozy qui prévoyait de faire juger les mineurs de 16 à 18 ans par des tribunaux correctionnels et en rappelant à ces magistrats qu'ils ne sont pas destinés seulement à être des "nounous" pour enfants en péril mais aussi des maîtres pour jeunes délinquants à corriger.

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Toute sanction prononcée par un tribunal correctionnel, en première instance et en appel, et par une cour d'assises, aura vocation à être exécutée dans sa plénitude.

Donc une telle obligation imposera la suppression de cette fonction ambiguë qu'est le juge de l'application des peines. Comme on pourfend les peines et qu'on souhaite ne pas les appliquer, ils ont été exemplaires pour favoriser cette dérive.

Je cite ainsi cette "forte" pensée d'une JAP déclarant que "cette crise nous apprend que la surpopulation pénale n'est pas une fatalité" (Le Monde, Le Figaro) : elle a raison mais à condition de libérer à tour de bras et de régler le problème des peines en supprimant leur exécution. Pour nous préserver de ces angelots, les directeurs des établissements pénitentiaires, connaissant mieux la psychologie et la sincérité de "leurs" détenus, seront seuls habilités à aménager par exception les sanctions et à statuer sur leur exécution.

Construire vite des prisons et ne pas pleurer sur une surpopulation qui ne résulte que de notre impuissance : on préfère une société victime à des citoyens protégés.

Restaurer une disposition de la loi "Sécurité et liberté" élaborée par les services d'Alain Peyrefitte, qui permettait grâce à une "saisine directe" de faire juger rapidement des infractions même anciennes mais incontestables. Sur ce terrain, le courage politique et le bon sens social devraient édicter le retour de la loi anti-casseurs et évidemment des peines plancher.

Mettre en oeuvre, pour l'ensemble des magistrats, toutes fonctions confondues et du haut en bas de l'échelle hiérarchique, un authentique contrôle professionnel. On serait enfin comptable de ce qu'on a accompli ou non. Les défaillants ne seraient plus promus et les meilleurs ne seraient plus négligés. On pourrait ainsi dissocier le grade de la fonction et justifier que des postes prestigieux soient occupés par des magistrats en pleine force parce qu'ils auraient déjà fait leurs preuves.

Supprimer le Conseil supérieur de la magistrature, une instance corporatiste et dont la légitimité est rien moins qu'évidente. Le judiciaire administratif n'a pas à se mêler du judiciaire intense et vivant. Trop d'aigreurs et de frustrations, trop peu de lucidité professionnelle.

Ce sera la seule méthode possible pour que le pouvoir de droite ou de gauche abandonne le culte d'une magistrature complaisante pour privilégier une intelligente et loyale : c'est compatible !

Imposer une responsabilité élargie des magistrats en soustrayant naturellement sa définition aux magistrats.

Donner une réponse à toute demande d'un citoyen, quelle que soit sa nature. On ne laisse pas un courrier, une requête, une inquiétude sur le cours ou le devenir d'une procédure sans réagir.

Puisque mes délires sont à leur comble, j'ajoute : suppression du syndicalisme judiciaire. Il ne sert plus à rien. Il constitue une magnifique profession en un collectif d'épiciers et de quémandeurs alors qu'on a besoin d'une Justice des grands espaces. Que le citoyen pourrait estimer, en laquelle il aurait enfin confiance. Ne devrait-il pas être le seul guide, l'alpha et l'oméga pour évaluer nos succès ou constater nos échecs ?

Que de délires mais, pour poursuivre ma provocation sur un mode encore plus exacerbé, que de chemins profondément raisonnables !


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