Charles Aznavour avait-il lu Destin français d'Eric Zemmour ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 4/10/2018
Une animatrice de France Bleu Vaucluse, Nathalie Mazet, a publié (et rapidement dépublié !) sur les réseaux sociaux, juste après la mort de Charles Aznavour : « Aznavour sexiste, raciste de droite, bon débarras ».
Cette ignominie que sans doute elle appliquerait à Eric Zemmour (EZ) de son vivant m'a fait prendre conscience de la similitude entre ces deux destins familiaux. Charles Aznavour a toujours indiqué qu'il avait dû abandonner beaucoup de son "arménitude", tout en restant fidèle de coeur et en action à l'Arménie, pour devenir avec joie pleinement Français, fier d'une assimilation qui alors n'était pas un gros mot ni une insulte.
Eric Zemmour est né à Montreuil et dans les premières pages de Destin français, à la fois intimes et émouvantes, il explique comment ses parents d'origine algérienne avec des racines berbères n'ont eu pour obsession que de s'assimiler, cultivant la France comme une fleur rare et précieuse, soucieux de s'imprégner de ses richesses, de s'enrichir de sa culture, d'effacer tout ce qui chez eux aurait pu créer la moindre distance avec ce pays qu'ils adoraient d'un amour inconditionnel.
Je suis persuadé qu'il y a eu, avec leur histoire, de la part des familles d'Aznavour et de Zemmour une volonté absolue d'assimilation, avec un désir non pas seulement d'être bien accueillies en France mais d'offrir au nouveau pays le meilleur d'elles-mêmes. Elles ne faisaient pas un cadeau à la France, la France était un cadeau pour elles.
Qui a lu véritablement Destin français ?
Ceux qui détestent Eric Zemmour, son être, sa pensée, sa liberté, ses provocations et ses livres ne le liront évidemment pas et cracheront sur lui sans vergogne et avec la bonne conscience de ceux dont la morale est naturellement irréprochable. Pour demeurer dans ses préjugés, il faut surtout ne pas connaître ce dont on parle. En certaines circonstances l'ignorance est un devoir : pour Eric Zemmour on en abuse.
Parmi ses soutiens et ses admirateurs, multiples si on en juge par la vente à nouveau exceptionnelle de son dernier ouvrage, qui ira au bout de ces très nombreuses pages qui sont difficiles malgré leur style alerte et vif ? Ce n'est pas en effet un livre qui fait dans la facilité et le confort. Il ne se feuillette pas, on s'y plonge.
De la même manière que Kléber Haedens a posé un regard singulier sur la littérature dans Une histoire de la littérature française, EZ a écrit à mon sens Une histoire de la France.
Passionné par l'Histoire, je ne prétends pas contredire ceux qui estiment avec bonne foi que la vision d'EZ a ses limites, ses ignorances et ses partialités. Que ce soit sur Roncevaux, Charles Martel ou au sujet d'autres périodes de notre vie nationale. Pour combattre les thèses d'EZ, il convient d'être soi-même à son niveau historique, ce qui n'est pas mon cas.
Il n'empêche que je distingue dans son livre une ligne directrice qui déplore l'effacement de la France, son consentement paresseux ou aveuglé à sa propre disparition face à la montée de l'Islam qui n'est pas une religion comme les autres selon lui. Une analyse qu'on peut juger fausse, ou sommaire, ou partisane mais qui en tout cas ne mérite aucun opprobre éthique. Ce fil rouge donne cohérence, structure, identité à l'ouvrage. Comme Patrick Boucheron et ses collaborateurs ont eu l'ambition, jusqu'à l'absurde, de déposséder la France de son Histoire dans Histoire mondiale de la France, EZ, avec son style et dans son registre globalisant, a eu l'intention de la lui rendre.
A côté de ces considérations à la fois documentées et interprétées dans le sens que je viens de dire, il y a une série de portraits éblouissants, paradoxaux, provocateurs, stimulants. On peut discuter leur choix, leur caractère signifiant pour l'Histoire de France. Tant pour les personnalités qu'il loue ou pulvérise que pour des moments ou des dates qu'il estime symboliques.
Si on aspire à un récit neutre, il ne faut pas venir vers EZ. Il est clair qu'il est habité par l'irrésistible pulsion, complétée par un formidable courage intellectuel, de ne jamais laisser l'Histoire telle quelle là où il est passé.
On lui a beaucoup reproché les séquences concernant Pétain et de Gaulle. Il décape, détruit, affronte, se trompe peut-être mais pourfend les poncifs, les idées dont une conception morale de l'Histoire morale a plus besoin que d'une vérité objective trop blessante avec ses évidences factuelles. La réalité n'a pas su toujours choisir au fil des siècles le manichéisme qui plaît tant à certains.
Aurait-il totalement tort que ce ne serait pas un crime : d'abord même les historiens les plus sérieux n'échappent pas aux partis pris et ce n'est jamais qu'une interprétation, une élucidation qui vient apporter du pluralisme et de la contradiction dans l'explication d'une période capitale et sombre de l'Histoire en général écrite sur le même mode indigné et sans appel.
EZ est et a une personnalité ancrée dans des convictions fortes qu'il sait défendre avec vigueur et sans jamais céder, par peur ou complaisance, le moindre pouce de terrain. Enfermé dans une autarcie qui ne le conduit pas à surestimer autrui, il est un historien, aussi respectable et digne d'intérêt que tant d'autres, et il n'a pas à être moqué avec condescendance et aigreur. A proportion de son insupportable talent, de son éclatante réussite d'essayiste et d'écrivain.
J'ai réfléchi, après avoir lu très attentivement Destin français, à la véritable, à la seule raison de l'hostilité, voire de la haine que ce livre et son auteur suscitent.
Parce que cette passion pour la France, pour son intégrité, sa grandeur et sa survie, est à la fois exaltée et argumentée.
Comme on aimerait qu'EZ soit l'un de ces imbéciles susceptible d'être méprisé avec arrogance et bonne conscience ! On sait qu'il ne l'est pas mais peu importe : on le vilipende comme s'il l'était.
Charles Aznavour n'a peut-être pas lu ce livre avant sa disparition qui a bouleversé la France mais je suis sûr qu'il aurait apprécié Destin français.
C'était le sien.