Les données culturelles, absentes de la feuille de route du gouvernement sur l’Open Data
:: S.I.Lex :: - calimaq, 3/03/2013
En marge de son séminaire numérique, le gouvernement a publié jeudi une feuille de route en matière d’ouverture et de partage des données publiques.
Ce texte comporte plusieurs éléments intéressants, qui viennent concrétiser la mesure n°15 annoncée lors du séminaire gouvernemental sur le numérique : « Faire de l’ouverture des données publiques le levier de la modernisation de l’activité publique ».
Pourtant, même si l’on peut se réjouir que le nouveau gouvernement poursuive l’effort d’ouverture des données, il reste un sujet désespérément absent du radar : celui des données culturelles.
La feuille de route fixe ainsi pour objectif de travailler à l’ouverture de « jeux de données stratégiques » et la mission Etalab se voit confier la tâche d’organiser dès 2013 six débats thématiques et ouverts, afin d’identifier et de publier de nouveaux jeux de données dans les secteurs suivants : santé, éducation, dépenses publiques, logement, environnement, transports.
Nul doute que ces domaines sont importants, mais qui peut nier que le champ de la culture revêt un caractère stratégique, surtout dans un pays comme la France ? On notera également que la question des données de la recherche ne figure pas non plus dans cette liste. La raison de l’exclusion de ces deux sujets résulte certainement du fait que la réutilisation des données culturelles et de recherche est régie par un régime dérogatoire dans la loi du 17 juillet 1978, dénommé (assez improprement d’ailleurs) « exception culturelle ».
L’absence des données culturelles de la feuille de route du gouvernement pour l’Open Data est particulièrement fâcheuse et contestable, car des débats ont d’ores et déjà lieu à propos de ce régime particulier et des blocages qu’il entraîne. Un rapport Open GLAM, publié en 2012 par Creative Commons France, Wikimedia France, Veni, vidi, libri et soutenu par SavoirsCom1, avait notamment insisté sur la nécessité de réintégrer les données culturelles dans le régime de droit commun de la réutilisation des informations publiques, pour en finir avec cette exception.
Par ailleurs, un avis publié par l’ancienne formation du Conseil National du Numérique en juin 2012 avait émis la même idée et plaidé en faveur d’un effort particulier dans l’ouverture des données culturelles :
Le sous-développement en France de l’«open data» des donnés culturelles peut s’expliquer d’une part par le régime d’exception dont elles font l’objet, et d’autre part par des confusions relatives aux questions de propriété intellectuelle [...]
Dans tous les cas, il ne semble pas proportionné de créer un régime d’exception à tout le secteur culturel s’il n’est justifié que par des cas très particuliers, qui restent d’ailleurs à définir précisément. Le CNNum propose donc d’intégrer les données culturelles dans le régime de réutilisation commun.
Par ailleurs, un débat public et ouvert aurait été particulièrement bienvenu sur la question, car la situation est en train de devenir dangereusement pathogène. Dans le secteur des archives, de multiples procès ont éclaté devant les tribunaux administratifs, entre des archives départementales et la société NotreFamille.com. Les premiers jugements rendus à propos de ces affaires sont particulièrement contradictoires : certains tendent à neutraliser la fameuse exception culturelle, tandis que d’autres s’appuient sur le droit des bases de données pour justifier l’interdiction de la réutilisation, ce qui peut fragiliser dans son ensemble le mouvement d’ouverture des données , et pas seulement dans le secteur culturel.
Mais c’est surtout la position du Ministère de la Culture sur cette question qui devrait pouvoir être débattue. La réponse à une question parlementaire avait montré à l’automne dernier que le Ministère restait arc-bouté sur le principe de l’exception culturelle et Aurélie Filippetti avouait même sans vergogne que la France agissait au niveau européen pour maintenir la possibilité de monétiser les données culturelles :
[la France] a plaidé pour que ce régime tienne pleinement compte des spécificités de ce secteur et de son économie, qui se caractérise par des besoins élevés d’investissement dans des opérations de numérisation complexes. La France a par conséquent demandé une exemption large et souple au principe de tarification au coût marginal pour les musées, archives et bibliothèques.
La conjonction de ces crispations judiciaires et de cette politique de monétisation conduit, comme le rappelait le CNNum, à un sous-développement de l’Open Data culturel par rapport aux autres secteurs. La feuille de route du gouvernement indique que chaque Ministère doit procéder à l’identification de nouveaux jeux de données à libérer en mars prochain, mais l’enjeu dans le secteur de la culture se situe avant tout au niveau des établissements culturels, qui peuvent s’abriter derrière l’exception culturelle pour ne pas ouvrir leurs données.
Dans ces conditions, faut-il désespérer ou se résigner ?
Il reste quelques pistes exploitables, d’après cette feuille de route, qui pourraient concerner les données culturelles, même si celles-ci ne sont pas directement nommées.
Le texte parle en effet d’élargir la stratégie d’ouverture des données publiques « à tous les établissements publics« , ainsi qu’aux « missions de service public à caractère industriel et commercial« . Ces formulations sont suffisamment larges pour s’appliquer aux bibliothèques, musées et archives nationales, ainsi qu’à un acteur stratégique comme la RMN.
Plus encore, la feuille de route indique que le gouvernement souhaite conduire une évaluation des modèles économiques des redevances existantes, en auditant les coûts et les recettes associées. Il faut vraiment espérer que cette démarche d’évaluation sera aussi conduite dans le périmètre du Ministère de la Culture, pour qu’on évalue enfin ce que rapporte effectivement la monétisation des données culturelles et si cela justifie le maintien d’un régime d’exception aussi marqué. Je suis prêt à mettre ma main à couper que ce n’est pas le cas !
Enfin, la feuille de route mentionne que des modifications de la loi du 17 juillet 1978 seront sans doute effectuées dans la foulée de la parution de la nouvelle directive européenne sur les informations du secteur public (PSI). Mais là encore, sur le chapitre des données culturelles, les signaux qui nous parviennent sont contradictoires et il n’est pas certain que la nouvelle directive apporte des améliorations significatives.
La route de l’ouverture des données culturelles en France promet d’être encore longue et difficile… Même la Hadopi a ouvert plus vite ses données que 99% des musées, bibliothèques et archives ! A part ça, tout va bien…
Classé dans:Données publiques et Open Data Tagged: archives, Bibliothèques, données culturelles, données publiques, exception culturelle, musées, open data