De Gaulle le petit !
Justice au singulier - philippe.bilger, 5/06/2014
Chacun a ses références et chaque président de la République son modèle ou son inspirateur.
Pour François Hollande, on ne le sait que trop, son ambition est de gouverner sur les traces de François Mitterrand. Entre eux il y a toute la différence qui existe entre un génie controversé de la politique et un politicien roué et habile. Entre un artiste changeant le plomb en or et un malchanceux faisant tourner l'or en plomb.
Nicolas Sarkozy a tendance, depuis que la majorité du peuple l'a obligé à quitter le pouvoir, à se prendre pour de Gaulle et à simuler l'homme de devoir et de responsabilité prêt à se sacrifier pour la France puisque François Hollande serait "nul".
Combien de fois ai-je frémi quand, lors de son ostensible retraite qu'apparemment il souhaite écourter, il nous a fait part, par amis interposés, de son accablement devant ce que les Français prétendait-il, attendaient de lui : son retour. A contrecoeur il se résoudrait à nous sauver en empêchant le pays de sombrer.
Cette usurpation intellectuelle et politique est une offense à ce que Charles de Gaulle a eu d'intègre, de remarquable et d'unique. Ses qualités étaient exceptionnelles, ses défauts également mais rien de médiocre chez lui. Il n'imitait personne puisqu'il était à imiter.
Cette dénonciation, qui hier serait apparue partisane, aujourd'hui bénéficie d'un coup de chance. Grâce à Jean-François Copé et à l'affaire Bygmalion, l'UMP semble s'être enfin réveillée. Nicolas Sarkozy a perdu douze points dans les sondages et son image de sauveur est ébréchée (Le Monde, Le Parisien).
Mieux même, selon une enquête Ifop pour Valeurs Actuelles, Nicolas Sarkozy et Alain Juppé sont maintenant quasi à égalité auprès des sympathisants UMP et pour l'ensemble des Français, le second est crédité de 28% et le premier de 13% (Le Parisien).
C'est à cause de ce brutal changement de donne, et pour le contrer, que, comme par hasard, les amis de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux en tête, prétendent inéluctable et nécessaire l'accession de Nicolas Sarkozy à la présidence du parti. Et, bien sûr, sans primaire, comme si un ancien président vaincu devait bénéficier d'une prime face à ses concurrents d'avenir, quel que soit leur âge. Cette entreprise concertée ne trompera personne. Le procédé qui consiste à placer sur un pavois celui que le désir de renouveau et l'exigence morale contribuent à abaisser va faire long feu (lefigaro.fr).
L'inquiétude de Nicolas Sarkozy devant les retombées du financement de sa campagne de 2012 n'était donc pas feinte ; il sentait qu'il lui serait difficile de se dissocier de ceux appelés à payer pour ses fautes et de jouer l'innocence surprise face aux évidentes connexions entre JF Copé et lui et à l'accusation de Jérôme Lavrilleux soulignant que personne n'avait osé dire "stop" à Sarkozy et que l'UMP n'avait pour objectif que de protéger celui-ci (20 minutes, RMC).
Risque d'autant plus préoccupant que la flèche l'atteignant avait cette fois sa cible en plein coeur de l'UMP et des militants abusés.
Même Bernard Tapie, un spécialiste, qui éprouve "une grande admiration" pour Nicolas Sarkozy - cela me réjouit - , lui enjoint de ne pas revenir.
Mais ce dernier ne tiendra pas compte du conseil parce que jusque-là, les casseroles, avec d'éventuelles conséquences judiciaires, n'étaient pas susceptibles de dégrader la bienveillance que lui manifestait ce parti hermétique à l'éthique pour ce qui concernait son ex et peut-être futur champion.
Cependant, pour déplorer l'attitude de Nicolas Sarkozy en recours gaulliste, il y a bien plus, et qui démontre la validité paradoxale de ce point de vue : Nicolas Sarkozy a déçu bien davantage depuis que François Hollande l'a défait, avec l'aide de beaucoup de citoyens non socialistes mais lassés de son rival dans le paysage républicain. Ce n'est pas parce que François Hollande les a oubliés qu'ils ont envie de voir renaître ce passé rejeté.
Je ne parle pas du désir du président revanchard, dissimulé sous une indifférence fabriquée, de verrouiller la droite pour l'empêcher de lui échapper. Il fallait qu'elle ne changeât pas pour qu'il garde ses chances, sa place, son influence. Heureusement l'UMP s'est ébrouée, et certains de ses responsables avec elle. Tardivement certes, mais clairement. Pour un Hortefeux, un Guéant et une Morano qui n'ont rien appris et tout oublié, que d'impatiences, de réveils et de révoltes. Enfin !
Non, ce qui m'importe relève de ce que l'on pourrait qualifier de déontologie d'un président battu. A partir du moment où Nicolas Sarkozy ne s'est pas encore explicitement impliqué dans le débat public et les joutes politiques, je suis choqué par le rôle international qu'il s'assigne sans aucun mandat.
C'est une manière inélégante d'agir en mettant sa présence et son entregent dans les roues du pouvoir socialiste et dans les desseins de François Hollande. Un besoin de faire partie du jeu et d'exposer son je, contre toute décence. En devenant une sorte de trouble-politique internationale. Un messager mais de lui-même.
Qui peut penser que la seule passion amoureuse l'entraîne, comme une sorte d'imprésario ravi de son épouse à la voix certes à soutenir mais tout de même, vers tant d'autres pouvoirs ?
Que les chefs d'Etat le reçoivent en sa qualité d'ancien président est sans doute conforme à la politesse internationale mais Sarkozy manifeste un tel empressement à doubler ses voyages, en passant du dérisoire artistique au grave diplomatique, que le procédé à la longue devient caricatural.
A l'évidence il s'agit de refuser de faire de la figuration. Peut-on croire qu'avec son caractère, son engagement, il ait parlé avec Poutine favorablement de François Hollande et de la diplomatie de la France ?
Avec cette personnalité dont le classicisme n'a jamais été le fort et que Poutine a finalement manipulée avec la Géorgie, on espère que toute obligation de réserve n'a pas été répudiée. Je n'ose imaginer des échanges risquant d'être fondés sur une complicité acerbe, ironique et déplacée à l'encontre de notre président.
Imagine-t-on un Charles de Gaulle rendu à ses pénates à l'issue d'une défaite présidentielle se livrer à cette tournée pour continuer à troubler et à énerver ? Pour faire acte de présence tout de même ?
Imagine-t-on Valéry Giscard d'Estaing, dont l'humilité n'était pas le trait principal, pousser pourtant le ridicule, après 1981, jusqu'à damer officieusement le pion à un Mitterrand en charge officielle des responsabilités de la France ?
François Hollande est trop aimable. Il devrait monter sur ses grands chevaux pour dénoncer le comportement de Nicolas Sarkozy et ce maintien dans les lieux sans titre.
Et si sans cesse on doit revenir à lui, c'est parce qu'il nous menace sans cesse de son retour ! Il serait vain de lui rappeler que, pour d'autres que lui, un lien rompu avec la France et les Français n'était pas guérissable.
Et j'ai donc le droit, à un niveau infiniment modeste, de me prendre pour un Victor Hugo minuscule en mettant en garde contre de Gaulle le petit !