Valeurs c/ valeur ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 17/10/2014
A la lecture de l'article de Valeurs actuelles (VA) consacré au travail d'investigation de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, ces deux journalistes du Monde sans lesquels notre vie démocratique et notre information de citoyen seraient appauvries, l'affaire est tout de même moins simple qu'elle apparaissait au premier abord.
Telle en tout cas que j'ai été conduit à l'aborder le 16 octobre lors de ce débat animé par Valérie Expert qui nous permet de "choisir notre camp" mais en autorisant nuance et complexité (LCI).
D'abord, je n'apprécie pas que ce texte ne soit pas signé. Cette abstention révèle moins le souci, me semble-t-il, d'engager toute la rédaction que de protéger l'imprudent ou l'audacieux qui s'est risqué à dénigrer des confrères.
Je ne crois pas non plus qu'il faille féliciter l'hebdomadaire pour cette démarche qui n'a pas pour unique but de lutter contre le corporatisme en jetant une pierre dans un jardin trop consensuel. L'hebdomadaire, en révélant la date et le lieu de certains de leurs entretiens, insinue que les deux journalistes sont inspirés par le pouvoir quand ils rendent compte d'affaires susceptibles d'impliquer Nicolas Sarkozy.
Sur leur prétendue partialité et donc leur instrumentalisation au soutien d'une machine de discrédit à l'encontre de l'ancien président, je rappelle que les journalistes, encore moins que les magistrats, ne créent pas de toutes pièces les dossiers, les affaires et le terreau à partir duquel ils vont développer recherches, recoupements, témoignages et interprétations.
J'ajoute que ce grief est d'autant plus piquant quand il émane d'une publication (dont j'apprécie généralement le courage, dans le conformisme médiatique assez homogène à tonalité gauche bien-pensante) qui n'hésite pas elle-même, avec une obstination méritoire, à servir la cause de Nicolas Sarkozy en mettant entre parenthèses ou en négligeant tout ce qui serait de nature à faire douter.
L'accusation fondamentale formulée à l'encontre de VA, qui a suscité une action de la part du Monde et des deux journalistes incriminés, est d'avoir violé le secret de leurs sources et, pour ce faire, de les avoir, paraît-il, suivis et surveillés. Il ne faut pas exagérer, il n'y a que VA pour feindre de tomber des nues parce que Davet et Lhomme se sont retrouvés parfois à l'Elysée, au ministère de la Justice et au Pôle financier !
Ce sont à l'évidence des lieux essentiels pour la curiosité et le questionnement. Pour des affaires d'Etat en quelque sorte, il n'est pas scandaleux d'éclairer ces affaires en interrogeant l'Etat et ses centres. En aucun cas, cela n'autorise VA à passer de cet inévitable et banal processus à une présomption de servilité médiatique et de dépendance politique.
D'autre part, l'honnêteté aurait consisté à ne pas mêler cette pincée d'acidité à une douteuse manoeuvre ayant conduit Nicolas Sarkozy a laisser entendre que ces deux journalistes lui auraient révélé les écoutes dont il était l'objet. Une telle absurdité, de pure vindicte, n'aurait-elle pas dû conduire VA à une sage abstention pour ne pas alimenter ce procès injuste ? Nicolas Sarkozy a bien perçu la faveur dont VA l'a fait bénéficier puisqu'il a remercié l'hebdomadaire qui, j'en suis sûr, se serait bien passé de cette reconnaissance gênante.
Mais à la question formulée par le titre, je ne suis pas persuadé toutefois, malgré l'indignation immédiatement compréhensible du Monde, que VA ait violé le secret des sources, sauf à considérer que des sources évidentes et institutionnelles, normalement consultées, doivent encore être protégées par un secret d'airain.
En revanche, et je me rends, si j'ose dire, au Pôle financier, s'il était établi que nos deux journalistes le fréquentent non seulement par conscience professionnelle mais pour obtenir un butin précieux résultant de la violation du secret de l'instruction, je ne vois pas au nom de quoi on s'interdirait d'identifier le ou les transgresseurs et de les poursuivre pour cette infraction. Puis-je souligner que j'ai au moins une certitude absolue sur les magistrats respectant le silence que la loi leur impose...
Beaucoup de bruit pour rien ? Non, du bruit qui en valait la peine, parce que l'enjeu concerne rien de moins qu'une certaine qualité de République.
La recherche de la vérité, au détriment des puissants, va-t-elle être stigmatisée pour peu qu'ils soient du bon ou du mauvais côté des médias ?