Emmanuel Macron a gagné aux points !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 16/04/2018
Un sondage rapide autour de moi a confirmé l'impression nette que j'ai ressentie à l'issue de ce très long exercice de questionnement et de réponses présidentielles (quand elles étaient possibles). Emmanuel Macron - entre deux rounds (voir billet) - a largement gagné aux points ce combat de boxe politique (BFMTV).
D'abord parce qu'on avait de l'estime pour le courage d'un président acceptant de se livrer à une telle entreprise, venant en quelque sorte délibérément se jeter dans la gueule du loup pour en ressortir vainqueur et plus fort.
Ensuite parce qu'Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin ont tenu leurs promesses : ils ont été ostensiblement pugnaces et agressifs et ils ne nous ont pas déçus sur ce plan même si ainsi ils ont facilité la prestation du président. Celui-ci, en effet, ne s'est jamais départi d'un calme et parfois d'une ironie qui rendaient ses contradicteurs caricaturaux et lui permettaient de susciter une adhésion rien que par le contraste entre leur attitude et la sienne.
Les interrogations souvent comminatoires de Jean-Jacques Bourdin et les questions toujours biaisées d'Edwy Plenel qui avait, comme c'était prévisible, relégué le journaliste pour laisser toute leur place au partisan et à l'idéologue, loin d'affaiblir Emmanuel Macron et de le mettre en difficulté, ont au contraire donné du prix à ses répliques qui parvenaient à se dégager des interpellations importunes qui visaient à les empêcher.
Le président de la République, sur deux thèmes, nous a laissés sur notre faim.
Son argumentation sur les retraités, ses explications renouvelées - après sa rencontre avec Jean-Pierre Pernaut sur TF1 - n'ont sans doute pas convaincu non seulement les retraités eux-mêmes mais la plupart des téléspectateurs parce que l'objet même de la discussion et le fond de ce sujet se prêtaient mal à une démonstration décisive de la part du président. Le simple fait d'avoir lésé certains retraités, en dépit de compensations promises, avait une charge négative. Impossible de renverser, sur ce registre, la vapeur.
Sur l'islam, l'islamisme, les fichés S et le terrorisme, sur cette part régalienne où il est jugé sinon mou du moins trop précautionneux, il n'a pas été sans ressort et sur l'état de droit et les impossibilités d'interdiction ou d'expulsion globales qu'il prescrivait, le président s'est trouvé à l'aise. Pourquoi tout de même ce sentiment d'une retenue presque inquiétante ? Parce que le "en même temps", sur une problématique aussi grave, aussi lourde de sens, n'est sans doute pas la meilleure approche. Lorsque Emmanuel Macron énonce - et on a été heureux de l'entendre - qu'une démocratie doit et peut être forte, sans mauvais esprit la tentation venait de lui suggérer de faire des efforts pour cette dernière exigence.
Mais, à côté de ce domaine qui je le crains constitue moins un vrai point faible chez le président qu'une fragilité due à une volonté de complexité, à un désir de répudier toute démagogie en désertant l'idée d'une rigueur générale au profit de sévérités ponctuelles, que de morceaux de bravoure qu'il a développés brillamment, dans lesquels il s'est engouffré presque avec une volupté gourmande !
Sur la justification des frappes en Syrie même si un court instant il a perdu un peu la maîtrise de sa langue avant de s'ajuster au ton roide de ses interlocuteurs et de s'y habituer.
Sur le président chef des armées et la Constitution qui l'édicte. Avec quelle maestria, offensante pour Edwy Plenel, il a renvoyé celui-ci à son statut d'opposant qui a la liberté de proposer autre chose mais non de battre en brèche ce qui relève de notre loi fondamentale.
Sur l'Europe, avec la même exaltation positive, il avancera avec les seuls pays dont les principes ne les mettront pas en marge des valeurs fondamentales qui la fondent.
Sur l'autorité de l'Etat à Notre-Dame des-Landes où il a réduit à néant les billevesées du même qui questionnait trop comme porte-parole de causes extrémistes, en s'imaginant que toute la France partageait sa vision infiniment fragmentaire, au lieu de s'en tenir au moins à une apparence d'objectivité !
Pour le désordre et les violences dans certaines universités, avec quelle évidence il a mis en exergue le fait qu'ils n'étaient pas imputables aux étudiants mais à des groupuscules gauchistes et que la masse des premiers n'était préoccupée que par le souci d'étudier et de passer ses examens !
Sur la SNCF, il a considéré les cheminots, défendu les dirigeants en refusant les attaques personnelles et développé un discours d'apaisement avec des engagements solennels qui devraient rassurer. Il a jeté de l'eau sur le feu.
Avec quelle patience il a insisté sur la différence entre optimisation ou évasion fiscales et tenté de justifier le maintien du verrou de Bercy !
Avec quel plaisir dévastateur il a pulvérisé le reproche de "duplicité" et le procès intenté par François Hollande !
Avec quel enthousiasme et quelle conviction il s'est engagé sur le sujet de la cause des femmes et de l'égalité entre les sexes - la fin de l'émission était proche et son alacrité venait aussi de cela - parce qu'il avait en effet des preuves à faire valoir, infiniment concrètes et politiques, qui démontraient, avant Me Too, son implication dans ce progressisme social et démocratique !
Toutes ces séquences ont montré un président au meilleur de sa forme, sûr de sa force et s'offrant le luxe durant plus de deux heures de dialoguer sans aucune note avec deux personnalités acharnées, mais en vain, à le faire trébucher !
Si ces dernières avaient été moins intéressées par cet unique objectif, elles auraient pu remarquer la stratégie intellectuelle du président qui sur tous les thèmes épineux - par exemple l'hôpital ou la condition des personnes âgées - usait de la même méthode.
Il étouffait le venin de l'interrogation qui présentait un tableau catastrophique en adhérant peu ou prou au constat puis délaissant l'immédiateté et les remèdes encore imparfaits qui étaient apportés à ces difficultés, il renvoyait la solution à un traitement en profondeur. Ce qui était d'ailleurs, avec sa volonté de favoriser le travail, son axe directeur. Ce pouvoir ne s'attache pas à la superficialité mais aspire à s'en prendre à la racine des maux qui blessent ou dégradent la société française.
Il y aurait eu là de quoi interpeller valablement le président en mettant en cause son habileté à s'éloigner d'aujourd'hui, avec ses difficultés trop présentes, vers demain et ses éclatantes virtualités.
Emmanuel Macron, avec talent et une maîtrise incontestable de ses dossiers, l'a emporté. On verra ce que donneront les sondages officiels, médiatiques. Les miens sont sans équivoque. On a un président qui tient le choc et, quoi qu'on pense de lui sur le plan politique, c'est bon pour la France.