Nicolas Bonnemaison: « L’euthanasie n’est pas mon combat »
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 11/06/2014
Si l'on devait ne retenir qu'un moment de ce premier jour de procès, ce serait celui là. Julie Bonnemaison est à la barre des témoins. C'est une belle femme aux cheveux sombres, à la peau hâlée, au corps souple, à la voix ferme, incroyablement vivante. Médecin anesthésiste, elle a connu Nicolas Bonnemaison il y a vingt ans, à l'hôpital de Bayonne où elle effectuait son stage. Ils se sont mariés, ont eu deux petites filles. De celui qui comparait devant la cour d'assises sous l'accusation d'empoisonnement de sept de ses patients en fin de vie, elle dit: "Nicolas, ce n'est pas un assassin, pas un empoisonneur, c'est un bon docteur, un docteur jusqu'au bout des ongles. Il n'a pas mis fin à des vies. Il a raccourci des agonies".
Elle fait surtout rempart, cette femme, cette épouse, contre le portrait esquissé par l'acte d'accusation. Celui d'un homme fragile, qui a été profondément marqué par le suicide de son père, chirurgien, lorsqu'il était étudiant en médecine, et qui a lui-même connu plusieurs épisodes dépressifs au cours de sa vie professionnelle. Elle lui substitue celui d'un médecin "consciencieux", d'un chef de service "disponible" et "attentif". Aux questions du président Michel Le Maitre et du procureur Marc Mariée, qui insistent sur les épreuves traversées par le couple, elle répond en plantant tranquillement ses yeux dans les leurs: "Je suis fière d'être la femme du docteur Bonnemaison."
ZONE GRISE
Est-ce cette foi si résolue en lui, exprimée publiquement, qui a fait sortir Nicolas Bonnemaison de l'apparente léthargie dans laquelle il était apparu à l'ouverture de l'audience? Toujours est-il qu'après la déposition de son épouse, la voix atone qui avait déroulé les étapes douloureuses de sa biographie, s'est raffermie. Elle a entrainé la cour et les jurés dans le quotidien de cette unité d'hospitalisation de courte durée qui accueille, au centre hospitalier de Bayonne, les patients diagnostiqués "en fin de vie". Avant, il y avait eu le passage par le service des urgences, la batterie d'examens, puis le diagnostic posé par le neurochirurgien ou l'oncologue qui concluait que le patient n'était plus opérable. "Le moins que l'on puisse dire, c'est que les autres services ne sont pas enthousiastes à l'idée de les accueillir", explique Nicolas Bonnemaison, qui ajoute: "Au fil du temps, l'unité d'hospitalisation de courte durée est devenue une solution de facilité pour les urgentistes."
Et les voilà qui entrent au coeur des débats, ces corps meurtris, souvent très âgés et leur noir tableau clinique. "Coma diabétique", "accident vasculaire cérébral sévère", "hémorragie cérébrale", "convulsions", "détresse respiratoire", "relâchement des sphincters", "escarres". S'ouvre alors une zone grise qui recèle l'enjeu du procès: ce moment où la décision est prise de cesser l'acharnement thérapeutique et donc d'arrêter les traitements, l'alimentation et l'hydratation des patients pour mettre en place un protocole de sédation.
"La phrase que l'on entend toujours dans ces moments là, c'est: ‘Faites en sorte, docteur, qu'il ne souffre pas'", raconte Nicolas Bonnemaison. Conformément à la loi Léonetti, une telle décision nécessite la consultation de l'équipe soignante et de la famille. Deux étapes que le médecin ne respectait pas. Pour l'équipe soignante, dit-il, "il y a des risques de vraie souffrance, c'est pour cela que je prends les décisions seul." Et pour la famille, poursuit-il, "c'est un point de la loi Léonetti avec lequel je suis en difficulté. J'ai le sentiment de transférer une responsabilité de médecin sur la famille. Décider la sédation, c'est raccourcir la vie. Ne pas la décider, c'est se dire qu'on va prolonger la souffrance. Cette décision, dans un cas comme dans l'autre, est une source de culpabilité pour la famille."
"SOULAGER LES PATIENTS"
Le président lui demande: "Vous avez tenu à dire pendant l'instruction que vous n'étiez pas un militant de l'euthanasie. Pourquoi cette précision?
- L'euthanasie n'est effectivement pas mon combat. Mon rôle ce n'est pas de précipiter les décès, ni de libérer des lits. C'est de soulager les patients. De faire en sorte qu'ils ne souffrent pas."
>> Lire le contexte : Le débat sur la fin de vie convoqué malgré lui au procès Bonnemaison
Mais face à ces mots, il y a le récit des infirmières et les images tenaces qui nourrissent le dossier d'accusation. Celles du docteur Bonnemaison se rendant seul à la pharmacie de l'hôpital pour remplir une seringue avec des ampoules d'Hypnovel (un sédatif) ou de Norcuron (curare), procédant à l'injection sur un patient et, peu de temps après, le bip de l'alarme qui se déclenche dans la chambre, signalant le décès. Et face à ces sept morts, lointains, il y en a sans doute aussi d'autres, tout proches - un père, une mère, une grand-mère - dans la tête des juges, des jurés et du public nombreux qui se serre sur les bancs de la salle d'audience.
Pascale Robert-Diard