Les socialistes : des incendiaires surpris par le feu
Justice au singulier - philippe.bilger, 24/03/2014
François Hollande a bien été élu président de la République en 2012 et son pouvoir exercé depuis presque deux ans ?
Alors que les résultats du premier tour des élections municipales ont mis en évidence une abstention considérable, une poussée du FN telle qu'on doit évoquer dorénavant un tripartisme, enfin moins une victoire de l'UMP qu'une éclatante défaite des socialistes (Le Monde).
Comme l'a souligné Henri Guaino et, à l'autre bord, Olivier Besancenot, la désaffection démocratique et l'enracinement du FN non seulement dans la vie nationale mais locale révèlent une crise profonde.
Celle-ci n'est pas née de rien mais, pour le second élément, provient de ce qu'un sondeur de l'Institut CSA, Yves-Marie Cann, a justement perçu : "Gauche et droite ont servi sur un plateau ses bons scores au FN" (jdd.fr).
Les soirées électorales ne sont généralement pas des moments de sincérité totale. Les triomphes ne doivent jamais se dégrader en triomphalisme, surtout après un premier tour, et les échecs donner lieu à un accablement qui ne serait guère mobilisateur pour la suite.
Il n'empêche qu'on a le droit d'être lucide et de ne pas dérouler, face au désastre même s'il est peut-être provisoire, une guirlande de mots creux, de dénonciations mécaniques et d'arguments oubliant l'essentiel : la responsabilité du pouvoir. En ce sens, je n'ai jamais entendu, tout au long d'une vie de citoyen et de téléspectateur attentifs, des propos aussi affligeants que ceux tenus par le Premier ministre, certains ministres, le sénateur Assouline et Harlem Désir.
A les entendre, l'urgence était moins de s'interroger sur les causes de leur déroute que de se draper dans une posture éthique - qui leur va si mal ! - prétendant donner des leçons au camp qui avait eu la malchance de l'emporter, même divisé en deux familles hétérogènes l'une à l'autre.
Cette attitude d'occultation était d'autant moins admissible que comme cela a été relevé, "Jean-Marc Ayrault a été le meilleur agent publicitaire du FN". Et que l'apologie facile de l'enjeu local est inadaptée à l'égard de ce parti qui sert de vaste fourre-tout à une protestation populaire, multiple, instinctive et désespérée face à une France devenue moins familière et à un socialisme qui, notamment avec Christiane Taubira, a fait clairement et dangereusement le lit de ce qui aujourd'hui l'ébranle et l'affecte en plein coeur, en pleine béatitude autosatisfaite.
Si on cherche à conceptualiser, on peut agréer l'analyse du politologue Christophe Bouillaud qui évoque "une fracture profonde entre une gauche libertaire et une droite autoritaire". Ces clés sont en effet fondamentales qui permettent de dégager l'essence de la gauche depuis qu'elle est au pouvoir, pour tous les faits et phénomènes de société, et de la droite dans ses composantes aussi bien classique qu'extrême.
Il était fatal que les échanges médiatiques - belle équipe sur LCI avec Michel Field et Audrey Mara-Crespo - tournassent sur la démarche à adopter à l'égard du FN et que le Front républicain revînt comme une antienne : la gauche qui a perdu ne sait faire que cela !
Mais le piège maladroit et répétitif ne s'est pas refermé.
D'une part, parce que les socialistes vont devoir affronter, plus que l'UMP, dans la multitude des triangulaires le choix et l'embarras de ces situations où la conscience et l'éthique sont sensiblement dépendantes des rapports de force sur le terrain.
D'autre part, parce que l'UMP, qui pourrait en effet ramasser substantiellement la mise au second tour, a su échapper à des justifications oiseuses et inutiles. Henri Guaino qui ne devrait plus parler de justice, parce que sur tous les autres sujets il est remarquable et décisif, a très élégamment renvoyé Najat Vallaud-Belkacem dans sa sphère guère démonstrative en lui rappelant que le FN était inscrit dans l'espace républicain - il n'a aucune vocation monarchiste ! - et qu'il n'était pas interdit. Dans ces conditions, décider de ne pas voter pour les candidats de ce parti pas plus que pour ceux du PS constituait une démarche parfaitement honorable qui avait le mérite d'assumer les risques de la démocratie.
Cette volonté de l'UMP - enfin ! - de ne plus céder sur le plan de sa tactique aux injonctions malvenues de l'adversaire socialiste est d'autant plus cohérente que tout la distingue du PS comme du FN, dont les positions, pour tout ce qui ne concerne pas l'insécurité et l'immigration, sont absurdes, politiquement et techniquement. Les électorats du FN et de l'UMP sont "très différents, notamment pour l'Europe et la mondialisation" et, en définitive, ces deux familles de la droite largement entendue n'aspirent pas plus l'une que l'autre, aujourd'hui, à l'union.
Le recours à la morale genre UDI pour vanter le Front républicain a depuis longtemps révélé ses limites. Il y a dans le centrisme mou un obscur masochisme qui le conduit sans nécessité à se soumettre aux fourches caudines de l'ennemi et à tenter avec obstination de maintenir une façade éthique dans le seul problème de la relation avec le FN. Quand l'éthique a disparu de la vie publique à proportion même de son invocation purement verbale !
Surtout, quelle formidable absurdité ce serait que de venir au secours d'une gauche directement responsable de cette triple faillite de notre vie politique : une abstention dévastatrice, l'émergence du FN comme troisième parti et le destin fragilisé de notre pays.
Il conviendrait, si on suivait cette ligne, de manifester paradoxalement des signes apparents de complicité et de connivence avec un pouvoir discuté de toutes parts aussi bien par ceux qui lui imputent d'avoir trahi la gauche que par ceux qui lui reprochent de n'avoir donné aucun gage à la droite non sarkozyste. Il faudrait, contre vents, marées, bilan de presque deux ans, insécurité grandissante et politique pénale aberrante - le 14 avril, on validera le projet judiciaire d'une équipe qui a perdu ! - simuler une union des coeurs et des sensibilités alors que les esprits sont de plus en plus antagonistes et les visions désaccordées ?
Ce serait du théâtre et l'état de la France et son avenir sollicitent trop pour qu'on puisse s'abandonner à un tel simulacre.
En général, on n'aide pas les incendiaires à éteindre leur feu.
D'autant moins qu'on nous annonce fièrement que l'incendie va s'intensifier et que "le cap sera tenu".
Il y a des pompiers pour le salut. Espérons en la relève.