Bertrand Tavernier face à la blessure du juge Burgaud
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 4/12/2013
Les années ont passé qui ont fait grisonner un peu ses tempes, mais c'est le même visage juvénile au teint blanc, le même maintien à la fois raide et gauche. Assis au banc des parties civiles, mardi 3 décembre, le juge Fabrice Burgaud garde les yeux obstinément fixés devant lui tandis qu'à quelques pas, le cinéaste Bertrand Tavernier tente de s'expliquer sur la phrase qui lui vaut de comparaître devant la 12e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour "injure à magistrat".
C'était le 10 avril lors de l'un de ces débats télévisés où l'on passe d'un sujet à l'autre et où le temps presse. Invité de l'émission "C à vous", Bertrand Tavernier évoquait avec fougue l'acteur Philippe Torreton auquel il voue, selon ses propres mots, "une admiration fanatique". La conversation avait glissé sur le film Présumé coupable, diffusé le soir même sur France 5 et dans lequel l'acteur incarne l'un des acquittés de l'affaire d'Outreau, Alain Marécaux. «Quand vous voyez le film, et je suis contre la peine de mort, c'est quelqu'un que vous avez envie d'exécuter, ce juge, le juge d'Outreau !» avait lancé Bertrand Tavernier.
"Pour moi, ça a été très violent, raconte Fabrice Burgaud. C'était comme si on lançait un contrat sur ma tête. Ça m'a ramené des années en arrière. J'ai à nouveau limité mes déplacements, je faisais attention quand je sortais de chez moi, j'évitais de me trouver dans des lieux où il y avait foule."
Pendant près de deux heures, un dialogue de sourds s'installe entre le juge et le cinéaste. "Je n'étais pas là pour parler de l'affaire d'Outreau, mais d'un film de fiction, dans lequel Torreton joue un rôle qui m'a bouleversé. Ce film a produit sur moi le même effet que l'affrontement entre Javert et Jean Valjean dans les Misérables. Quand je dis le juge d'Outreau, je parle du personnage du film. Je suis chroniqueur de cinéma, pas chroniqueur judiciaire", affirme Bertrand Tavernier. "Mais le personnage de fiction porte mon prénom et mon nom! " lui rétorque Fabrice Burgaud.
Au moment de la sortie de Présumé Coupable, précise-t-il, il avait chargé ses deux avocats, Mes Patrick Maisonneuve et Jean-Yves Dupeux, d'obtenir la modification de l'identité du personnage qui jouait le juge. Sa demande avait été refusée. Cité à la barre des témoins, le producteur du film Christophe Rossignon défend son choix : "Cela n'aurait rien changé", affirme t-il. Fabrice Burgaud se lève d'un coup: "Pour vous non, pour moi, si". Interrogé à son tour, le réalisateur du film Vincent Garenq observe: "Ne pas donner la vraie identité des personnages revenait à se cacher derrière son petit doigt. Nous arrivions après le procès, après la commission d'enquête". Le juge le coupe, farouche: "Vous vouliez attiser la haine?"
Bertrand Tavernier fait un pas. "J'ai été emporté. C'était une réaction forte qui trahissait mon émotion" dit-il. Mais sa phrase est là, et elle pèse lourd. "Elle pèse d'autant plus lourd, souligne Me Dupeux, qu'elle émane d'un homme de qualité". "Le personnage du film et le personnage qui est là devant vous, de chair et de sang, c'est le même", insiste-t-il. "Je veux croire que c'est un mouvement d'humeur, mais on aurait pu espérer des excuses. Au lieu de cela, on vient nous expliquer que tout cela, c'est de la fiction", souligne en écho Me Maisonneuve. Le procureur balaie lui aussi l'argument. "Bertrand Tavernier a hurlé avec les loups mais il a hurlé plus fort que les loups et il a blessé", dit-il en requérant la condamnation du cinéaste à 3000 euros d'amende.
Jugement le 14 janvier.