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Le président socialiste de tous les Français...

Justice au singulier - philippe.bilger, 17/05/2013

En effet, le paradoxe de cette démocratie tranquille, dont il est le centre et le pivot, est qu'elle ne dissimule pas que le président est seul, sans une équipe de haut niveau, sans un gouvernement, à l'exception de quelques ministres, exemplaire et indiscutable (Le Monde). La vraie faiblesse de Hollande tient peut-être à ce défaut de clairvoyance : n'avoir pas su choisir les actifs qui convenaient au service de ses desseins et de sa parole.

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Cela n'a pas manqué.

Après les deux heures 30 de sa conférence de presse, le président de la République a eu droit, comme il est de coutume en France, à la salve de l'opposition et aux éloges du camp socialiste (LCI). Probablement retrouvera-t-on, dans les commentaires de ce blog le même partage entre les adversaires irréductibles de ce pouvoir et ses partisans.

François Hollande, dans son exposé liminaire, s'est efforcé de démontrer la cohérence de sa politique, le sérieux du redressement économique et financier mis en oeuvre depuis le début de son quinquennat et, sur le plan européen, a évoqué les initiatives fortes qu'il avait l'intention de soumettre à ses partenaires, notamment à l'Allemagne à l'égard de laquelle il a adopté une attitude de solidarité et de compréhension dénuée cependant de toute complaisance. Réparant les outrances belliqueuses des extrêmes du PS, il a glissé toutefois que la récession avait frappé plus durement les Allemands, au cours des derniers mois, que les Français (LCI).

Il serait malhonnête de soutenir que cette présentation générale de "sa" ligne - il a clairement fait valoir, dans une réponse à une question sur "l'usine à gaz" des six ministres à Bercy, qu'il n'y avait que la ligne du président de la République, et pas deux - a été ratée puisqu'en dehors de l'hommage obligé au Premier ministre, elle n'était destinée qu'à faire apparaître à l'intention des 400 journalistes présents, pour ceux qui pouvaient en douter, le caractère délibéré, réfléchi, mûrement programmé de séquences qui, insistait le président, sortiraient la France de son marasme. Il n'hésitait à pas à maintenir que la courbe du chômage s'inverserait à la fin de l'année 2013.

Malgré le confort d'un tel propos, puisque le président, à son aise et en pleine liberté, visait à faire croire que, loin d'avoir été dépassé les événements, il les avait au contraire organisés, l'argumentation avait beau être structurée, la parole déliée et la conviction affichée, même pour le profane dans ces matières, un doute subsistait sur la puissance et l'efficacité de ce dispositif pour remonter le courant du déclin, réduire les déficits, faire renaître l'espoir, la croissance et restaurer une place de choix pour la France en Europe.

Ce n'était pas seulement parce que la "boîte à outils" de François Hollande semblait bien insuffisante face à la violence de la récession, comme Jean-Louis Borloo le faisait valoir avec une certaine modération qui tranchait sur l'excitation partisane d'autres appréciations, pas seulement parce que, pour Jean-Luc Mélenchon, il n'y avait rien de gauche dans ce programme, mais peut-être paradoxalement pour le motif que le président semblait répéter consciencieusement, intelligemment les leçons de la doxa européenne et qu'on se prenait à imaginer que la droite sarkozyste aurait probablement, soumise au même étau, tenu le même discours en feignant de l'inventer quand au fond il était dicté.

Bien sûr, le président a été brillant dans l'exercice dont il raffole, sans doute parce qu'à la fois il y révèle sa virtuosité intellectuelle et son langage convenable sans être guindé ou vulgaire et fait percevoir le gouffre qui sépare ses conférences de presse des interventions de son prédécesseur. A l'évidence, les questions qu'on lui pose, jamais trop acides parce que, courtois avec tous les journalistes, il suscite de leur part une forme de respect, ne sont pas vécues par lui comme autant d'offenses mais pour l'incarnation modeste d'une démocratie au quotidien. J'avoue ne jamais être lassé par cette réciprocité menée dans un climat d'urbanité entre la parole médiatique et la réplique présidentielle.

Est-ce à dire que tout prenait la couleur, la limpidité de son talent ?

Quand il a consacré une longue réponse au reproche d'avoir du mal à décider, on a pu constater que sa susceptibilité, si elle est maîtrisée, ne le constitue tout de même pas comme un ectoplasme, une passivité que rien n'offenserait. Il a rappelé, avec trop de précisions pour ne pas avoir été touché au vif, les multiples situations où il avait dû trancher (et pas des têtes !) et certains de ses actes de commandement et de détermination, notamment pour le Mali. J'ai toujours considéré imbéciles les allégations qui lui imputaient de la mollesse. François Hollande à l'évidence a une autorité qui n'a pas besoin de coups d'éclats permanents, donc inoffensifs. Il me semble qu'il s'est bien décrit en assumant sa fonction de décideur au plus haut niveau de l'Etat et sa volonté, aussi, de ne pas se substituer aux autres par une détestable omnipotence.

Si je n'avais à retenir de cette conférence de presse qu'un seul exemple de courage intellectuel et politique, ce serait sa position sur l'amnistie en général et l'amnistie sociale en particulier. J'ai aimé qu'il compare, sans frémir, les casseurs du Trocadéro avec les casseurs syndiqués et qu'il dénonce la violence dans les deux cas.

La plus grave ambiguïté, le malaise le plus préoccupant de sa pratique de chef de l'Etat tient à mon sens à cette oscillation permanente entre le socialisme et la France, entre l'intérêt général du pays et les intérêts du parti, entre l'ambition nationale et le clientélisme idéologique. Sa phrase : "Je suis un socialiste qui veut faire réussir la France", pour apparaître pleine de noblesse, est cependant riche d'un malentendu à partir du moment où élu par une majorité de non socialistes, il n'hésite pas pourtant à placer le socialisme au premier rang de ses préoccupations en refusant même, évolution négative, de s'avouer social-démocrate, contrairement à la teneur de sa première conférence de presse. Dans cet affichage idéologique, j'incline à supputer que beaucoup a été fait par lui pour la "galerie" gouvernementale et tous ceux dans les marges du parti et au Front de gauche qui surveillaient sa pureté socialiste.

Car, en définitive, la France n'est pas le synonyme de socialisme et servir tous les Français appelle une toute autre démarche que gratifier son camp. Il est difficile, voire impossible pour un président honnête de laisser peser sur son action et ses entreprises, une double emprise : celle de son devoir, celle de son camp. Puisqu'il désire laisser une trace en 2017 en ayant rendu la France plus apaisée, mieux armée, plus ouverte, il n'a pas d'autre choix que de se dévouer pour la première et de délaisser la seconde.

Sa réaction sur l'union nationale est également très révélatrice avec cette banalité qu'il y a une majorité et une opposition mais également des sujets sur lesquels des accords seraient possibles et une écoute bienveillante du pouvoir envisageable. Il est patent qu'il y a de la part du président un recentrage sur un socialisme au moins formel, comme un bouclier, une carapace contre les épreuves de ces temps infiniment difficiles où l'amateurisme éclairé de la plupart des ministres ne suffit pas à rassurer et à convaincre. Et, pourtant, il préfère donner du temps au temps pour changer cette équipe qui ne gagne pas !

Son soutien convenu au Préfet de police qui objectivement a échoué est aussi gangrené par une vision plus idéologique que professionnelle. Si des casseurs ont pu commettre le pire, c'est qu'en amont puis en aval, pour ne pas parler de la fureur du présent de cette soirée, un chef n'avait pas su, pas pu, pas contrôlé, pas prévu, bref qu'il avait été dépassé et incompétent. Ce n'est pas son socialisme qui doit protéger Boucault pas plus que le sarkozysme de tel ou tel techniquement remarquable n'aurait dû être imputé à charge. Dans la police, il n'y a pas pléthore de personnalités exceptionnelles pour qu'on joue ces places et ces responsabilités à la loterie partisane.

J'ai tenté une analyse ni inconditionnelle ni trop partiale. Ce à quoi je continue d'attacher le plus grand prix, ce qui, en ma qualité de citoyen, me change et ne laisse pas de me réjouir en me permettant de me concentrer sur le discours présidentiel et non pas seulement sur son être se rapporte à l'atmosphère rare de ces deux conférences de presse. La normalité du président, la sympathie qu'il inspire, son refus d'installer, par tous moyens, dans l'espace de dialogue un rapport de force, l'indiscutable qualité républicaine de ses attitudes, l'urbanité, son obsession d'occuper sa place mais de ne pas usurper celle des autres - tout est occasion, en dépit des antagonismes politiques, de se féliciter de ce changement radical entre hier et aujourd'hui et de ne pas aspirer au retour d'hier, demain.

En effet, le paradoxe de cette démocratie tranquille, dont il est le centre et le pivot, est qu'elle ne dissimule pas que le président est seul, sans une équipe de haut niveau, sans un gouvernement - à l'exception de quelques ministres - performant et indiscutable (Le Monde). La vraie faiblesse de Hollande tient peut-être à ce défaut de clairvoyance : n'avoir pas su choisir les actifs qui convenaient au service de ses desseins et de sa parole.


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