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Le Front national entre Le Pen et Le Pen !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 9/04/2015

Ce n'est pas un vaudeville mais une chance pour le FN. Et, j'ose le dire, pour tous.

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On aurait tort de rire et de se moquer. Ce n'est pas un vaudeville qui se joue actuellement au Front national mais une guerre qui va se terminer probablement par la défaite humiliante du père et le triomphe forcément amer de la fille.

Ce n'est pas une comédie de plus dans un monde politique qui n'en a jamais manqué et interprète seulement cet affrontement intestin comme une péripétie sans doute finale mais de guère d'importance.

Au fond, s'il ne s'agissait pas du FN et aujourd'hui d'un parti qui continue d'engranger grâce à la stratégie redoutable de Marine Le Pen et à cause du président de la République, du Premier ministre et de la garde des Sceaux qui le pourfendent verbalement sans porter atteinte à ses sources pour ne pas perdre un adversaire aussi utile, ce serait presque touchant.

En effet, un père nostalgique, englué dans ses obsessions et son passé, aimant sa fille mais jaloux de ses succès, à la fois heureux et furieux devant les avancées électorales du FN et la dédiabolisation honnie au moins partiellement réussie, un père en même temps honoré et relégué, se sentant encore important mais jugé de plus en plus importun dans un parti qu'il ne reconnaît plus. Un père écartelé entre la fierté politique et la susceptibilité intime, un père cherchant désespérément de quoi prouver son existence et multipliant, ici ou là, à la radio ou dans Rivarol, ce pour quoi il a toujours été le plus doué : un maniement expert du langage à des fins souvent provocatrices, malfaisantes et en tout cas destructrices.

Il y aurait là comme une sorte de Roi Lear proche de l'abandon et se cabrant face à un destin dont la fatalité lui est insupportable. Ce pourrait être pathétique et noble mais, en définitive, c'est odieux et, loin de compatir à cette détresse suscitée par le naufrage d'une vieillesse que ne préserve plus le moindre garde-fou, on s'indigne parce que la réalité n'est plus faite que d'aigreur, de ressentiment et d'une liberté d'expression systématiquement préjudiciable à sa fille qui est aussi la présidente d'un parti qu'il a créé mais qu'elle a fait sien en le faisant progresser sur tous les plans.

Ce père ruant dans les brancards, ce pourrait être estimable sauf que les brancards ont raison d'exister et de l'entraver et que Jean-Marie Le Pen croit encore avoir le droit de ne plus les tolérer.

Mais c'est fini.

Marine Le Pen a été patiente, elle a tenu longtemps, elle a écouté, assumé, subi, elle n'a pas cessé, sans être d'ailleurs crue par ceux qui s'obstinaient à faire coïncider pour l'éternité père et fille, de dénoncer l'historiquement incorrect et le malsain, les nostalgies délétères et les imprudences calculées. La fille a essayé, autant qu'elle a pu, de sauver la part de l'affection avec des avertissements sur le plan politique, de ménager le père en prévenant le militant, de pardonner au géniteur et, un temps, au modèle en imposant des règles et des exigences qui étaient violées dès que le FN gagnait, comme s'il fallait compenser la victoire politique par l'ignominie intime et défaire le lendemain ce qu'il avait conquis la veille.

Le jour où Marine Le Pen a compris que les sautes d'humeur, d'aigreur, d'indécence de son père ne menaçaient pas que leur relation mutuelle mais le sort même du FN, elle a choisi, tranché et frappé.

Car ce parti ne pouvait plus se permettre d'être écartelé, d'un côté, entre une majorité correcte sur le plan républicain et pour la dignité de la mémoire et, de l'autre, une minorité agissante et perverse inspirée par les outrances souvent graves de Jean-Marie Le Pen.

Il n'y a pas de quoi se gausser de ce drame familial qui montre le heurt de deux volontés : l'une pour aller au bout, l'autre pour mettre des bâtons nauséabonds dans des roues trop efficaces.

Les responsables du FN soutiennent la présidente. De nombreux militants considèrent que Jean-Marie Le Pen est devenu nuisible, par ses provocations lassantes et répétées, à l'avenir du mouvement. Marine Le Pen a manifesté son opposition à ce que son père soit maintenu comme tête de liste en PACA et dans quelques jours ce dernier sera confronté à une instance disciplinaire (Le Figaro).

Ce n'est pas rien même si certains continueront à prendre cela à la légère avec l'assurance de ceux qui se trompant souvent ont toute latitude pour prétendre éclairer. Il paraît que des chercheurs spécialisés ès-FN continuent à prétendre que ces orages ne démontreraient rien, que le père et la fille s'inspireraient du même terreau, s'abreuveraient aux mêmes sources et que les délires historiques de l'un vaudraient les dénonciations sincères de l'autre, tout n'étant qu'une immense mascarade.

L'inanité de telles assertions est plus que jamais éclatante maintenant que la guerre est devenue ouverte et qu'elle va aboutir à la mise hors jeu, hors je du père.

Marine Le Pen n'a pas tort quand elle décrit son père : "Il est dans une spirale entre la stratégie de la terre brûlée et le suicide politique".

Jean-Marie Le Pen n'a pas totalement tort quand il affirme : "La diabolisation ne dépend pas de nous, elle dépend de nos ennemis" (Le Monde).

Quelle preuve, en effet, de la vérité au moins partielle de ce constat que l'acharnement de certains idéologues et opposants de mauvaise foi à récuser, quoi que répudie le FN, quoi que rejette sa présidente, la validité d'un processus de normalisation sur les plans historique et intellectuel. Comme s'il fallait à toute force, toujours, que le FN fût le diable, notamment pour un Pouvoir détournant l'ire citoyenne de ses échecs objectifs vers la réprobation éthique stérile du FN.

Entêtement d'autant plus paradoxal que c'étaient les mêmes qui fulminaient devant les saletés verbales du père en désirant leur judiciarisation systématique et qui aujourd'hui tiennent pour rien le fait que sa fille ait heureusement et radicalement déserté ce terrain dévoyé par les approximations historiques.

Mais cette dédiabolisation menée par Marine Le Pen - faisant passer le FN d'opprobre moral à danger politique - ne dépend pas évidemment que de ses ennemis. Elle impose que le FN y mette du sien et qu'en particulier il ne persiste pas, sous l'égide d'un président d'honneur mal nommé, à justifier des condamnations que l'action et l'autorité de la présidente avaient rendues absurdes et partiales.

Ce n'est pas que d'un coup le FN soit devenu respectable au regard de ses projets et de sa vision économique et européenne. Mais qu'on veuille bien considérer ce futur. Un FN ayant changé de dénomination, débarrassé de Jean-Marie Le Pen, purgé de ses élucubrations historiques et choquantes, moins sûr de lui sur ses si discutables audaces économiques et financières, plus compétent dans ses instances - serait-il inconcevable qu'il devienne ainsi, délesté ici, enrichi là, la possible part vigoureusement conservatrice d'une droite multiple mais solidaire et homogène ?

On n'est pas obligé d'approuver le FN et de voter pour lui pour s'intéresser à son avenir, au nôtre. Ce conflit grave entre le père et la fille, entre Le Pen et Le Pen, nationalise d'une certaine manière le Front. Il devient national dans la mesure où ses adversaires et ses partisans ont forcément leur mot à dire. Il n'est plus seul contre tous.

Soutenir Marine Le Pen en l'occurrence, c'est permettre au FN de devenir effectivement et clairement républicain puisque formellement on l'a déjà inscrit dans cet espace.

Ce n'est pas un vaudeville mais une chance pour le FN.

Et, j'ose le dire, pour tous.


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