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Charles Péguy ne nous veut pas assis !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 20/04/2020

Entre l'opprobre du "couché" et l'allure du "debout", il y a ce moyen terme sur lequel Péguy attire notre attention. La mollesse, le conformisme et la tiédeur de "l'assis". Ce qui ne fait pas bouger et maintient dans la douceur ouatée des banalités et des consensus sans risque.

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Peu de temps avant de mourir au champ d'honneur à la fin du premier mois de la guerre de 14-18, Charles Péguy a écrit une note profonde et magnifique qui demeure d'une actualité absolue et concerne les intellectuels, les enseignants, les fonctionnaires, entre autres, qui "veulent avant tout être tranquilles...sédentaires" (Note conjointe sur M.Descartes et la philosophie cartésienne).

Elle touche d'autant plus le magistrat que j'ai été qu'à de nombreuses reprises les esprits forts, les médias satiriques, les pourfendeurs de l'institution judiciaire, se sont abandonnés à la facilité, face à la magistrature "debout", de dénoncer la "couchée". Ce qui est une offense à la fois fausse et indigne même si quelques pratiques, au fil du temps, ont pu rendre plausible cette qualification.

Cette pensée lumineuse de Péguy, sa dénonciation de "la paresse, de la tranquillité..." et de l'immobilisme qui affectent certains esprits me sont totalement familières, avec immodestie, parce qu'elles s'attachent à condamner, contre les mouvements de l'être, le caractère "assis" de tant de positions, d'idées et d'ambitions. Par exemple "...ces intellectuels, ces fonctionnaires... qui courent tous après les chaires, non point parce qu'on y enseigne mais parce qu'on y est assis..."

On me pardonnera de faire référence à une pratique que j'ai toujours eue, au-delà de mon champ professionnel qui me voyait évidemment requérir debout aussi bien dans les audiences correctionnelles de mes débuts - pas seulement le séant légèrement levé ! - que durant plus de 20 ans à la cour d'assises, aussi bien dans les entretiens médiatiques en tête-à-tête que dans les nombreuses conférences qui m'ont sollicité.

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Je me suis en effet obstinément tenu physiquement debout, parce que je percevais naturellement ce qu'une parole spontanée et/ou en réponse proférée par un locuteur assis allait devenir, se dégradant probablement, grâce à l'apparent confort de la posture, en une pensée "rassise", en un verbe trop familier, en une désinvolture risquant l'avachissement physique, intellectuel et syntaxique.

Entre l'opprobre du "couché" et l'allure du "debout", il y a ce moyen terme sur lequel Péguy attire notre attention. La mollesse, le conformisme et la tiédeur de "l'assis". Ce qui ne fait pas bouger et maintient dans la douceur ouatée des banalités et des consensus sans risque.

Je suis persuadé qu'on en connaît tous, dans les existences que nous côtoyons et les personnalités que nous fréquentons, de ces "assis" répétitifs, monotones, monomaniaques, épris inlassablement du plus petit dénominateur commun, "assis" dans le sens de l'Histoire comme dans le progressisme jamais questionné.

Jamais je n'ai dérogé à cette répudiation de tout ce qu'il pouvait y avoir "d'assis", superficiellement et profondément, dans un corps, un esprit et une sensibilité. Je me suis efforcé sur ce plan de n'être pas trop indigne du maintien "debout".

Et de la superbe et glorieuse leçon de Charles Péguy.


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