L'Etat islamique n'est pas nazi
Justice au Singulier - philippe.bilger, 17/01/2015
Avec quelle facilité coupable, quel confort intellectuel et moral paresseux on appose sur des phénomènes d'une terrifiante modernité des étiquettes anciennes qui, en aucun cas, ne permettent de les analyser !
L'Etat islamique (EI) n'est pas "nazi", comme l'a affirmé Bernard-Henri Lévy, avec une outrance dans la comparaison qui manque l'essentiel : porter un regard pertinent, lucide, quoique angoissé, sur une réalité monstrueuse qui nous désarçonne, nous déstabilise précisément par une singularité qui ne s'embarrasse de rien d'autre que de faire basculer nos sociétés civilisées et démocratiques dans un désordre et une désunion par des crimes de plus en plus ciblés sur les emblèmes de notre identité républicaine.
Sur un autre registre, je ne suis pas persuadé non plus que qualifier l'EI ou Daesh de "facho islamisme", comme Dany Cohn-Bendit l'a répété dans l'émission de la toujours remarquable Caroline Roux (France 5), pour ne pas parler de Philippe Geluck et de sa même référence au fascisme, soit une heureuse définition de ce pire original et pervers.
C'est une triste tendance de l'esprit humain que d'aller chercher dans les horreurs d'hier l'explication des terreurs d'aujourd'hui parce que tenter de décrire celles-ci, d'en analyser les ressorts et les motivations, d'en pressentir les perspectives et d'en annoncer les désastres représenterait une tâche trop ardue.
Pourtant ces paresseux médiatisés n'ont aucune excuse. Parce que sur ce terrorisme islamiste, nous avons la chance de pouvoir lire ou entendre de véritables spécialistes qui avec intelligence et mesure offrent un savoir et ouvrent des chemins qui devraient éclairer ceux qui nous informent sans s'informer : je pense notamment à Gilles Kepel et à Olivier Roy.
Il y a une seule similitude entre le nazisme et ces mouvements criminels d'aujourd'hui où le dévoiement paroxystique de l'Islam se mêle profondément à un culte de la mort des autres, justifié par une bonne conscience totalitaire.
C'est le fait qu'Hitler, dans Mein Kampf, avait tout annoncé mais que personne n'avait cru à ce projet délirant que pourtant ce trublion modeste à l'origine avait exposé et qu'il allait plus tard mettre en oeuvre à la lettre tragique et génocidaire.
L'EI ne nous laisse rien ignorer de sa volonté d'apocalypse et de son obsession terroriste, de ce qui l'inspire et de ses buts. C'est encore plus clair que pour Hitler qui n'était quasiment rien quand dans sa prison il écrivait sur l'avenir.
L'EI est déjà trop puissant et meurtrier pour qu'on répugne à ne pas retenir et à ne pas tirer les leçons de mort qu'il ne cesse de prodiguer avec un cynisme qui n'a pas d'équivalent et qui ne devrait plus se nourrir de nos faiblesses.