Ne pas vendre de photocopies sans autorisation ad hoc
Paralipomènes - Michèle Battisti, 3/01/2014
À l’heure du numérique, la photocopie a visiblement toujours le vent en poupe. Un arrêt du 11 décembre 2013 de la Cour de cassation dans le procès condamnant l’Inist et le CFC reprend les règles définies, il y a près de 20 ans, par une loi du 3 janvier 1995.
Les contrats conclus avec le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) pour des photocopies diffusées en nombre permettent de se passer d’une autorisation expresse des ayants droit, en l’occurrence ici des éditeurs des articles de périodiques et d’extraits d’ouvrages photocopiés, mais uniquement si la diffusion est gratuite. Puisque l’on payait pour obtenir des articles de la base Refdoc de l’Inist, des conditions particulières étaient requises et c’est sans surprise que la Cour de Cassation a confirmé les décisions de première instance et d’appel.
2004. Se souvenir !
Un procès, il y a près de 10 ans, répond à quelques arguments.
- J’ai un contrat avec le CFC
Dans ce procès de 2004, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) avait été condamnée par la cour d’appel de Paris pour avoir vendu des photocopies d’articles référencés dans l’une de ses bases de données. Elle a été condamnée bien qu’elle disposait d’un contrat conclu avec le CFC, société agréée pour accorder des contrats pour diffuser des extraits de publications (périodiques et ouvrages) encore protégées par le droit d’auteur.
La cour d’appel avait rappelé une règle fondamentale en matière de contrat : toute autorisation non expressément accordée est réputée ne pas exister. Le contrat ne mentionnant pas la vente, la vente n’était pas couverte par ce contrat. La société Prisma Presse, éditrice de plusieurs revues référencées dans la base de données, a donc eu gain de cause dans le procès qui l’opposait à la CCIP.
Cette réponse a été confirmée quelques mois après par un autre procès opposant le prestaire « veille presse » Vecteur Plus à plusieurs titres de la presse régionale. Les articles de presse proposés à la vente étant diffusés par les voies électroniques, ce que ne couvrait pas le contrat pour des actes de reprographie qui la liait au CFC de novembre 1999 à décembre 2003. Si Vecteur Plus avait conclu un autre contrat avec le CFC, en octobre 2003, pour diffuser des articles sur support numérique, dans la liste donnée par le CFC ne figuraient aucun des titres qui appartenaient tous à la presse quotidienne régionale qui entendait gérer elle-même ses contrats de diffusion dans le domaine numérique. En outre, la nature commerciale impliquait qu’une autorisation expresse des éditeurs soit accordée. Vecteur plus, qui avait déjà fait l’objet d’une mise en garde en février 2002, a, sans surprise, été lourdement condamnée pour contrefaçon.
- Le CFC pour une autorisation de vente ?
Il ne s’agirait pas de photocopies mais d’envois en ligne d’une version pdf ? Peu importe, comme pour certains usages numériques (panoramas de presse sur intranet ou sur extranet, copies numériques internes, exception pédagogique et de recherche), ce sont des facultés (et des facilités) que peut proposer le CFC, mais uniquement pour les publications des éditeurs qui lui ont accordé un mandat exprès. La gestion collective automatique et le passage obligé par une une société agréée – en l’occurrence le CFC – n’entre plus en lice dans ce cas.
Les éditeurs présents dans la base Refdoc avaient-ils tous donné cette autorisation ? Comme pour les usages numériques, on devrait trouver sur le site du CFC, la liste actualisée des éditeurs lui ayant accordé la gestion de la vente de photocopies. Ceci permettrait aux éditeurs, aux auteurs et aux distributeurs d’être informés.
- Des droits d’auteur dans les sommes versées à l’Inist
Verser des droits d’auteur pour les photocopies d’articles référencés dans Refdoc ne permet pas de se passer d’autorisation expresse des auteurs. Verser des droits a posteriori, permettant éventuellement à l’auteur de s’y opposer ensuite, est de l’opt-out, étranger au système de droit d’auteur français.
Interdire à l’auteur ou à son ayant droit de s’opposer à certains usages, en échange d’une compensation financière, cela existe en droit français, c’est vrai. C’est le cas, lorsqu’il y a une licence légale, comme pour le prêt en bibliothèque d’ouvrages sur support papier, la diffusion de musique du commerce à la radio, etc., mais aussi (quoiqu’avec quelques marges de manœuvre [1]) lorsque la gestion collective est obligatoire, comme pour les photocopies diffusées collectivement et gratuitement (loi du 3 juin 1995), mais certainement pas pour la vente de photocopies ou l’envoi en ligne d’une version pdf de l’article, usages soumis à une autorisation ad hoc, comme nous venons de l’expliquer.
- Des difficultés pour obtenir le droit des auteurs concernés
Pour toute diffusion payante, l’autorisation des ayants droit, en l’occurrence ici celle des éditeurs, est requise. Et, pour que l’éditeur puisse donner cette autorisation, l’auteur doit lui accorder ce droit. Or, souvent, bien souvent, les contrats des éditeurs prévoient une autorisation pour une première diffusion, par abonnement ou vente au numéro de la revue, par exemple, mais pas pour des ventes par des tiers. Pour accorder le droit de vendre des photocopies (ou tout autre mode d’exploitation), les éditeurs doivent obtenir l’autorisation de leurs auteurs. Et, en l’absence de contrat, l’auteur garde tous les droits et c’est à lui qu’il conviendrait de s’adresser (encore faut-il le retrouver !). À défaut, l’autorisation n’est pas accordée ; il n’y a pas d’autorisation tacite à envisager dans ce cas (nous ne sommes pas ici – doit-on le rappeler ? – dans un cas de gestion collective où les irrépartissables, sommes collectées mais n’ayant pas pu être redistribuées, peuvent apparaître [2]).
Qu’un éditeur veuille aujourd’hui se mettre en règle en obtenant l’autorisation expresse de ses auteurs, il se trouve face à une situation extrêmement complexe. Le CFC accordait jusqu’alors peu de possibilités : c’est l’ensemble d’un titre de périodique (passé et à venir) qui était concerné ou … rien. Or, obtenir les autorisations de tous les auteurs est, notamment pour un numéro de périodique où 10 à 40 auteurs peuvent intervenir, une situation ingérable (que d’œuvres orphelines potentielles faute de réussir à retrouver les auteurs du passé ou leurs héritiers pour ceci !) et il était impossible pour les publications à venir d’établir une distinction entre les auteurs qui accordaient le droit de vendre leurs articles et les autres. Le CFC l’envisage-t-il à présent ?
Pourquoi un service de vente de copies ?
Créer un service de diffusion pour ces œuvres contribue à la notoriété des œuvres et de leurs auteurs. Refdoc jouait ce rôle ; c’est ce qui a été fort justement relevé.
- Un lien à indiquer vers les articles en libre accès
Que l’article proposé à la vente figure aussi sur des archives ouvertes, rien d’antinomique à cela. C’est même le principe auquel répondent plusieurs modèles libres autorisant une exploitation commerciale. Que l’auteur soit tout de même payé pour les copies qui en seraient faites, un scandale ? Non. Sans lui demander son avis ? Oui (la gestion collective n’étant pas obligatoire dans ce cas). L’auteur doit pouvoir choisir d’être payé ou non pour ce nouveau mode d’exploitation de son œuvre (s’il n’a pas cédé ce droit dans le contrat qui lui était proposé au départ). La loi n’impose rien en la matière. Libre choix est laissé à l’auteur. En revanche, il convient, pour l’éditeur, de garder une trace écrite d’une renonciation et (doit-on le rappeler ?), dans le cas où l’auteur veut être payé, de reverser à son auteur les droits afférents (et ce, en dépit de frais importants de gestion au regard de sommes souvent minimes).
Qu’à la référence proposée par Refdoc soit obligatoirement mentionné le lien menant vers l’archive ouverte qui l’héberge et/ou vers le site web de l’éditeur de la publication est un service que l’on ne peut pas imposer à un prestataire du secteur privé mais que l’on s’attend à trouver chez un prestataire public comme l’Inist.
Mais,en matière de libre accès, ne doit-on pas distinguer deux types d’articles ? On peut y trouver, en effet, des articles de recherche, écrits par des chercheurs dans le cadre de leur mission financée par des fonds publics, qui, selon une recommandation de la Commission européenne, seraient (si la France décidait, comme d’autres pays européens, de s’y conformer) tous librement accessibles au maximum un an après leur publication, mais aussi d’autres articles qui ne répondent pas à ces critères qui, information ou vulgarisation, échappent à cette recommandation. Pour ces autres articles, le libre accès serait toujours déterminé librement par l’éditeur de la revue. Quel modèle économique viable, équilibrant accès et qualité du service, peut-il adopter ? La réponse est loin d’être simple.
- Quel modèle économique ?
L’Inist, j’imagine, finançait en partie le service que représentait la base Refdoc par la vente de photocopies. Refdoc fermée, bien au-delà du reversement des droits aux auteurs, se pose la question du financement d’une telle base lorsque, lorsque les copies des articles référencés seront majoritairement faites, au titre de la copie privée [3] (libre accès ne signifiant pas toujours libre réutilisation), à partir des sites qui hébergent les versions en libre accès.
L’État financera-t-il ce service offert à tous gratuitement ? La qualité (actualisation notamment) sera-t-elle assurée ? Certains ne seront-ils pas tentés de se tourner vers le service de fourniture de copies payant (cher mais performant, comme l’indiquent les case studies du site) de la British Library, ou de Subito, en Allemagne ? Open Access, services à valeur ajoutée, contexte international, questions juridiques et éthiques,… la question doit être replacée dans un paysage complexe, comme l’indiquent les propos de Raymond Bérard, directeur de l’Inist, dans un article du site ActuaLitté. Refdoc proposerait à nouveau ses services dès janvier ou février 2014, apprenons-nous à cette occasion. À suivre avec intérêt …
Ill. Pen and print. David Reber, Wikimédia Commons
Notes
[1] Pour distinguer licence légale et gestion collective obligatoire, un ouvrage de l’Ompi sur la gestion collective en matière de reprographie datant de mai 2005.
[2] Sommes que, après un certain délai, la société de gestion collective utilise pour financer des actions culturelles.
[3] La copie numérique professionnelle interne à une entreprise ou une collectivité publiques (autre que les panoramas de presse électroniques) fait l’objet d’un contrat géré lui aussi par le CFC par les éditeurs qui lui accordé un mandat à cet effet. La copie ne serait autorisée que si l’article était accompagné d’une licence, comme une licence Creative Commons, autorisant la copie.
Voir aussi
Refdoc : « Le CNRS ne peut se permettre d’être en dehors du droit », ActuaLitté, Antoine Oury, 26 décembre 2013
Vente illégale d’articles Refdoc : le CFC développera des outils adéquats, Antoine Oury, ActuaLitté, 17 décembre 2013
Refdoc : entreprise étatique de contrefaçon du CNRS, Antoine Oury, Actualitté, 16 décembre 2013
Condamnation pour panorama de presse électronique non autorisé, Legalis, 22 septembre 2004