Le "ni-ni" est un bon choix
Justice au Singulier - philippe.bilger, 26/03/2015
La terrible tragédie aérienne qui a endeuillé des familles espagnoles et allemandes et ému la France n'a pas fait oublier l'imminence du second tour des départementales.
On n'a pas à reprocher au président de la République d'avoir pris la mesure de cette catastrophe et d'avoir veillé, par sa présence et sa solidarité, à manifester à Angela Merkel et à Mariano Rajoy l'émotion qui était la sienne, qui était la nôtre.
Même si François Hollande, depuis le mois de janvier, est malheureusement contraint de se comporter sur un mode très compassionnel, il serait indécent de prétendre qu'il instrumentalise tous ces drames comme si lui-même n'en était pas sincèrement affecté. Il y a des polémiques qui sur ce plan sont trop injustes et partisanes pour être acceptables.
Bizarrement, d'ailleurs, cette stupéfaction bouleversée qui est suscitée par un accident pour l'instant encore incompréhensible, avec tant de victimes crée une sorte d'apaisement consensuel autour des chagrins, des désespoirs, des pertes chères d'enfants et d'adultes - un court instant, le deuil l'emporte.
Pourtant, dès le 23, le Premier ministre avait relancé sa mécanique extrême pour se poser en gardien de la morale. Il déclarait que la position majoritaire adoptée par le bureau politique de l'UMP - résumée par le "ni-ni" - était une "faute morale et politique".
L'alliance de l'UMP et de l'UDI, efficace pour le premier tour, achoppait sur l'attitude qu'il conviendrait d'adopter quand la joute opposera, au second tour, le FN au PS. L'UDI, se distinguant, s'engageait, elle, à voter pour le socialiste. Elle validait en quelque sorte le constat réprobateur mais discutable de Manuel Valls.
Une réplique vulgaire pourrait inviter le Premier ministre à s'occuper des affaires de son propre camp et à laisser la droite et le centre décider sans injonction de sa part. Mais, à cause de l'UDI qui s'accorde avec Manuel Valls, on ne peut pas négliger cette contradiction même si Nicolas Sarkozy a dit qu'il "respectait" le point de vue de Jean-Christophe Lagarde.
Le "ni-ni" est déjà fortement approuvé à gauche comme à droite, ce qui montre à mon sens qu'il offre cohérence politique et lisibilité démocratique. Confronté à une alternative qui est étrangère à ses convictions, l'électeur de gauche ou de droite est naturellement conduit à s'abstenir de favoriser l'une ou l'autre de ses branches. Avec cette attitude, il participe au débat républicain et se situe dans l'espace où des partis légalement autorisés s'affrontent (Le Figaro).
En ne choisissant ni le FN ni le PS, le citoyen de droite s'inscrit dans une démarche qui ne le conduit pas à oublier ce qu'il pense, souhaite ou dénonce au profit de ce qu'il combat au quotidien. Il ne se trahit pas et ne participe pas à une manipulation peut-être noble mais véritable tour de passe-passe.
Le socialiste ne sacrifiera pas à l'équivoque en se déterminant, parce qu'il y a le FN, en faveur de l'UMP alors que l'antagonisme est éclatant entre ces deux partis. Et que feindre de l'ignorer rend la politique plus trouble qu'irréprochable.
Surtout, ce qui me gêne dans l'apparente pureté de l'UDI est qu'elle semble considérer que le FN n'appartient pas, au moins formellement, avec sa multitude d'électeurs, à la France légale et qu'il conviendrait toujours de le traiter comme s'il était interdit, le mal absolu. Et qu'il méritait inlassablement d'être relégué dans un territoire où sa sorcellerie n'aurait aucune incidence sur les processus dits républicains.
Mais que l'UDI, alors, et le Premier ministre aillent au bout de leur logique d'exclusion et exigent, avec une argumentation convaincante, que notre pays ostracise officiellement le FN !
Faute de cette cohérence, cette manière constante de l'accepter présent du bout de l'esprit, parce qu'on ne peut pas faire autrement, mais de le récuser comme s'il n'appartenait pas à l'univers de notre démocratie apparaît davantage pour un snobisme de la conscience, une sophistication de la vie publique, une gracieuseté noble que comme une fermeté intellectuelle et morale authentique.
Je continue à penser que si le FN était banalisé, avec la représentation proportionnelle, sur le plan parlementaire, il révélerait d'une part l'étendue de ses faiblesses et, d'autre part, la République, ses principes et ses contraintes seraient victorieux de ses provocations.
Je n'évoque même pas les distinctions ridicules faites par un Christian Estrosi entre adversaire et ennemi et le fait que ce dernier éprouve le besoin de nous exprimer ses états d'âme, pour se poser en responsable torturé, alors que sur le plan de la sécurité et de la justice il est au moins sur la même ligne que le FN, pour ne pas dire au-delà.
Le "ni-ni", qui ne cède rien mais ne constitue pas une posture artificielle, est plébiscité parce qu'il est compris profondément par une majorité. Exclure, c'est choisir. Exclure, c'est ne pas ajouter à la confusion et à l'ambiguïté.
Je n'aime pas enfin ce parfum de haine qu'on met dans la vie publique. Une politique de l'éructation et de la stigmatisation qui n'est pas pour rien, évidemment avec d'autres motifs, dans cette haine de la politique, qui non seulement rejette les partis classiques mais ne conçoit pas l'ombre d'un espoir pour l'avenir.
Pour l'UMP, le FN est un adversaire à combattre. Pour l'UDI, un monstre à exorciser.
Le second tour nous donnera une réponse.