Actions sur le document

La tragédie de l'impuissance

Justice au Singulier - philippe.bilger, 23/05/2017

Nulle part on ne doit baisser la garde pour que cette tragédie de l'impuissance, du plus sanglant au plus dangereusement et banalement quotidien, ne nous enferme pas dans cette lâcheté trop fréquente : il n'y a rien à faire puisque c'est fatal. J'espère que notre destin est à nous, qu'il repose encore un peu entre nos mains, dans notre résistance. Les citoyens doivent devenir les héros de leur histoire et les politiques leurs modèles.

Lire l'article...

La tragédie de l'impuissance publique s'ajoute à l'horreur.

Quand à Manchester un kamikaze âgé de vingt-deux ans, Salman Abedi, se fait exploser avec un engin improvisé dans un concert au milieu d'une multitude, tue vingt-deux personnes dont des enfants, en blesse cinquante-neuf.

Le président Macron a exprimé son "effroi" et sa "consternation" et le Premier ministre nous a appelés à la "vigilance".

Les stars du monde entier font part de leur "solidarité" (Blog Morandini).

Aussi inévitablement dérisoires que soient ces réactions nécessaires de l'instant, rien ne serait pire que d'en tirer prétexte pour mettre en cause le pouvoir sur le plan politique. On ne peut pas notamment reprocher au président la faiblesse virtuelle de ses ripostes face à des attentats qu'heureusement on n'a pas subis. Ou pas encore.

Il est également absurde de se servir du projet de loi sur la moralisation de la vie publique pour laisser entendre qu'il aurait dû être précédé par un dispositif renforcé contre le terrorisme. C'est chercher à exploiter le malheur étranger pour mener un combat national. Ce n'est pas une démarche correcte et décente.

D'autant plus qu'avec le président, nous avons un quintette régalien - j'y inclus la ministre des Armées - qui n'autorise aucune suspicion préventive. Ma seule réserve périphérique, depuis l'installation du gouvernement, ayant trait aux déclarations inopportunes de Marlène Schiappa en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes.

Qui-est-Marlene-Schiappa-la-secretaire-d-Etat-chargee-de-l-egalite-entre-les-femmes-et-les-hommes

Ces humeurs partisanes sont révélatrices d'un état de désarroi face à des monstruosités dont on perçoit qu'elles ne sont plus réprimables par des moyens classiques. Qu'elles ne sont peut-être plus évitables du tout.

Ce terrorisme djihadiste - contrairement à celui d'avant qui avait ses cibles, n'en démordait pas et ne tenait pas à mourir lui-même - nous a fait entrer dans une ère moralement, socialement et techniquement monstrueuse.

D'abord parce que le criminel lui-même n'a pas la moindre faille qui pourrait l'inciter à ne pas perpétrer le pire, c'est-à-dire le massacre de très jeunes gens, précisément parce qu'ils le sont, pour susciter encore plus d'indignation. Toute frontière est abolie entre le Bien et le Mal et rien ne retient plus le second de s'abandonner à une occultation entière du premier. Qu'accomplir contre une inhumanité recherchée, voulue et assumée avec une cruauté fière d'elle et l'espérance d'un futur radieux vous garantissant un bonheur sans commune mesure avec votre destin profane ?

Je ne doute pas que l'excellence de nos forces de renseignement et de sécurité et leur coopération internationale sont acharnées à inventer des armes, des remèdes contre ce terrorisme sauvage n'ayant besoin que du tueur, de sa volonté d'hécatombe et de son désir de suicide pour gagner. Il n'empêche que même en acceptant une société de méfiance obsessionnelle, un quadrillage constant, un durcissement de l'état de droit nous privant avec notre accord de libertés singulières pour la sauvegarde de tous, personne ne pourrait soutenir que l'horreur serait éradiquée à jamais. Cette alliance de l'absence de conscience et d'une impuissance opératoire quasiment obligatoire suscite cette dévastation de notre art de de vivre, sa métamorphose en une angoisse de mourir familière, quotidienne. Au coin de nos rues, dans nos démarches les plus simples et les plus douces. Au coeur des fêtes comme dans la banalité de nos jours.

Pour Daech qui a revendiqué cette ignominie, la jeunesse est certes l'ennemie, et le monde libre, mais, plus encore, l'heureuse sérénité, l'indifférence tranquille, la scandaleuse insouciance avec lesquelles notre société a longtemps tenu pour rien les délires islamistes. Et pour les faire apprendre par la terreur.

1024222-two-women-wrapped-in-thermal-blankets-stand-near-the-manchester-arena-where-us-singer-ariana-grande-

Il est certain qu'une politique internationale lucide, réaliste sans être cynique, moins gaspilleuse des armes et du sang français, ne pourra qu'avoir à long terme des effets positifs sur notre univers national. Il ne s'agit pas de baisser pavillon mais de n'accomplir que ce qui est absolument nécessaire aux intérêts de la France. Pour son rang certes mais aussi en songeant au salut des Français.

Faire fond sur la capacité de l'islam à se réformer relève du voeu pieux. On peut craindre la mécanique qui au contraire, pour une religion dont les enseignements sont équivoques ou contradictoires, favorise l'emprise du fort sur le faible, de l'intolérance sur la tolérance et du sectarisme mortifère sur la coexistence pacifique et respectueuse. Cette évolution est regrettable qui fait triompher, dans la lutte d'interprétations différentes, celle qui appelle à faire mal contre celle qui relève le défi d'un islam modéré.

Ai-je eu raison d'évoquer les préoccupations périphériques qu'inspirait Marlène Schiappa ? Sont-elles si accessoires que cela ? Comme face au terrorisme qui nous horrifie - à Manchester aujourd'hui -, il y a dans certaines de nos cités, dans des quartiers qui récemment ont attiré l'attention - témoignages de femmes n'osant plus sortir de chez elles parce que l'opprobre viril, religieux ou non, tombait sur elles - un délitement, une gangrène à la fois si profonds et si consubstantiels à la vie même qu'aucune action policière, judiciaire, politique ne semble appropriée pour les battre en brèche, les vaincre.

Nulle part on ne doit baisser la garde pour que cette tragédie de l'impuissance, du plus sanglant au plus dangereusement et banalement quotidien, ne nous enferme pas dans cette lâcheté trop fréquente : il n'y a rien à faire puisque c'est fatal. J'espère que notre destin est à nous, qu'il repose encore un peu entre nos mains, dans notre résistance.

Les citoyens doivent devenir les héros de leur histoire et les politiques leurs modèles.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...