Licenciements boursiers : Il faudra une loi…
Actualités du droit - Gilles Devers, 3/05/2012
Les juges appliquent la loi, et si la loi n’est pas bonne, il faut la changer. La Cour de cassation s’est prononcée hier (Arrêt du 3 mai 2012, n° 11-20.741) dans la très attendue décision Viveo. Pour la Cour, la loi ne permet pas d’annuler les licenciements boursiers. La parole est au Législateur.
L’affaire Vivéo
On parle de « licenciements boursiers ». La question est plus largement celle des restructurations d'entreprise sacrifiant les emplois sans nécessités économiques. Bref, il s’agit de licencier pour être encore plus rentable. L’affaire Vivéo est exemplaire.
Vivéo est éditeur de logiciels bancaires, devenu filiale du groupe suisse Téménos. En février 2010, la direction consulte le comité d’entreprise sur un projet de restructuration. Motif allégué : baisse du chiffre d'affaires dans un contexte de concurrence accrue, nécessitant de se réorganiser. Aussi, la direction présente un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), avec toute la panoplie : départs volontaires, aménagement du temps de travail, reclassements et licenciements. Sur 180 emplois, 64 passent à la casserole.
Le comité d’entreprise missionne un expert, qui en juin 2010, rend des conclusions bien différentes. S’il est exact qu’il y a une baisse d'activité, l’entreprise reste très rentable. Les licenciements ne reposent pas sur un motif économique, mais sur des objectifs financiers.
Le contrôle du juge sur le motif de licenciement ne s'exerce en principe qu'après coup. Malin, le comité d’entreprise, utilise la procédure d’urgence devant le TGI, dite « à jour fixe », pour faire reconnaître l’absence de motif économique, et bloquer le prononcé les licenciements.
Le comité d’entreprise perd, fait appel, et le 12 mai 2011, la cour d’appel de Paris lui donne raison. Pour la cour d'appel, en l’absence de cause économique, toute la procédure de licenciement collectif est nulle et la consultation du comité d’entreprise en vue du PSE était sans objet. Les licenciements étant annulés, les salariés déjà licenciés doivent retrouver leur emploi.
Que dit la Cour de cassation ?
En cause l’article L. 1235-10 du Code du travail aux termes duquel seule l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi soumis aux représentants du personnel entraîne la nullité de la procédure de licenciement pour motif économique.
Pas de doute pour la Cour de cassation :
- Un licenciement pour motif économique ne peut être annulé qu’en cas d’absence ou d’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi, et dans ce cas le salarié peut demander sa réintégration
- Si la cause économique n’est pas établie, le juge ne peut pas prononcer la nullité du licenciement mais seulement allouer des dommages et intérêts (Code du travail, Art. L. 1235-3 et L.1235-5).
Ainsi, la cour d’appel ne pouvait déclarer nulle la procédure de licenciement qui si elle avait constaté l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), ce qui n'était pas le cas. Le plan est correct, les licenciements ne peuvent pas être annulés. S’il n’y a pas de motif économique, le salarié peut obtenir en justice des dommages et intérêts, mais il ne peut pas retrouver son emploi. C’est l’esprit de la loi,… à savoir la loi du 27 janvier 1993.
On retrouve un grand principe du droit : pas de nullité sans texte. Or, aucun texte ne prévoit une annulation du licenciement dans ce cas.
La jurisprudence de la cour d'appel de Paris déplaisait au plus haut point aux patrons car elle conduisait le juge à beaucoup s’avancer dans la gestion de l’entreprise. Mais les juges se sont montrés sensibles à cette jurisprudence qui permettait de sauvegarder les emplois dans des entreprises en bonne santé. Les PSE de Sodimedical (52 licenciements) et Ethicon (350 licenciements) avaient récemment été annulés pour absence de motif économique.
L’arrêt de la Cour de cassation stoppe ce mouvement, et le principe « pas de nullité sans texte » ne laissera pas d’échappatoire aux cours d’appel.
Retour vers la loi
Le débat revient sur le terrain de la loi. Résumons.
1) Une entreprise qui gagne un max mais qui veut gagner un supermax peut licencier ses salariés à partir du moment où elle propose un plan social cohérent.
2) Si, une fois licencié, le salarié prouve qu’il n’y avait aucun motif économique à son licenciement, il pourra obtenir des dommages et intérêts, mais il ne pourra pas faire annuler le licenciement.
3) Les juges trouvent cela anormal, mais ils ne peuvent prononcer l’annulation d’un licenciement que si le Code du travail le prévoit, ce qui n’est pas le cas.
4) Si le Code du travail le permettait, les juges, après avoir constaté qu’il n’y a pas de motif économique, annuleraient le licenciement et le salarié licencié retrouverait son poste. On ferait la fête à la maison.
Question pour un champion
Le Code du travail est donc favorable aux puissances de l’argent et défavorable aux salariés licenciés sans motif économique. Il faudrait changer la loi pour permettre ces annulations de licenciement.
D'où la question : dans l’hypothèse où le candidat qui a pour seul ennemi les puissances de l’argent gagne la présidentielle, changera-t-il la loi pour prévoir dans ce cas la nullité du licenciement ?
On en reparle quand vous voulez…