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Open data : nouvelles précisions sur les délais de recours et sur les obligations pesant sur les organismes publics

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Virginie Delannoy, Laurent-Xavier Simonel, 22/04/2013

Une nouvelle décision juridictionnelle, rendue le 18 avril 2013 par la cour administrative d’appel de Nancy, confirme que les informations publiques communicables de plein droit détenues par les services d’archives publics, qui constituent des services culturels, « relèvent de la liberté de réutilisation consacrée » par la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978. L’arrêt impose au département de la Moselle de faire droit à la demande présentée par la société NotreFamille.com de réutilisation de la liste nominative de la commune de Lening pour 1851 et de transmettre sa demande à l’autre administration compétente pour des documents demandés de la période 1910 à 1931.
Au-delà de la réaffirmation du principe, l’arrêt (CAA Nancy, 18 avril 2013, société NotreFamille.com, n° 11NC01860) est intéressant en ce qu’il vient trancher une question procédurale qui n’a pas encore connu les honneurs du Conseil d’Etat. Comment s’articule le régime de la communication des documents administratifs (loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 et décret d’application n° 2005-1755 du 30 décembre 2005) avec celui du recours contre les décisions administratives (loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et décret d’application n° 2001-492 du 6 juin 2001) ?

Le département de la Moselle n’avait pas répondu à la demande de réutilisation de NotreFamille.com, faisant ainsi naître une décision implicite de rejet à l’issue d’un délai d’un mois (art. 17 du décret du 30 décembre 2005). Il n’avait pas plus accusé réception de la demande de NotreFamille.com dans les formes prescrites par l’article 1er du décret du 6 juin 2001. NotreFamille.com avait saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) après l’expiration du délai de deux mois courant à compter de la décision défavorable en matière de réutilisation qu’elle avait essuyée (même art. 17 du décret du 30 décembre 2005).
NotreFamille.com avait introduit une requête pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de cette décision implicite de rejet devant le tribunal administratif de Strasbourg. Faisant droit à la fin de non-recevoir invoquée par le département, tirée de l’irrecevabilité de la requête pour tardiveté, cette juridiction avait rendu une ordonnance d’irrecevabilité manifeste (art. R. 222-1 du code de justice administrative ), le 8 décembre 2010 (TA Strasbourg, O. 8 décembre 2010, société NotreFamille.com, n° 1003777).

La cour administrative d’appel de Nancy annule l’ordonnance et fait application de l’article 19 de la loi du 12 avril 2000 pour juger que l’absence d’accusé de réception de la demande de NotreFamille.com et, partant, l’absence de mention des voies et délais de recours contre la décision de refus du département, rendent inopposable le délai de deux mois prescrit par l’article 17 du décret du 30 décembre 2005 pour saisir la CADA d’un refus de réutilisation. Elle juge que le régime de droit commun établi par la loi de 2000 s’applique en matière de communication de documents administratifs et de réutilisation d’informations publiques.

Cette solution est de bon sens. La loi du 12 avril 2000 a eu pour objet d’unifier et de simplifier les régimes multiples qui existaient en matière de recours. Elle a créé un régime général qui trouve à s’appliquer dans tous les cas de recours administratifs préalables obligatoires, sauf disposition expresse dérogatoire. Il aurait été, alors, paradoxal de recréer un nouveau régime applicable seulement à la réutilisation des informations publiques, alors que la loi du 17 juillet 1978 ne prévoit pas de dérogation à la loi du 12 avril 2000.

Pour le reste, l’arrêt de Nancy réaffirme que le droit de réutilisation des informations publiques s’étend aux données culturelles. Suivant les lignes directrices dégagées par la CADA, la Cour constate que la seule proposition de consultation des documents dont la réutilisation est sollicitée en salle de lecture du service départemental d’archives n’épuise pas les obligations pesant sur le département. Elle note que l’absence de fichiers numérisés des documents demandés ne justifie pas une telle restriction matérielle.

Lorsque les documents n’existent pas sous format numérique, il est, aussi, de bon sens, que la collectivité se rapproche du demandeur pour déterminer avec lui les conditions dans lesquelles les informations publiques peuvent être mises à sa disposition, en vue de leur réutilisation.

En l’espèce, la lettre du département à NotreFamille.com se bornait à lui indiquer que les documents étaient disponibles en salle de lecture et pouvaient, le cas échéant, être photocopiés dans les conditions fixés par le règlement de la salle de lecture. Voyant dans cette lettre une confirmation de sa décision implicite de refus,b[ la cour enjoint au département de la Moselle de faire droit à la demande de NotreFamille.com ]ben lui proposant un accès à la liste nominative de la commune de Lening pour 1851 dans des conditions qui lui permettent une réutilisation effective des informations publiques en cause.

Le litige portait sur des informations publiques dont la conservation a été marquée par l’histoire si particulière de la Moselle. Cette histoire a conduit, en particulier, à ce la collection départementale des listes nominatives de dénombrements quinquennaux des populations pour la période de 1801 à 1872 a été presque entièrement pilonnée et qu’aucun recensement n’a été réalisé entre 1872 et 1918. Dans ce contexte spécifique, voici apportée une nouvelle pierre à l’édifice juridique général, maintenant bien construit, de la réutilisation des archives départementales en vue d’activités concurrentielles à valeur ajoutée.

Il faut s’en réjouir.

En sens inverse, il faut déplorer que beaucoup d’énergie et de ressources aient encore à être concentrées sur le débat contentieux, en devant être détournées de l’effort d’investissement, public comme privé, qui pourtant doit être mobilisé tout de suite pour répondre aux aspirations croissantes à une recherche généalogique simple, accessible et individuelle.

Aucun projet de valorisation des archives publiques ne peut être mené sans une coordination minimale entre tous les départements français, proposée à partir d’une appréciation objective de la règle de droit, de son éclairage jurisprudentiel et des schémas d’action proposés par la CADA et la CNIL. Aucun projet de cette nature ne peut être mené sans une volonté de coopération reposant sur une analyse objective des intérêts respectifs bien compris et convergents des acteurs publics et des opérateurs privés.

Là est le véritable enjeu. Il n’est pas, certainement, dans l’enkystement des postures d’anathème et dans les procès en sorcellerie.

De grandes questions sociales, politiques et économiques sont posées par la formidable dynamique de croissance de la réutilisation des informations publiques. Cette dynamique, qu’on le veuille ou non, conduit à des métiers et à des services nouveaux dont nous ne sommes pas en mesure de dessiner les contours, même si nous en devinons l’émergence. Les perspectives de décroissance économique devraient inciter les acteurs publics à ne négliger aucun gisement d’activités nouvelles en France. Or, la réutilisation des informations publiques ouvre sur un gisement d’activités de dimension économique significative.

Ces questions doivent être débattues de manière démocratique, dans le respect des positions respectives, sans travestissement ni caricature, sans le mépris du savant pour le marchand et sans méconnaissance des missions cardinales des collectivités publiques.

Des réponses concrètes doivent leur être apportées par des échanges sereins et rationnels. Les mauvaises croisades n’aboutissent à rien. Or, placer le débat sous l’oriflamme, aux couleurs bien passées, de la défense de la noblesse du service public face aux agressions indignes du capitalisme rampant, est une mauvaise croisade. Chacun peut s’en convaincre aisément en reprenant les fondamentaux en cause : une dynamique de réutilisation servira directement l’action du service public des archives en contribuant à ses actions de conservation par la numérisation, en aidant à la diffusion de ses ressources, en participant à la visibilité de ses missions.

Au fond, la séquence de clarification juridique dans laquelle s’inscrit l’arrêt de Nancy, plutôt qu’à la poursuite d’un dialogue exclusivement contentieux, invite à ce que soit mobilisé l’interlocuteur efficace qui, doté de la légitimité nécessaire à l’égard des départements, assurera la mission essentielle de dessiner, par l’échange rationnel avec toutes les parties prenantes, le cadre consensuel, juridiquement régulier, économiquement équitable et industriellement dynamique, qui sera soumis à l’ensemble des départements à titre de raison écrite.

Voir aussi : Quand les collectivites territoriales oeuvrent pour l’open data

L’open data innerve sans restriction les archives publiques

le Ministère de la Culture et de la Communication se met a l’heure de l’open data


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