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Fillon et Copé : il ne faut pas désespérer l'UMP !

Justice au singulier - philippe.bilger, 28/10/2012

François Fillon et Jean François Copé ont réussi leur synthèse : une guerre profonde, des destins contraires, une paix apparente. Les cartes ont à peine été posées sur la table.

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J'ai envie de me mettre dans la peau d'un journaliste. D'un vrai. De Michel Field, Yves Calvi ou Caroline Roux. De me dépouiller de mes préjugés, de mes affects, de mes sentiments personnels, de mes antipathies épidermiques pour juger seulement sur pièces, sur personnes, sur propos.

Ce n'est pas facile mais il me semble que la confrontation entre François Fillon (FF) et Jean-François Copé (JFC) à Des paroles et Des actes (DPDA) sur France 2 permet une une approche à la fois politique et technique, sans que le venin de la partialité vienne altérer le jugement.

J'évoque à dessein le plan technique parce qu'il est trop souvent négligé par les commentateurs qui oublient son caractère fondamental pour exprimer le plus efficacement possible sa conviction et la transmettre.

Globalement, les échanges, d'abord entre les candidats et les journalistes, puis entre les premiers, m'ont paru de très bonne facture et n'ont pas fait rougir de honte les citoyens téléspectateurs de bonne foi. FF et JFC, dans la première partie de l'émission notamment, ont eu d'autant plus de mérite que les questions à la fois dérisoires et intempestives de David Pujadas auraient pu les déstabiliser (Le Monde).

Dans cet exercice où il convenait de maîtriser son impatience tout en affirmant haut et fort ses convictions, j'incline à croire que JFC a été le plus performant.

FF, en effet, m'a semblé gêné. Ce n'était pas le trac mais sans doute un léger problème physique - comme un enrouement ? -, un peu de difficulté à se mettre dans le rythme, des réponses trop denses, trop courtes, trop elliptiques, un zeste d'énervement, d'agacement devant ce qu'il percevait comme des incompréhensions. L'expression sans doute d'un malaise devant le bon positionnement à adopter.

JFC, au contraire, dans cette séquence où il n'avait pas à limiter ni à adoucir sa parole comme dans le quasi face-à-face qui suivra, s'est montré fidèle à lui-même, pugnace, direct et sur un élan qui l'a conduit à développer, avec une rudesse habile, une argumentation qui gagnait en intensité au fur et à mesure qu'elle se heurtait aux réactions insipides de Pujadas (vous avez dit ce mot ? pourquoi ce mot ? vous regrettez ce mot ?) littéralement atomisé sur l'épisode du "pain au chocolat".

JFC qui, jusqu'au 18 novembre, va continuer à prêcher un sarkozysme inconditionnel après avoir eu l'habileté d'évoquer lui-même ses relations conflictuelles antérieures avec Nicolas Sarkozy pour qu'elles ne soient pas exploitées, n'a pas été indigne, dans la riposte et les répliques, de son modèle. Dans le ton, dans la vigueur, il y a du Sarkozy en lui, mais en plus châtié et son français est meilleur. Il s'en est donné à coeur joie et force est d'admettre que son talent est indéniable même si, pour sa personne, il abuse ostensiblement d'une forme d'indulgence quand il métamorphose l'arrogance qui lui est prêtée en pugnacité. Il se pardonne volontiers mais compense cette faiblesse par sa roideur cultivée à l'encontre de ses adversaires socialistes incapables de rien, capables de tout !

Le dialogue, ensuite, entre ces deux personnalités, à peine troublé par Pujadas qui tenait à démontrer qu'il était nécessaire, a été évidemment très éclairant. Opposition feutrée de deux tempéraments, de deux visions, d'une volonté tranquille d'un côté et d'un volontarisme forcené de l'autre, de deux ambitions, d'un FF s'appuyant sur ses cinq ans de Premier ministre et d'un JFC se servant de l'UMP comme d'une preuve et des premiers mois de François Hollande comme d'un repoussoir absolu. L'élégance et l'ironie doucement voilée du premier écoutant certaines phrases du second. Celui-ci s'attachant à une impassibilité d'airain pour ne pas laisser transparaître si peu que ce soit de son sentiment profond.

FF me donnait l'impression d'un homme qui n'attendait plus que 2017 pour se combler totalement alors que JFC semblait encore tout plein de rêves de batailles, en mouvement, porté par une ambition capable de se satisfaire de tout ce que le destin lui offrira avant la charge suprême. Il ne dédaignera pas les caresses intermédiaires du destin quand FF ne visera que ce couronnement présidentiel, pour lui si proche et si lointain.

Sans doute avons-nous, dans cette contradiction des tactiques, l'explication de la victoire apparente, dans l'instant, de JFC - une victoire de peu aux points, en quelque sorte - et de la défaite légère, subtile mais riche d'avenir de FF.

Parce que JFC ne s'assignait en surface pas d'autre objectif que de conquérir l'UMP en ayant l'aplomb, à plusieurs reprises, d'invoquer l'esprit de résistance comme si la France était occupée par François Hollande, il avait toute latitude pour emprunter un chemin rectiligne durant l'émission. Tout entier tendu vers un seul but, avec une limpidité polémique qu'aucune nuance ni stratégie de dérivation ne venait troubler.

FF, au contraire, a assumé un écartèlement qui immédiatement lui a nui mais se révélera décisif si, président de l'UMP, il gagne la primaire en 2016 et s'engage dans la campagne présidentielle. FF tenait un bout de la chaîne - à droite, parce que JFC l'y contraignait et pour séduire encore davantage l'UMP - et l'autre bout - centriste, équilibré, rassembleur pour 2017, avec une touche délicatement critique à l'égard de Sarkozy. Cet élément fondamental qui est la cause de la démarche médiatique de FF faite à la fois d'avancée, d'impulsion mais aussi de pondération et de retenue, n'a été justement observé que par l'excellente Hélène Jouan, qui contrairement au logorrhéïque et désordonné Giesbert, écoute et ne s'écoute pas.

Tout de même, il ne fallait pas désespérer l'UMP de la même manière qu'il y a si longtemps il ne convenait pas de désespérer Billancourt en disant la vérité sur le communisme totalitaire. Tout au long de l'émission, ce qui a dominé, derrière le dialogue et les antagonismes tièdes, est le refus de se laisser embarquer par tel ou tel journaliste ou par leur propre liberté, dans une empoignade ou une controverse qui aurait durablement affecté leur image, affaibli la confiance et l'unité de l'UMP et porté atteinte à cette droitisation de la société que la gauche constate (Le Figaro) mais sans en tirer les conséquences qui s'imposent. Notamment en abandonnant l'accessoire sociétal pour s'obséder sur l'essentiel même s'il est peu gratifiant et le demeurera au moins jusqu'en 2014: chômage, déficit, récession, etc.

FF et JFC ont réussi leur synthèse : une guerre profonde, des destins contraires, une paix apparente.

Des paroles. Attendons les actes.


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